Producteur polymorphique à la tête du label scandinave Northern Electronics, Varg est très loin d’en être à son premier coup d’essai. Après s’être lancé dans l’élaboration d’une série baptisée Nordic Flora Series, publiée entre son propre label et notre signature danoise favorite Posh Isolation, il a sorti sa 5ème et dernière partie Crush cet été, ce qui avait forcément tout pour attirer nos oreilles.

Infatigable, Varg réussissait encore à nous étonner avec son dernier EP I’ll hold you till we die sorti sur le très bon label de Silent Servant, Jealous God, en mai 2017. Entre danses macabres sur les rails d’un train de seconde zone et accélérations en fin de virage, la tonalité de l’EP demeurait noire et tourmentée tout au long de l’écoute, jusqu’au final contrasté par une ouverture plus paisible.

Varg semble aujourd’hui vouloir boucler l’affaire Nordic Flora et en finir avec cette série de compiles qui commence à ressembler à une hydre. Toujours branché collaboration, il a mêlé dans beaucoup de ses compilations des samples de monologues tantôt en suédois, tantôt en anglais, qu’il accompagne par une nappe de synthétiseurs très profonde et légère. Plus les séries passent et plus il s’enfonce dans un délire ambient, où le kick et la techno s’effacent pour un froissement sonore en continu.

D’ailleurs, la série 4 appelée Techno Music était une certaine remise en question du sens de ce style musical ou de ce qu’il est censé être. Les images préconçues qui nous viennent à l’esprit quand on y pense sont en général une forte ligne de basses, un BPM élevé et un enchaînement de backbeats qui tournent en boucle. Varg y défiait tous ces a priori en utilisant les notes sans les répéter et en allongeant leur impression de durée, tout en les conservant dans une ambiance froide.

Si on a attendu le cinquième et dernier volume de la série pour parler de Nordic Flora, c’est peut-être parce que Varg magnifie son art sur cette note de fin. Peut-être aussi car le premier morceau utilise la voix française de Morning Star, qui nous parle forcément plus intelligiblement que les discours scandinaves. Ou peut-être qu’on était juste passé à côté de ce magnifique objet musical.

Titre d’ouverture, Music for Breakups est un court instant d’innocence, un sentiment de pureté et de nouveauté qui introduit l’album. Le reste fait se succéder titres d’ambient option spoken word avec d’autres de techno plus dur. Crush frôle et flirte avec le crash sans pour autant l’atteindre. D’ambient en techno, nous faisons connaissance avec le cri cru et crispée d’une âme errante, qui rentre souvent en collision avec les autres.

Varg continue d’utiliser le même style de transition que dans ses précédentes compilations : il fait appel aux mêmes artistes, AnnaMelina et Chloe Wise, qui semblent mettre en dialogue leurs pensées. Le lecteur est alors amené à changer sa posture, il n’est plus là pour dériver dans le divertissement, mais pour écouter dans une forme non-passive. Comme un rappel à l’ordre, Varg chamboule notre appréciation de la techno pour recentrer sur l’essentiel, l’émotion. Une émotion qui se fait parfois palpable : on ressent de la tendresse dans beaucoup de titres, comme le Rush/Tinder et Placing my Iphone X Facing up to see when you answer my texts où l’on frôle la lévitation avec des nappes très aiguës.

Finalement, on découvre presque ici la bande originale d’une rencontre, humanisée par les monologues et les réflexions personnelles issues de chaque rendez-vous sonore reconstruit en chanson.

“It’s not about the money, it’s about the memories”

Varg exprime des pensées noires par moment, mais qu’il relie toujours à une sorte de relation salvatrice, un amour sous-jacent qui pardonnerait tous les écarts. Une lutte interne qui se ressent lorsque les sonorités s’opposent, comme tout le long de U Control the Ocean.

“Internalize fear and regret art”

Blue Line 2 pourrait faire penser à une chanson pop de The Weekend ralentie et cryptée, et si on ose dire, ca ressemblerait presque à du Burial. Comme pour exprimer la perte de connaissance, le lâcher prise d’une histoire qui n’a plus de sens. La chute émotionnelle se met en pause quelques secondes, et l’on savoure encore une fois le goût de l’innocence.

Une dégradation se fait sentir sur Stars & Vanity Lights, comme un déraillement prédit qui vient faire s’enrayer la machine, malgré les faisceaux qui éclairent pleins phares. L’érosion des émotions avec le temps est inévitable et semble atteindre sa dernière phase. La nostalgie était déjà prenante lorsque les messages envoyés et les conversations brûlantes d’un temps révolu étaient ressassés dans Archive 2. Là, on se met à conjuguer au passé.

Avant le coup fatal de Final Crush, le crash des derniers titres se fera dans la lenteur, comme la décomposition d’une étoile ou d’une composante primaire de la nature en un élément transparent, inutile, qui disparaît dans le fade-out. Dans son ensemble, Crush sonne comme l’acte fragile d’une âme trop sensible, trop innocente pour son univers. Une âme qui s’ouvre au moindre appel émotionnel mais se brise face aux réponses divisées, écartelant son coeur par milliers, sans possibilités de contrôle.

L’album Crush est disponible en vinyle sur le site de Posh Isolation.