Il existe des musiciens pour qui la musique est tout. Elle n’est pas seulement une passion, une envie, une façon de gagner sa vie avec nonchalance, ou un moyen de voir son visage dans les journaux. La musique est tout, c’est une question d’existence même, de raison de vivre. Buvette est de cette catégorie-là.

Alors oui, cela sonne un peu excessif à notre époque où tout un chacun peut se revendiquer multitâche, toutes options et versatile. Une telle dose de sincérité et d’envie est à minima, suspecte, voir poseuse : pourtant nos doutes s’évanouissent rapidement, tout comme à l’écoute de sa musique. Apparu en 2013 sur nos radars avec un premier titre qui dénotait par sa mélancolie synthétique, The Goodbye Party, il a surtout bluffé son monde avec son premier long format, Elasticity. Pop, fougueux, multiple, un premier album non pas foutraque mais simplement complexe, comme ses envies et ses idées. Il a depuis beaucoup tourné, et on l’a même croisé en tant que barman volontaire en festival.

Un peu avant la sortie de son nouvel EP, Life, nous avons échangé longuement avec Buvette. Musique, production, création, concession, programmation, lâcher-prise, fête et sens de la vie : tout y est passé.

Comment ça va ? Comment s’est passé le concert, hier soir ?

Ça c’est hyper bien passé oui ! À présent on est deux sur scène. À chaque disque son propos et Elasticity, le disque précédent étant beaucoup plus instrumental, je le tournais en groupe. On était quatre, cinq. On joue à deux aujourd’hui, avec Charlie. J’avais proposé à Rémi, Apollo Noir, avec qui j’ai produit le disque, de venir avec moi sur scène mais il a du décliner pour des raisons d’emploi du temps, et il m’a présenté Charlie. Il vient de Reims, il est ultra-fort, il se fait débaucher dans tous les sens. C’était le neuvième ou dixième concert sous cette formule depuis l’été dernier et ça s’est ultra-bien passé. C’était une super belle soirée, comme tu l’as entendu hors-antenne on a fini bien tard (rires).

J’adore ce genre de soirée, où tout nous rassemble, autant sur scène que dans la salle, il y a presque une dimension sociale qui me touche beaucoup avec tous les artistes du label, les amis, les proches qui sont rassemblés autour de la musique, ça m’émeut à fond. Je trouve ça super fort, c’est la substance même.

Je vous avais vus sur scène au New Morning il y a quelques mois, c’était la même formule donc ?

Oui, même formule, et pire concert que l’on ait fait.

J’ai trouvé ça sympa ! Enfin, de mon point de vue.

Sur tous les concerts que l’on a fait, celui-là, c’était le pas bien. Mais depuis on a fait une résidence, on était encore un petit peu en construction de l’EP et de l’album à venir. Il y a des tracks que l’on a jouées hier en live qui ne seront peut-être pas sur disque. On est beaucoup plus précis maintenant. Et puis même, il y a des soirs sans.

L’EP va sortir et l’album est en cours, est-ce que l’écriture a été influencée par le live ?

Je pense que oui, le live a beaucoup influencé le disque. C’est aussi pour ça que j’ai voulu commencer à jouer en live à deux avant même d’avoir quoi que ce soit de fini, c’est pour être dans une réalité dans la musique que je fais. Sur Elasticity, il y avait vraiment beaucoup de choses, et le live s’est monté après. Dans le disque, j’avais mis trois pistes de guitare, deux lignes de clavier, la basse, etc. Mais on est quatre sur scène. On garde quoi, c’est quoi l’essentiel ? Il faut toujours tout ré-interpréter. Alors que là, les morceaux que je fais sont déjà pensés pour le live, comme on joue depuis assez tôt dans le processus. Je pense à comment je vais le jouer, à une cohérence. Je bosse sur un disque où j’essaye d’aller vers le moins, par rapport au précédent. Il sera bien plus épuré, je suis plus sensible aux idées d’extase, de silence. Il y a un vrai aller-retour avec le live oui, et certains morceaux sont même créés sur scène.

Je le fais plus avec une pote avec laquelle je fais des performances, Maya Rochat, une artiste visuelle : c’est de l’improvisation et ce qui est intéressant c’est que parfois, des morceaux naissent de ça. J’enregistre tout, et c’est une sorte de laboratoire de création. Ça sort du contexte classique du concert où les gens sont là pour un disque, une musique précise, une scène, un son frontal. Avec Maya, c’est plus une installation immersive et c’est un bon moyen pour moi de tester de nouveau trucs. Il y a toujours un lien entre les deux.

Ça te permet d’avoir deux terrains de jeu différents.

Oui complètement. Avec Maya, la musique fait partie de l’installation qui est surtout visuelle. Moi je l’accompagne. C’est un feeling très différent que de jouer des morceaux que tu défends, entre guillemets. Des fois j’intègre des morceaux, mais ça reste un processus hyper différent. Je pense que je préfère quand même faire des concerts et jouer mes morceaux. Il y a un truc dans l’énergie, le propos, les textes, qui est important pour moi. J’aime donner toute mon énergie.

Par contre je reste super attaché à l’idée de faire de la musique de plusieurs façons. J’ai encore un autre projet, un vieux projet, WTF Bijou, dans lequel je joue de la batterie avec mon pote de lycée. C’est un truc que je fais depuis aussi longtemps que Buvette et c’est une sorte de cour de récré. On peut ne pas faire de concerts pendant deux ans, puis booker quelques dates, en faire une dizaine. On a sorti que des 45 Tours jusqu’à maintenant, et pour moi c’est important de pouvoir varier les trucs. J’aimerai même avoir un autre projet, genre des claviers dans un groupe de reggae (rires). C’est important d’ouvrir le plus possible, ça nourrit la création d’une façon ou d’une autre. Faire de la batterie par exemple, ça va générer plein de choses qui n’ont rien à voir avec la batterie.

Ça ouvre des possibilités, et ça te donne même des soupapes pour relâcher la pression sur un projet.

Complètement oui !

Est-ce qu’Apollo Noir a réussi à faire ça, à t’ouvrir à d’autres chemins ? Il a produit le disque, donc, avec tes compositions ?

Oui, c’est mes compos. J’arrive chez lui, avec les idées de morceaux, quelque chose d’un peu sommaire justement, je ne prends pas beaucoup de temps pour bosser sur les synthés, on va le faire chez lui ça. J’arrive avec un moule assez basique du morceau, et on va surtout profiter de son immense connaissance et de son matos pour grossir la musique, lui donner une patte. À chaque disque, quelque chose de différent : sur Elasticity, c’était cette notion de groupe, de jouer à plein, d’être collectif.

Dans Life et puis l’album que l’on prépare, il y a cette idée de lâcher-prise, de confronter la musique à quelqu’un d’autre.

Je n’ai jamais fait ça, sur tous les précédents disques, j’ai toujours été sur les talons de l’ingé son, je ne lui permettais même pas de mixer si je n’étais pas là de peur qu’il aille dans une direction autre que la mienne. J’étais controlfreak. C’est la « contrainte » que je m’impose désormais, de lâcher-prise, de laisser Rémi (Apollo Noir) proposer des trucs, que l’on garde ou non. Je lui envoie mes sessions de travail, et je lui dis « c’est toi qui fait ».

Est-ce que c’est venu de toi, de t’imposer un producteur ?

Oui, je pense que c’est bien de changer, de ne pas faire les choses de la même manière à chaque fois. Les choses que je faisais avant Elasticity, tout seul, je sais faire maintenant : autant explorer autre chose. Et là, ça a été une super rencontre, même humainement. On est devenu potes, ça fait pas longtemps que l’on se connait en fait.

Ah oui, ça fait un gros changement.

Oui carrément, mais je suis hyper content. C’est trop bien.

J’ai pu écouter l’EP et, il est forcément différent d’Elasticity, il est plus épuré, et … 

Mais en même temps, plus intense, non ?

Oui, exactement, plus « dark », plus sombre, froid. Notamment le dernier morceau, qui est très club.

Pour moi, il est un peu  « exercice de style » ce morceau. Ce n’est pas forcément la musique que je fais, mais ça fait longtemps que j’en avais envie, de faire un morceau un peu plus club, décomplexé, un peu libre, et rapide. Je fais de la musique plutôt downtempo d’habitude, j’avais envie d’ouvrir. En fait, l’EP est un peu l’étalon de l’album. C’est un peu l’équilibre que je cherche à avoir : un morceau hyper rythmique, un morceau sans beat, un morceaux chanté, deux instrumentaux. Quelque chose de très formaté pop, comme In Real Life quoi, qui permet derrière d’avoir beaucoup de liberté sur d’autres. Tout l’EP je le pense comme ça, une sorte de préface.

Tu l’avais imaginé comme cela depuis le début ?

Pas tout de suite non, on fait beaucoup de musiques avec Rémi et il y a des trucs très disparates. Au début, cela devait juste être un album. C’est le label qui a suggéré de faire un EP d’abord, et j’en avais jamais fait avant. C’est un exercice que j’ai bien aimé, avoir cet exercice d’unité, de raconter une histoire mais sur un format plus court.

Il y a ce truc un peu frustrant aussi avec le format album : tu vas bosser dessus pendant un an et demi, l’album sort, tu vas faire des concerts pendant six mois, huit mois, un an si ça se passe super bien, et puis tu en fais en autre. C’est finit, on va en refaire un. Alors que là, j’aime bien cette idée de temporalité qui est plus en phase avec notre époque, de pouvoir balancer de la musique régulièrement. J’ai envie que pendant un an, tous les deux-trois mois, quelque chose sorte.

Tu peux aussi modifier le contenu au fur et à mesure, presque sur le moment.

Oui exactement. C’est une même équipe qui s’occupe des visuels – mon pote Charles Nègre, qui a fait la pochette de Life, fera le reste. L’idée est d’avoir une grosse unité, où Elasticity était très éclaté, même sur la pochette et les clips, très éclatés. Le propos est d’être beaucoup plus précis et raccord sur le tout.

Comment s’est passé le clip avec Joseph ?

Hyper bien. Joseph vient du même bled des Midlands que Raury (Infinite Bisous), ils sont potes d’enfances et ont grandi dans le même trou ensemble. C’est par lui que la rencontre s’est faite, à un moment où il était question qu’il bosse avec Flavien. Ça ne s’est pas fait, mais Élodie (l’attachée de presse) a eu l’idée de lui proposer des morceaux de l’EP qui était presque fini. Il est revenu vers nous en ayant choisi In Real Life donc, ça a été une super rencontre. On est allé à Londres, dans un immense studio qui a servi pour Star Wars et Mary Poppins.

C’était une pure expérience ! J’y suis allé tout seul, j’étais au milieu d’une équipe d’une vingtaine de personnes, c’était un peu intimidant. Il shoote en pellicule, donc quand on te donne le signal, il faut y aller. Ça a créé une super amitié avec Joseph, on se voit souvent, c’est quelqu’un d’hyper curieux et barré, il est génial.

C’est lui qui est arrivé avec l’idée, le scénario ?

Oui c’est lui, on a affiné le truc tous les deux sur Skype puis en amont du tournage à Londres. C’est très différent de la scène.

L’EP sort demain, j’imagine que des dates vont se mettre en place ?

Petit à petit oui, c’est un moment un peu charnière car beaucoup de festivals du début d’été sont déjà bookés, et plusieurs sont en attente de voir les retours sur l’EP à venir, dans la presse etc pour se positionner. Et moi ça me … J’organise un festival en Suisse, Haute Fréquence, depuis 6 ans, dans le bled où j’ai grandi en montagne. C’est un festival de potes, on a fait autant venir Mdou Moctar que Helena Hauff ou Legowelt. La musique que l’on propose est très large. Je me retrouve aussi de l’autre côté puisque je construis la programmation. Je trouve ça assez triste en fait de fonctionner comme ça, c’est contre la musique.

S’il y a un projet que tu aimes, qu’il ait 25 likes sur Facebook et qu’on en ait jamais entendu parler mais que tu aimes beaucoup, évidemment ça ne va pas remplir ta salle mais tu te débrouilles, tu le mets en première partie, tu te débrouilles pour faire vivre les choses en quoi tu crois.

Parler en nombre de likes, de vues, c’est contre-productif. Je pense que s’il y a un projet que tu aimes et que tu te trouves en position de programmateur radio ou festival, il faut les défendre, les faire vivre. C’est capital, c’est de la musique et non une agence de tendance. Il faut le faire découvrir aux gens.

Je suis d’accord oui, et puis d’autres personne que toi peuvent apprécier le projet.

C’est surtout le boulot d’un programmateur, ce n’est pas de t’inviter les gens dont tout le monde parle. J’ai foi vraiment en les gens qui défendent ça, et qui pourraient crever pour la musique. Je ne fais pas de la musique parce que je ne sais pas quoi faire d’autre, ou que je veux chopper des filles sur scène. Je fais de la musique parce que je n’ai pas d’autres choix, je pourrai crever pour ça. Rien d’autre ne m’anime autant que la musique. Les gens doivent rester le plus curieux et ouverts possible, et ne pas suivre la norme, ou écouter ce qu’on leur dit d’écouter.

Toi en tant que spectateur, tu irais à quels festivals ?

Par exemple les Siestes Électroniques à Toulouse, c’est une programmation de dingue, et il ne l’annonce même pas. (bon, ils l’ont fait sur une édition, ils annoncent leur line-up depuis, ndlr)
Je n’ai jamais pu y aller, mais je suis assez sensible à ce qu’ils font, avec leur revue Audimat aussi. Le Baléapop sinon, je ne suis pas super objectif vu que ma copine l’organise. Cette année est la dernière, ils font un best of en invitant tous les artistes qui ont marqué le festival.

Tu y seras ?

Mon festival tombe en même temps en fait, et c’est hyper compliqué, on en parle pas trop à la maison (rires). On a du décaler le festival parce qu’il y a la fête des vignerons, un truc qui a lieu qu’une fois tous les quarts de siècle, une fois par génération. C’est immense, il y a un million de visiteurs attendus, on ne peut pas le faire en même temps.

À Paris je trouve cool le Sonic Protest, le propos me plaît. J’aime les trucs avec beaucoup d’identité, une esthétique forte et assumée.

Je ne vais pas aux festivals qui proposent la même programmation, c’est quoi le but ? Je comprends la démarche, mais en allant dans un festival, j’ai envie de ne rien connaître et de prendre une belle claque pour repartir en me disant « j’ai découvert ça, ça et ça, c’était génial. »

Je trouve super que ces artistes soient là, procurent de la joie aux gens, vraiment. Ils n’y peuvent rien d’ailleurs, ils sont invités et ils jouent. On manque un peu d’événements comme ceux-là, ou de lieux comme les Instants Chavirés. Je suis touché par cette sincérité.

Life est disponible sur toutes les plateformes d’écoutes. Buvette sera en concert le 8 mai prochain au Point Éphémère.