À Bruxelles fleurit une scène indépendante fascinante. Du côté rock, celle-ci se révèle pourtant assez confidentielle et méconnue des non-initiés. Suivant une connaissance y étant impliquée, je m’y immisce le temps d’un soir afin d’en savoir plus. 

Je suis donc invité ce vendredi de juillet, au Recyclart, espace d’expression culturelle et artistique situé dans un Molenbeek en phase de gentrification, à deux pas du Canal et, surtout, du feu Plan K, cette salle mythique qui a fait les grands jours de la scène post-punk dans les années 70. C’est donc dans un quartier où plane encore le souvenir de Ian Curtis que s’organise la contre-culture bruxelloise, qui n’est encore qu’un microcosme homogène et hermétique aux outsiders. Car sans sembler totalement exclusive, le manque de promotion et le culte du confidentiel de la scène font que ses évènements, bien qu’ouverts à tous, passent largement inaperçus auprès des non-initiés.

Une fois passées les portes de ce qui a dû être dans une autre vie un garage, je suis accueilli par une ambiance festive finalement très bruxelloise, et dont les aspirations alternatives ne se trahissent qu’au DJ set ambient expérimental qui dure toute l’après-midi. Autour de moi dans la cour, une foule diverse dont chaque membre pourrait être artiste, et dont certains le sont réellement. Tout le monde, vestimentairement et comportementalement, tente de se démarquer, et donc personne ne le fait vraiment. Une femme-statue se livre à une performance artistique, posant de manière tantôt provocatrice tantôt énigmatique, sans dire un mot. 

Une tradition du bricolage

Histoire de ne pas se laisser assommer par la bande-son ambiante, je me dirige, accompagné de mon contact sur place, vers une mini-exposition de son œuvre, située dans les vestiaires de l’ancien club de foot local où le Recyclart s’est installé. De son nom d’artiste – volontairement imprononçable – Hjarntvzrrr, il crée, depuis maintenant cinq ou six ans, des fanzines comprenant dessins, collages, textes, poèmes et impressions numériques. D’un humour satirique, parfois même absurde, son œuvre se démarque surtout par son style de dessin, unique, d’héritage expressionniste, exclusivement en noir et blanc. Entre les dizaines de fanzines exposés, quelques cadres présentent des impressions ou des montages/collages rassemblant dessins, photographies de presse et commentaires sociaux irrévérencieux. L’ambition étant de faire de cette exposition une expérience sensorielle la plus complète possible, Hjarntvzrrr pense à y ajouter une bande-son et des lumières, qu’il n’a pas encore installées par manque d’organisation.

Ici, tout le monde bricole, touche à tout, s’essaie au dessin, à la musique, à la peinture, à la photographie. Hjarntvzrrr collabore ainsi à quelques projets musicaux. Certains se sont révélés infructueux, comme le duo de garage punk Amiante, séparé l’an dernier. D’autres fleurissent et se concrétisent peu à peu, notamment certaines collaborations avec Lenny Pistol : Gut Model et Destination Superbe. Ces derniers ont d’ailleurs sorti récemment un morceau, « Daniel », sorte de post-punk bricolé et expérimental mêlant décélérations, field recordings et changements de rythmes impromptus. 

Entre DEVO et Thee Oh Sees

Alors que nous sortons de cet espace d’exposition restreint résonne le subtil jazz synthétique de Shoko Igarashi, artiste d’origine japonaise basée à Bruxelles, excellant dans la musique onirique. Accompagnée d’un claviériste, elle brandit tour à tour une flûte traversière, un saxophone et un EWI pour un set hautement mélodique et introspectif, mélangeant influences jazz et japonaises, quelque part entre Yellow Magic Orchestra et une bande-son de jeu vidéo. Ce qui semble un peu agacer le public au premier rang, recherchant clairement une ambiance et une énergie plus exaltée.

Eux sont venus avant tout pour Warm Exit, programmé plus tard dans la soirée. Un quatuor garage-punk sauvage et énervé que l’on me vend le soir même comme un « croisement entre DEVO et Thee Oh Sees ». En résumé, le public veut bouger et la musique introspective d’Igarashi ne les contente que très peu. Tout ce microcosme, m’informe-t-on, se connaît et forme donc une même scène : rock, jeune, confidentielle, artistique et bruxelloise. Untel a des projets artistiques avec Kanal, certains forment des side-projects avec des membres de Warm Exit, d’autres ont fondé Purrses, un groupe ami dont le deuxième EP est sorti en février. Bref, tout le monde se connaît et évolue dans le même milieu. 

Une leçon de garage en 30 minutes

Vers 21h, Warm Exit prend enfin place sur scène. Guitariste et bassiste en shorts de sport, batteur en bleu de travail et claviériste en jogging, le groupe reflète une image insolite mais cohérente. A peine le temps de saluer le public que le boucan commence. Durant la prochaine demi-heure, la tension et les décibels ne baisseront quasiment jamais. Sauvage, agressif, faussement bordélique, le groupe sonne étonnamment carré et rodé, maîtrisant parfaitement l’art de la rupture et des changements de rythmes qui parfument leurs compositions. Définitivement plus Thee Oh Sees que DEVO, Warm Exit enchaîne les agressions garage rock d’une énergie inédite, alors que le public, lui, se balance discrètement et timidement au rythme de la musique. Il faut dire que, étrangement, le seul téméraire à avoir osé bouger un peu plus que les autres s’est fait sortir de force par la sécu.  

Toujours est-il que la performance est galvanisante, probablement nourrie par la frustration du groupe de ne pas avoir pu jouer devant un public depuis plus d’un an. On retrouve d’ailleurs la même énergie salvatrice sur leur plus récent EP, sobrement intitulé « Warm Exit ». La formation y donne une bonne leçon de garage en quatre morceaux d’une simplicité aussi éhontée que satisfaisante. Très fortement influencé par le messie du néo-narage Jay Reatard, l’EP évoque tout ce qui se faisait en Californie aux alentours de 2013 – le bassiste a même le logo de FIDLAR tatoué sur la jambe. Moins présent en studio qu’en live, le clavier apporte néanmoins une nuance mélodique garantissant une certaine originalité. Même si, on l’aura compris, ici, ce n’est pas l’originalité qui compte, mais plutôt cette pulsion sauvage qui donne envie de tout casser. Ce que provoquent aussi bien cet EP que le concert.  

Le set se termine d’un coup sec, sans prévenir. On se remet un peu du choc auditif, on reprend ses esprits. On discute du ressenti de la soirée, puis on reprend la route le long du canal pour rentrer chez soi. Convaincus que Warm Exit, finalement, n’est que la partie visible de l’iceberg du rock confidentiel bruxellois, on a hâte de voir ce que l’avenir lui réserve. Une compilation reprenant Warm Exit, Purrses, Gut Model, mais aussi d’autres groupes belges amis comme les Bontridders ou Easy Ego devrait d’ailleurs – me dit-on – sortir d’ici septembre. Et si on ressort de cette expérience les tympans un peu bouchés, on en ressort aussi l’esprit satisfait d’avoir enfin pu découvrir ce bruyant microcosme bruxellois, qui opère dans l’ombre depuis bien longtemps et n’a certainement pas dit son dernier mot. 

Crédits Photos : Recyclart

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