Complet comme toujours, le Marathon cuvée 2019 a su nous prendre par la main et nous emmener vers des territoires inconnus, qu’ils soient minimalistes et doux ou plus tapageurs. 

Une ombre plane sur la Gaîté Lyrique. Ce n’est pas la nuit déjà noire qui se déploie mais une présence plus mystique. Cette ombre, c’est celles des figures tutélaires des musiques électroniques – au sens large du terme – qui, ce samedi d’automne, montent sur scène à l’invitation du festival Marathon. Et lorsque l’on parle de figures tutélaires, nous ne pouvions pas dire mieux : Donato Dozzy, pape transalpin d’une techno sombre et gazeuse et Terry Riley, monument de la musique répétitive, avant-gardiste et savante du XXème siècle sont présents ce soir.

Un tour de force que rares peuvent se permettre mais pour le Marathon, cela semble tout naturel tant, depuis six années, l’événement conjugue dancefloor et extase savante en un mélange ambitieux et salvateur. Cette année, mis à part ces deux monstres électroniques, nous avons aussi pu être secoués par le live de Max Cooper, emportés aux confins du réel par une pièce de Brian Eno et gentiment malmenés par les expériences d’Apollo Noir. L’événement continue ainsi de démontrer d’une diversité à toute épreuve, car peu de choses, mise à part la technique et les machines, lient Brian Eno à Max Cooper ou Apollo Noir. Marathon conserve néanmoins un fil conducteur précis et aventureux, là où d’autres ronflent sur leurs acquis. 

Mais de toutes ces performances, la plus marquante reste l’interprétation de Drumming, pièce fleuve de Steve Reich, parrain spirituel du festival ( « notre idole », déclarent les organisateurs) par l’Ensemble Links. Dans la grande salle de la Gaîté plongée dans le noir, des îlots scéniques émergent du public : plusieurs petites scènes sont disposées dans la fosse et non sur la scène principale initialement prévue à cet effet. Des micros suspendus tombent juste au-dessus de nos têtes, des musiciens apparaissent alors et se lancent dans cette pièce maîtresse de Reich, en intégralité. Nous pouvons (presque, parce qu’il y a du monde) circuler autour de ces petites scènes et admirer la synchronisation, puis dé-synchronisation progressive des musiciens devant leurs marimbas, glockenspiels et autres percussions. L’art de l’infime du compositeur américain est alors sublimé par la proximité, comme si nous pouvions agrandir à l’envie les notes et les mélodies. Nous sommes une sorte de loupe géante sur ces cellules rythmiques répétées à l’envie, qui se décalent – ou se déphasent – progressivement. Un tout petit changement par phrases musicales se fait entendre et permet de créer un mouvement dans une musique qui, par définition, est répétitive, cadrée. Tout en étant attentifs aux moindres notes, aux moindres oscillations, l’ensemble nous apparait plus largement, dans son entier. Le flot musical ininterrompu et cristallin nous enveloppe, tel un cocon nuageux et doux. 

Nous pourrions discourir à l’envie sur cette performance qui nous a marqué – mais aussi sur les autres, notamment le live de Donato Dozzy, mental à souhait, ou celui tout en violence rentrée d’Apollo Noir (aussi producteur de l’album de Buvette, avec qui nous avions discuté il y a quelques temps). Ou bien celui de Max Cooper, plus convenu dans sa structure, mais qui arrive à prendre une autre dimension grâce aux visuels en 360°. Ou bien sûr, la venue de Terry Riley himself sur scène, sa longue barbe savante devant des machines complexes. Bref, nous pourrions discourir à l’envie sur Marathon, tant cet événement fait du bien à l’âme. Mais le mieux reste de s’y rendre, un soir d’automne, afin d’en découvrir un peu plus sur la jonction entre musiques électroniques et musiques savantes, et tout le bien qu’elles peuvent nous procurer.

Crédit Photo : Thibault Boissier