Parmi les nombreuses crises qui traversent le secteur musical en ce moment, les problèmes d’inégalités et de discriminations se tiennent sur le podium. L’année dernière, la vague #musictoo a déferlé sur l’industrie musicale, ouvrant la voie à de nombreuses associations et groupes non-mixtes crées pour remédier aux inégalités du secteur. Parmi ces propositions, le collectif féminin Venus Club a fait surface à l’aube du second confinement.

D’abord un groupe d’entraide entre femmes DJs, le projet lancé à Paris s’est vite développé, avec pour mot d’ordre d’être ouvert à toutes : on y retrouve tous les styles de musique électronique, et différents niveaux de professionnalisation. Cette diversité les rassemble dans une force décuplée, que vous pourrez constater en écoutant la playlist qu’elles nous ont préparée, pour laquelle chaque membre a contribué.

Plus qu’un collectif d’artistes qui se soutiennent, c’est aussi un lieu d’initiation gratuite à la pratique du mix. Former et encourager de nouvelles DJs est le créneau du Venus Club pour lutter contre l’inégalité des sexes dans la musique électronique. Une stratégie qui porte déjà ses fruits, avec une chaîne de podcasts bien remplie et leur présence sur de nombreux événements culturels en ligne. Pour comprendre un peu mieux ce qui se joue dans ce club, nous avons rencontré quatre de ses membres : A.mo , Cakkou, Belaria et Orianna Denay, qui nous ont expliqué ce que leur apporte ce groupe en non-mixité.


Angélique : A.mo

Quel parcours t’a menée au Djing ?

Pour ma part, je suis baignée dans la musique depuis toute petite, j’ai commencé à apprendre le piano à cinq ans, et j’ai fait plusieurs années de danse dans des styles différents. C’est à l’adolescence que j’ai commencé à découvrir les musiques électroniques. Au fil des années, à force de découvertes et de sorties de plus en plus nombreuses, vouloir apprendre à mixer s’est fait assez naturellement. Partager ma vie avec quelqu’un qui a cette même passion et qui souhaitait également apprendre m’a fortement poussée à me lancer.

Qu’est-ce qu’apporte un collectif non-mixte aux femmes Djs, et plus généralement à la scène des musiques électroniques ?

Je pense que cela apporte une force supplémentaire aux femmes Djs et peut alors les pousser à se lancer et/ou à continuer d’apprendre.

On se sent toutes légitimes, avec une confiance en soi bien plus grande, et le sentiment de devoir « encore plus faire ses preuves » ou prouver que « nous aussi on en est capable » n’est pas du tout présent.

L’existence de collectifs non-mixtes me paraît importante et permettra, sur le long terme, d’avoir bien plus de femmes présentes dans le milieu.

Comment se traduirait l’égalité homme/femme pour la scène des musiques électroniques ?

Selon moi, l’égalité homme/femme pour la scène se traduirait tout simplement par des line-up avec une répartition égalitaire et ne plus avoir un déséquilibre comme ça peut être le cas actuellement, avec une grande majorité d’hommes. Avoir également plus de femmes dans les collectifs, à la tête de labels… Qu’il y ait tout simplement une présence d’hommes et de femmes bien plus égalitaire, à tous les niveaux.


Cassandre : CAKKOU

Quel parcours t’a mené au Djing ?

J’ai commencé a sortir d’abord dans des free party à côté de ma ville en région parisienne. Pendant deux ans j’ai fait toutes les soirées techno, en warehouse, en club, dans les bars, les festivals etc. Mais un jour j’ai voulu voir ce que ça faisait d’être derrière les platines. N’ayant aucune connaissance de ce milieu a l’époque, j’ai choisi de faire un stage de mix dans une école de DJ (oui ça parait un peu cocasse mais c’est vrai). Ce stage a duré deux jours, et j’ai pu y apprendre vraiment toutes les bases, et toucher du matos de pro (cdj 2000 nexus, djm 900). Bon même si je n’ai pas réussi a caler une track pendant ce stage, j’ai compris que je voulais vraiment faire ça !

J’ai ensuite fini par m’acheter de matériel de mix, et j’ai commencé à mixer dans les petites soirées entre amis. Contrairement aux artistes qui ont été négativement impactés par la crise du Covid, je dirais que ça m’a plutôt été bénéfique. En effet, comme il n’y a plus de soirées légales, j’ai pu avoir plein d’opportunités de jouer pour des petits collectifs, des live stream et aussi de rencontrer Elodie et Océane, qui m’ont immédiatement parlé du Vénus Club !

Qu’est ce qu’apporte un collectif non-mixte aux femmes Djs, et plus généralement à la scène des musiques électroniques ?

Je trouve ça vraiment génial de pouvoir parler musique, matériel, label, culture etc sans qu’un mec soit la pour nous montrer par A + B qu’on s’y connaît moins bien que lui. Alors non tous les mec ne sont pas comme ça c’est sûr. Mais pour ma part toutes les fois ou je me suis faite rembarrer pour telle ou telle raison, c’était par un mec, un pseudo puriste, juste en manque de confiance en lui. Heureusement, ça ne m’est pas arrivé souvent.

Entre filles, il y a beaucoup moins ce sentiment de rivalité.

D’une part car on a chacune notre style musicale, et d’autre part car ça ne nous intéresse pas de prouver qu’on est la meilleure. L’importance c’est le partage, l’entraide et la découverte. On s’aide beaucoup entre nous dans le Venus, dès qu’une de nous a un problème ou un questionnement, il y a directement une ou plusieurs Venus prêtes à venir en aide, c’est juste génial et surtout rassurant. Ça nous permet d’avoir une épaule sur laquelle on sait qu’on peut s’appuyer.

Comment se traduirait l’égalité homme/femme pour la scène des musiques électroniques ?

En progrès. Je ne fais pas partie de ces filles qui en ont après les mecs et qui veulent absolument montrer qu’elles aussi ont leur place derrière les platines. Non, je suis plutôt de genre à laisser faire et ensuite expliquer pourquoi tel ou tel comportement verbal ou physique n’est pas approprié. Mais j’ai pu remarquer depuis un ou deux ans que non seulement les comportements changent, mais aussi l’acceptation des hommes change. C’est à dire que maintenant quand on dit à un mec qu’il a “mal” agit, il le prend généralement bien, et comprend notre point de vue. Je dirais que l’environnement homme/femme dans la musique électronique est en progrès et ne va cesser de progresser.


Charlotte : BELARIA 

Quel parcours t’a mené au Djing ?

J’ai découvert la musique électronique quand j’avais quinze ans puis eu mes premières platines à l’âge de dix-huit ans. J’ai donc commencé à mixer il y a trois ans et à réellement me produire en public il y a deux ans. C’est à l’origine grâce à mon autre collectif et label Friendsome Records que j’ai pu avoir diverses opportunités sur Paris.

Qu’est ce qu’apporte un collectif non-mixte aux femmes Djs, et plus généralement à la scène des musiques électroniques ?

Un collectif non-mixte peut tout simplement être vecteur de motivation pour celles qui n’osent pas se lancer. Cela prouve que certaines ont déjà franchi le cap et peuvent donc d’une certaine manière être inspirantes pour d’autres. Plus largement, en ce qui concerne la scène des musiques électroniques, un collectif non-mixte apporte plus de parité et de visibilité aux femmes.

Quand on reprend les chiffres de l’enquête de Wodj datant de 2018 et que l’on constate que 91% des personnes bookées dans les grands clubs étaient des hommes, on a envie de faire bouger les choses.

Comment se traduirait l’égalité homme/femme pour la scène des musiques électroniques ?

Pour ma part je pense que l’égalité homme/femme se traduirait tout simplement par des line-up ou des sorties de compiles paritaires. C’est en s’efforçant d’adopter une telle démarche que les mentalités vont changer et l’image de la femme DJ va se démocratiser. Aujourd’hui, on ne peut plus dire qu’il n’y a pas assez de femmes pour faire en sorte que des événements soient plus égalitaires. À travers le Vénus Club, on a voulu montrer la pluralité des profils artistiques féminins et cela témoigne bien de la disponibilité de profils éclectiques chez les femmes.


Orianna : Orianna Denay

Quel parcours t’a mené au Djing ?

Musicienne et danseuse depuis l’enfance, la musique a toujours rythmé ma vie. Le Djing était la combinaison logique et naturelle, mixer était pour moi une évidence.

Qu’est ce qu’apporte un collectif non-mixte aux femmes Djs, et plus généralement à la scène des musiques électroniques ?

La sororité amène la bienveillance, la confiance, une entraide naturelle sans pression ni jugement, qui permet une évolution individuelle collective. C’est un message fort d’espoir et d’équité.

Comment se traduirait l’égalité homme/femme pour la scène des musiques électroniques ?

Nous sommes artistes, l’égalité est de facto sans équivoque. C’est la même passion, les mêmes compétences, une même sensibilité, et les mêmes émotions éprouvées.


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