De Lobsterfight, on ne sait que trop peu, outre les noms des deux musiciens impliqués et leur ville d’origine. La description de leur profil Bandcamp n’aide pas vraiment : « Music makers ? 1 fish eater. The other guy doesn’t like fish. ». Encore au stade embryonnaire, le duo jouit d’un succès d’estime aux Etats-Unis et reste relativement inconnu dans le reste du monde, renforçant son aspect hermétique. L’homme à tout faire Anguel Sanchez (piano, guitare, synthés, basse, paroles, chant, production, artwork) et le batteur James Gove sont donc des spécialistes en brouillage de pistes. Avec des titres de chansons comme =0, II, III ou V pour le prouver. 

Le duo est également très bon en brouillage de mélodies, noyées dans une déflagration de guitares, de pianos martelés, de synthés dissonants, de paroles gueulées à plein poumons, comme si la vie en dépendait. Leur premier album pink, black, and orange in the corners, enregistré de mai à août 2020, défie l’auditeur en le poussant à jouer à l’archéologue pour trouver, en dessous d’une production minimaliste voire absente, et d’une dissonance expérimentale qui pourrait repousser au premier abord, le sens des compositions. Un peu emo (tendance Midwest), un peu indie, un peu punk, beaucoup plus pop qu’il n’en a l’air, l’album, bien qu’imparfait, relève d’une démarche pure, presque naïve, fonctionnant à l’instinct plus qu’au contrôle.

En un sens, Lobsterfight canalise un art rock brut et incontrôlé. Il est impossible de ne pas penser au maître du genre, le regretté Daniel Johnston, en écoutant les meilleures compositions de l’album, tels que les motifs centrifuges de V ou l’épique frog, lente progression de douze minutes. Comme chez Johnston, l’harmonie surgit de temps en temps, au hasard des compositions, lorsque le duo ne sait plus cacher ses aspirations mélodiques dans le chaos ambiant. Les accords de piano de =0, la guitare folk de III, l’énergie punk de II témoignent d’un raffinement qui pourrait être mieux exploité lors de projets futurs, si le groupe ose nuancer son approche lo-fi sans concessions. 

Justement, la dernière chanson en date du duo, The Restaurant, sortie sur un split avec le groupe Finally Happy, témoigne déjà de l’évolution du projet. Menée par des claviers synthpop, la composition dévoile tout le potentiel de Lobsterfight : groupe fait maison, plus honnête qu’expérimental, aussi brut qu’imparfait. Dans l’une de leurs rares interviews disponibles sur le net, Sanchez ne considère que deux options quand on le questionne sur l’avenir du projet : couronné de succès ou mort et enterré. On lui souhaite bien évidemment la première option.