En huit ans d’existence, cette plateforme digitale aux fonctionnalités pas si nombreuses s’est imposée auprès de nombreux acteurs de l’industrie musicale, des artistes aux internautes en passant par les maisons de disques. Parmi les premières success stories du web depuis que ce dernier est devenu social, Bandcamp ne doit sa position actuelle qu’à sa motivation originelle : la véritable passion pour la musique.

Ce n’est plus un secret pour personne, l’industrie musicale part à vau-l’eau. L’heure est simultanément au téléchargement, à la renaissance d’un support physique et à l’arrivée d’Apple Music censé redynamiser un marché du streaming saturé d’offres. Mais comme l’indique HH Albrecht lors du MIDEM 2015, une plateforme n’en finit plus d’accumuler les victoires loin de tout le microcosme de cette économie.

Chaque acteur du secteur se trouve en recherche perpétuelle du modèle économique parfait, Saint Graal raréfié et mystifié de l’industrie musicale des années 2010. De son côté, Bandcamp peut légitimement revendiquer sa place d’exemple par sa singularité, son orientation visionnaire et son esquive des codes.

 

Historique : l’héritage de Myspace

Tout est parti d’un groupe que j’aimais vraiment beaucoup et que je voulais aider. Nous étions en 2008, à l’époque des MySpace, Imeem et ce genre de plateformes. Vous aviez très peu de choix si vous vouliez réussir en tant qu’indépendant. Si vous vouliez vous créer votre propre identité, vos propres visuels, votre propre logo, et cela sans voler ceux de quelqu’un d’autre, vous deviez engager un designer, un réalisateur, un agent… Tout ça me semblait dingue.” – Ethan Diamond, interview à Billboard, mars 2015

Jusqu’en 2007-2008, peu de médias sociaux fonctionnent en Europe à l’exception de MySpace. De nombreux artistes internationaux percent grâce à la plateforme, notamment les Arctic Monkeys, Lily Allen ou encore Micky Green. Mais dès son arrivée en 2007 en France, Facebook rebat les cartes et s’impose aux internautes comme véritable nouvelle technologie de l’information et de la communication. Après le déclin de la plateforme de “Tom” engendré par de plus en plus de contenus non souhaités (publicités et morceaux lancés automatiquement sur les murs de commentaires, trop-plein de gifs…), c’est Bandcamp qui décroche l’amour des musiciens souhaitant acquérir une notoriété en ligne.

Car même si Soundcloud démarre la même année, la plateforme de Alexander Ljung s’oriente à l’origine (et malgré elle) vers les DJs, producteurs électroniques et groupes de hip-hop. Toni Schneider (également fondateur de WordPress, NDLR) et Ethan Diamond recueillent de leur côté une majorité d’artistes orientés rock et affiliés. Un segment idéal, surtout pour les indépendants qui caractérisent une cible déjà fidélisée.

Ethan Diamond au XOXO Festival 2014

Ethan Diamond au XOXO Festival 2014

 

La découverte musicale au centre des attentions

“Les fans veulent soutenir les artistes qu’ils aiment.”

Au contraire de Spotify, Deezer et tous les autres services d’écoute en ligne, Bandcamp ne mise pas sur la découverte par l’écoute et la playlist, mais plutôt en ouvrant les portes de l’univers de l’artiste. La découverte musicale par lecture sonore paraît bien futile, mais les actions de “like” ou de clic sur un e-shop révèlent l’intérêt de l’individu visitant le site. Des indicateurs de performance (KPI dans le langage marketing) importants pour le fondateur Ethan Diamond, qui choisit de donner toutes les clés en main aux artistes. Ces derniers convertissent ensuite les internautes en acheteurs, donc en clients. L’Américain s’explique sur le site Musically :

“Si quelqu’un écoute un morceau, je m’en moque ! Je ne suis pas intéressé. S’ils cliquent sur le bouton like, c’est un petit peu plus intéressant. Mais si quelqu’un se sent assez en phase avec un album pour dépenser de l’argent dedans, ou plus important encore encourager l’artiste qui l’a fait, et pourquoi pas expliquer pourquoi il a aimé [la musique], là je suis intéressé.”

Une démarche commerciale pour une bonne cause. En 2014, Bandcamp indique sur son blog avoir reversé plus de 100 millions de dollars aux artistes présents sur sa plateforme. Aujourd’hui, Bandcamp est la première plateforme digitale de promotion pour les indépendants.

Courtney Barnet - Milk! Records

Courtney Barnet – Milk! Records

 

Nouvelles technologies et comportements sociaux : la vision Jobsienne

En plus du fort potentiel de son concept, Bandcamp peut se targuer de concevoir la musique comme vecteur d’interaction sociale direct. Privilégiant un aspect du streaming mis en oeuvre par les webradios, le dispositif mobile mis en place s’adapte parfaitement avec son système de “direct-to-fan” sans tomber maladroitement sur le même fonctionnement que Spotify ou Deezer.

Déjà en avance sur Tidal, Ethan Diamond met à disposition plusieurs formats pour les oeuvres, sachant pertinemment que les passionnés de musique sont de moins en moins attirés par le mp3. À l’instar d’Apple qui révolutionne en 2001 l’écoute mobile avec l’iPod, Bandcamp souhaite se positionner comme une marque qui altère les habitudes des utilisateurs. Ethan Diamond s’explique sur le site hypebot :

“Pour moi, la pièce maîtresse est d’avoir un système social de découverte musicale, mais qui se base sur le principe de possession. Un concept frictionnel qui contraste avec [l’industrie]. Les gens se détournent du téléchargement, mais il y aura toujours des auditeurs voulant avoir accès aux fichiers en haute qualité et ce hors-connexion. […] Nous fournissons aux utilisateurs des accès à ce type de compte pour fans. Oui, vous obtenez un fichier téléchargé – et en plus de soutenir l’artiste – vous y êtes connecté instantanément depuis n’importe où.”

Bandcamp opère donc une disruption en choisissant d’aller à contre-courant de l’analyse des chiffres, qui démontrent une perte d’intérêt des internautes pour la propriété des fichiers musicaux. Un pari gagnant pour une start-up qui a décidé de s’adresser à une cible de niche : les mélomanes. Auparavant gratuit, le site poursuit sa mutation en formule payante. Cette nouvelle vision du financement participatif permettra donc aux artistes de fournir des accès exclusifs à leurs fans. Un système actuellement en version beta, que l’on perçoit déjà comme gagnant.