Un balancement entre accélération et descente, fureur et apaisement, beats et nappes aériennes : Arcanes Majeurs, long format de Talita Otović s’ouvre sur un oscillement, un aller-retour entre deux mondes, et presque deux entités sonores. L’artiste, diplômée de l’École des Arts Décoratifs de Paris, s’empare du son comme on utilise l’image, sa matière de prédilection : comme d’une substance que l’on peut malaxer, triturer et finalement, dédoubler. Deux « ambiances », si on peut le résumer aussi simplement, qui communiquent l’une avec l’autre tout au long du disque.
Pensé comme une narration totale entre images et musiques, Arcanes Majeurs dévoilent les vacillements de l’autrice face à une réalité parfois trouble. Une œuvre symbolique donc, qui reproduit un épisode dissociatif qu’elle a vécu – ici, romancé et sonorisé. Techno industrielle, gabber, acid et trance côtoient des plages de synthé tantôt éthérées, tantôt sombres. Bien aidée des textes de Paulo Cormault, Otović met en scène et en forme un trouble personnel et intime pour en faire une œuvre cathartique. Un travail d’expiation qui, à l’écoute seule du disque, produit un flux d’images incessant ; sans l’apport visuel de l’artiste, sa musique est image. Bandes-originales horrifiques du cinéma italien des années 70, esthétique synthétique 80’s, inserts sonores de jeux vidéos, l’album transpire de références visuelles.
Intrigués par cette oeuvre où l’intime s’affiche en public, on a posé quelques questions à son autrice sur ce que signifie chacun des neuf morceaux de l’album – dont les titres sont issus des vingt-et-une arcanes majeures du tarot de Marseille.
L’Arcane Sans Nom
« Scène d’ouverture de l’album, première carte du tirage, début de la quête. Une BO trouble et comateuse qui nous situe progressivement dans la narration du projet sans pour autant laisser présager sa tournure musicale — entre paroles errantes et hymnes technoïdes. »
La Tour
« Flashback d’un état d’euphorie qui a grandi puis s’est éteint dans la fête. Les chuchotements indécryptables du commencement deviennent des voix épiques, illuminations au milieu du chaos. »
Le Bateleur
« Transe et euphorie se métamorphosent progressivement en endurance, inaugurant le combat avec le monde et soi-même. Les chants épiques deviennent cris de désolations et révèlent la dualité qui porte tout le projet. »
Tempérance
« Calme après la tempête intérieure et retour à un état d’irréalité, accueillis par les mots de Paulo Cormault. La partie semble alors s’être fondue dans le tout sans retour possible. »
L’Ermite
« Débuts de l’Introversion et fuite déterminée vers un ailleurs plus lucide mais tout aussi méconnu. C’est une rude quête qui ne peut se résoudre que par l’endurance mentale et la construction d’un nouveau système de croyance opposé à celui que l’on vient de voir s’écrouler. »
Le Fou
« Sortie brutale de l’introversion dans un électrochoc qui fait repartir le cœur. Soudainement plus de poids, plus de petites voix, juste la volonté d’oubli et d’extase incessante jusqu’à ce que la prochaine épreuve se présente. »
La Lune
« Énième retour à soi et en soi. La désolation s’assimile peu à peu comme une composante essentielle de la quête, elle est désormais moins douloureuse car rendue nécessaire à toute évolution. »
Le Monde
« Fuite d’un idéal avant sa destruction imminente présageant la fin d’un cycle et le début d’un suivant. »
Le Pendu
« Fin de la quête pour le début d’une nouvelle poursuite inconnue et acceptation de l’immuable cycle, oscillant entre pulsions de vie et pulsions de mort. La volonté d’être maitre de son destin transcende chaque épreuve dans ce qu’elle a de plus extrême à nous proposer. »
Talita Otović, Arcanes Majeurs