Le indie rock vit en 2007 des heures mémorables avec un nombre incroyable de très belles sorties aux quatre coins du globe. Les canadiens d’Arcade Fire et The New Pornographers prennent de l’ampleur, Architecture In Helsinki reste sur le devant de la scène depuis son Australie natale et les Américains se partagent équitablement les richesses entre le retour attendu d’Interpol et la belle confirmation de The National, groupe désormais arrivé à maturité.

De son côté, le Royaume-Uni sort logiquement grand vainqueur de cette année grâce à ses vétérans (Ash), ses jeunes soldats (Arctic Monkeys, Editors, The Go Team !) et sa nouvelle génération prête à en découdre (The Pigeon Detectives, The Maccabees). En parallèle, on pourra pointer du doigt les Klaxons qui mettent la main à la pâte pour terminer le pont indie-electro que Metronomy a déjà commencé à bâtir. L’heure de gloire de Franz Ferdinand est passée, les Arctic Monkeys sont en tournée et le trône du rock indé anglais reste désespérément vide, chaque groupe étant trop occupé à atteindre son heure de gloire. Seulement, Bloc Party a déjà pris tout le monde à contre-pied en sortant A Weekend In The City à la fin janvier.

De gauche à droite : Matt Tong, Russell Lissack, Kele Okereke, Gordon Moakes. Crédit photo : Nikolaus Brade, juin 2012.

Bloc Party : un groupe à part.

Motivé et terriblement ambitieux, Bloc Party ne se présente pas comme tous les groupes de son territoire. Nous étions prévenus dès 2005. Devenues incontournables avec le temps, l’urgence et la touche ambiante de Silent Alarm apportaient une saveur nouvelle au rock indépendant britannique, alors biberonné à la post punk de Joy Division et à la brit rock d’Oasis. Kele Okereke le déclare lui-même, « dans ce groupe, chacun sait ce qu’il a à faire » (Magic RPM, 2005, NDLR). Tel un groupuscule parfaitement organisé, Bloc Party tourne, écrit et compose sans s’arrêter à l’image d’une machine bien huilée. “Banquet” et “Helicopter” résonnent encore dans les esprits et le groupe fait alors scission avec les Arctic Monkeys qui assument leur identité sonore très anglaise. Alors que les londoniens présentent un son beaucoup plus alternatif. Deux groupes, deux écoles. Deux ans après son premier opus, les fans attendent logiquement le quartet au tournant. Le single “The Prayer” sort le 29 janvier et annonce la couleur : rythmiques endiablées, riffs incisifs et chant drogué à la MDMA. A Weekend In The City, sans se montrer comme un concept album classique examinera à la loupe la vie en ville, les comportements sociaux, l’abus de drogue, la sexualité et le terrorisme. En somme, un album qui raconte son temps. Plus important que son thème et son parti pris, lorsqu’on écoute la discographie de Bloc Party dans son intégralité, l’album ressort très vite du lot.

A Weekend In The City : disque rondement ficelé.

Peu importe l’appartenance ou la lignée, un artiste marche toujours sur des œufs dans la production d’un second effort, l’épée de Damoclès au-dessus de la tête. Les paris ne sont pas faits mais d’ors et déjà établis : ce sera la confirmation ou le bûché. Dans le cas de Bloc Party, l’objectif se voulait simple et direct : aller dans une nouvelle direction. Avec une assurance à toute épreuve, le quatuor optera pour un disque beaucoup plus abouti que le précédent, entre lyrisme authentique et frénésie spartiate.

Textes sombres et abrasifs sont au rendez-vous. Dans “Song For Clay (Disappear Here)”, Okereke chante son désarroi face à l’hédonisme, derrière des guitares brûlantes et un tempo acéré. Dénonçant le pouvoir de manipulation des médias et en hommage aux attentats de Londres, le groupe rétorque avec le minimalisme efficace de “Hunting For Witches” dont le riff aussi aiguisé qu’une arme blanche tranche dans le vif. “Waiting For The 7.18” se dévoile en suite logique et prône une évasion pour se ressourcer, en témoigne la phrase mythique du morceau « let’s drive to Brighton on the weekend ». “The Prayer” suit cette même ligne droite tel un stimulant de promptitude, Matt Tong tabassant religieusement les fûts. Russell Lissack fait quant à lui parler sa guitare avec sa ribambelle d’effets, la faisant presque passer pour des synthés. L’urgence est là, mais la plénitude aussi. Bloc Party détend l’ouïe sur “Uniform”, “On”, “Where Is Home ?” et “Kreuzberg”, agissant crescendo pour mieux faire monter la tension. Le calme avant la tempête ? Pas tout de suite. “I Still Remember”, single évident de par ses rythmiques simplistes et ses guitares pop certainement empruntées à U2, redonne un semblant d’espoir. Entre accalmie et énergie, Bloc Party nous ramène en centre-ville de Londres, se souvenant encore que cette terre immensément riche culturellement qui est la leur procure d’agréables sentiments. “Sunday”, love song étourdissante irrémédiablement nécessaire au disque, emporte dans les nuages. Gordon Moakes lâche sa basse un instant et rejoint son collègue derrière une batterie pour mettre en exergue la force de l’amour si nous prenons le temps d’en profiter. “SRXT” clôt l’album de manière majestueuse, regroupant le lyrisme de Radiohead, le psychédélisme de Mogwai et la folie brute de Björk. Les quatre compères brisent leurs chaines et s’évadent vers des terres désertiques sans point de repère, là où tout est possible.

Bloc Party au panthéon du indie rock

La beauté sonore de cette album, calibrée du début à la fin, s’éparpille entre violence féroce et apaisement intense. Tout cela impute naturellement sur une instrumentation pointilleuse. Ici, le combo guitare-basse-batterie ne suffit déjà plus. Outrageusement utilisés dans les plages sonores, le xylophone, les synthétiseurs, les loopers et les boites à rythmes se fondent dans leur environnement si bien qu’on les perçoit à peine. Matt Tong démonte tantôt les peaux ou s’applique agilement pour sortir des beats presque électroniques. “Flux” en est le très bon exemple, hit electro-pop qui fera passer Bloc Party vers des sonorités numériques un an plus tard dans Intimacy. En un album, Okereke, Lissack, Moakes et Tong font la transition entre rébellion adulescente et fureur inaltérée. Complet et consistant, A Weekend In The City détruit tout sur son passage et ramasse les miettes pour en façonner des morceaux savoureux, comme si le groupe était résigné à construire quelque chose de plus grand que lui. Jacknife Lee (Snow Patrol, U2, Editors…) agit en chef d’orchestre à la production et délivre un travail d’orfèvre au mixage, transformant ce tout que l’on parvient difficilement à croire en ce quoi il était destiné. Une œuvre grandiloquente, entière mais perturbante tellement elle nous prend aux tripes. Cette année là, les alter-égos des londoniens sont en porte à faux malgré eux, avec de belles productions certes, mais qui paraissent dérisoires en comparaison d’une telle œuvre qu’est A Weekend In The City. En 2007, Bloc Party rentre au panthéon du indie rock et passe à l’âge adulte, en seulement 53 minutes et 11 secondes.

Audio : Bloc Party – A Weekend In The City (Full Album)