Comme une petite bulle d’air dans notre été, les Nuits Sonores 2021 ont réussi le pari de tenir leur édition “hors-série” malgré les contraintes sanitaires. Trois sites ont été mobilisés sur cette semaine de juillet : les Usines Fagor-Brandt, Heat et le Sucre. Les horaires de l’open air à Heat se chevauchant avec ceux des Usines, nous avons préféré opter pour une croisade dans la zone industrielle, ADN originel du festival. Cette édition hors-série proposait des lives en début de soirée et des DJ sets orientés club à partir de 23h, soit un format condensé des Nuits Sonores habituelles, fin de soirée à 1h oblige.

Performances lives et mapping à 360

La Scène 360 était l’objet de tous les regards avec son écran géant entourant le public de mapping. Pour accompagner le live d’Eiger Drums Propaganda, les visuels de Hajj nous questionnent sur le rapport entre réalité virtuelle et physique, sur la surveillance d’une société de contrôle digitale, et sur notre quotidien rapporté sur écrans en continu. Ça tombe bien puisque la moitié des Pilotwings à l’origine du projet joue lui aussi sur les extrêmes, en confrontant new age, musiques tribales et krautrock avec autodérision.

Flore nous présente ensuite son album Rituals avec un travail d’images orchestré par le collectif de vjs WSK. On se plonge dans des effets sonores transformés en séquences d’images organiques, répondant à l’intensité des morceaux. Quand les infrabass résonnent, le public est plongé dans une nuée rouge sang, comme pour réveiller nos démons intérieurs.

Les écrans mettent en lumière une autre dimension des performances, puisant dans l’imaginaire des créations musicales avec une farandole d’objets abstraits, de dessins, de visuels psychédéliques, mais aussi de vidéos d’événements bien réels, comme pour le live de Muqata’a. Le producteur palestinien diffuse pendant son live des images de son pays et de ses paysages au delà des checkpoints. Comme un devoir de témoignage et d’archivage de sa culture menacée, Muqata’a enregistre aussi les bruits de son pays. Sur son dernier album Kamil Manqus, il joue avec des interférences radio pour faire entendre des voix et des extraits sonores de Palestine. Assez intense, le live nous déroute rapidement : on ne sait plus où on va, ni qui on écoute tant les messages sont volontairement brouillés. Les visuels se répètent également, on ne sait plus si on les a déjà vus, si on avance ou si on part à reculons. Une alarme stridente nous fait sursauter, de celle qui sonne en cas de guerre, nous rappelant à la triste réalité de l’autre bout de la Méditerranée.

Dans un autre registre, on profitera de cette scène à 360° pour suivre le jeu vidéo créé comme une oeuvre transdisciplinaire par Oklou et Krampf. Oklou prend les manettes et s’installe devant une télé posée sur le sol, dont les images sont dupliquées sur les écrans autour de nous. On suit alors son personnage qui parcourt un univers à la recherche d’un animal lumineux, dans un décor proche du Breath Of The Wild de Zelda. Si la performance captive une bonne partie du public, il brouille les codes du festival pour certains. Peu attentif, un certain pourcentage du public semble de toute évidence perturbé : il attend que la musique cogne pour s’amuser, et gâche par moments l’aspect “aventure” de la performance. On observe là le croisement des publics, celui qui écoute, curieux de découvrir de nouvelles expériences, et celui qui sort, impatient de lâcher prise sur des rythmes technos. L’enjeu de tout festival est de croiser ces populations, tant bien que mal, et d’arriver à leur trouver des socles communs. Flore-Rituals-Nuits-SOnores-BD.Marion-Bornaz.09

Concerts et DJ sets

La scène live est la salle principale de cette édition. Étant sur place dès la première heure, nous avons pu constater l’évolution de cette scène, passant d’une dizaine de personnes assises par terre en après-midi à quelques milliers en furie en fin de soirée. C’est bien la première fois depuis un an et demi qu’on retrouve cette foule immense, incontrôlable, formées de cris dans tous les sens et de corps déchaînés. On ne vous cache pas que ça fait du bien.

Mais avant les ahuris, il y a les assagis. Pour ces derniers, la scène live se révélera peu adaptée. Felicia Atkinson aurait mérité un cadre plus intimiste, avec une meilleure sonorisation, pour entendre correctement le son de son piano à queue et de sa voix. Même chose pour Azu Tiwaline et Cinna Peyghamy : difficile d’entrer dans le live lorsqu’on ne voit pas le jeu de mains du percussionniste, ou qu’on ne voit pas les artistes tout court car ils sont assis par terre et que la scène n’est pas taillée pour ça.Sebastien-tellier-laurie diaz-LD8_9245Les stars du festival seront en revanche généreusement servies sur cette scène. Le show light digne d’une glace tropico de Sébastien Tellier reste fidèle à son image : chemise à paillettes et lunettes rectangulaires, le plagiste de luxe rêve toujours de Biarritz en été. Il n’a pas non plus perdu sa voix sensuelle, et les trois musiciens qui l’accompagnent nous font le plaisir d’un concert live bien mené, où clavier, batterie et congas se répondent sur la voix de Sébastien. Il enchaîne ses classiques : Roche La Ritournelle, L’Amour et la Violence, avec quelques moments de jam qui finissent de compléter le tableau synthpop du musicien.

Très attendu, le show de Lala&ce sera sans surprises calé sur les titres de son nouvel album. La déesse du rap français impose une certaine prestance sur scène, maîtrise son flow et ses mouvements. Son crew l’accompagne, on retiendra notamment le featuring avec Pucci Jr et le quart d’heure solo de sa DJ, qui retourneront le public en moins de deux. Le climax du set s’observe sur le sensuel Show Me Love où une danseuse en tenue très sexy fait son entrée sur scène pour y exécuter une lap dance. Une scène de séduction lesbienne en live, du rarement vu salvateur pour une grande scène de festival.

La fin de soirée aux Nuits Sonores 2021 se termine toujours par un gros dancefloor de club. Pour cette année, chaque nuit nous offrira un genre différent : Jennifer Cardini B2B Cornelius Doctor pour une ode à la nu disco qui frise la mauvaise EDM par moments, Lisa B2B Christian Coiffure pour une techno subtile, breakée, flirtant parfois avec le disco ; et un gros set baile funk pour Bamao Yende et Greg qui ne lésineront sur les gros hits de MC Bin Laden et Paul Johnson. Enfin le plus techno de tous Bambounou livre un set très intense sur un BPM rapide, croisant parfois le chemin d’une flûte orientale ou d’une paire de congas, pour sublimer une transe déjà très efficace.