Ce mois-ci, Arte Creative raconte en douze épisodes la « Touche française » à travers douze morceaux choisis sur vingt ans. Une rétrospective qui fait écho à de nombreuses récentes tentatives de rendre hommage ou souligner l’histoire de la musique française devenue internationale : le film « Eden », la ré-édition du livre de Laurent Garnier « Electrochoc », le nouvel opus de “Super Discount” d’Étienne de Crécy, et « Music Sounds Better With You », livre de Raphaël Malkin.

raphael malkin

 

L’occasion de revenir à froid sur ce livre événement de l’ancien rédacteur en chef de Snatch, sorti l’année dernière, référence évidente à l’un des titres emblématiques de la première French Touch – qui ne pourtant fait pas partie des douze titres choisis par Arte.

La sélection de la chaîne franco-allemande est plus large que le bouquin, et retrace efficacement mais rapidement les différents courants et phases de l’ascension de la French Touch au rang de culture mondiale. Une jolie introduction pour ceux qui n’y connaissent rien et aiment le ton de l’émission TV Tracks.

Quant au livre, une interview avec le principal intéressé nous a permis d’en savoir plus.

Sortir un livre sur la French Touch, est-ce une manière de faire découvrir une culture que tu aimes aux jeunes d’aujourd’hui ?

Avant l’article [ndr : écrit pour Snatch], ce n’était pas forcément naturel. Je n’ai pas de tropisme électronique, j’apprécie la musique électronique mais je ne l’écoute pas en priorité, je suis plutôt un boulimique de rap. En revanche ce qui me branchait, c’est les histoires de gens, des parcours très différents, de destins parallèles, et cette sorte de génération qui est née avec la french touch. C’est un peu mon boulot de journaliste, raconter des histoires. La musique importe finalement peu.

Alors pourquoi avoir choisi ce sujet, écrit au présent, sur une période qui correspond à celle de ton enfance?

Je savais que le film « Eden » allait sortir, on voulait le traiter car ça correspondait au magazine. On s’est dit : « intéressons nous à la scène dans son ensemble ». C’est à ce moment-là que l’idée est née. Le film et le livre sont deux structures qui se rejoignent. Le film va plus loin, il s’intéresse à un seul personnage, de mon côté c’est choral. Les deux projets se complètent. L’idée de faire un bouquin est venue après la sortie de l’article. Je lisais « Génération* », un roman choral sur les personnes qui ont fait mai 68. Je voulais faire la même démarche journalistique pour la French Touch. Ça s’est fait sur le tas, c’est une idée qui est venue et fur et à mesure des interviews avec les différents acteurs qui voulaient bien participer au projet. Ça part d’une volonté journalistique, mais avec une envie littéraire.

Dans ta façon d’écrire, on a l’impression que les personnages, que tout le monde connaît, et dont le monde connaît les petites histoires, deviennent des légendes, et leurs actes, des mythes fondateurs.

Le texte est basé sur des techniques de journalisme narratif, pour mettre en scène les choses telles que le lecteur puisse se mettre en situation, vivre avec les personnages. Il faut lire le bouquin comme si ça n’avait jamais existé. Comme si c’était un roman. J’utilise beaucoup de métaphores et de descriptions, pour essayer de faire comprendre une ambiance. Ce qui compte pour moi, c’est que le lecteur soit conscient que ça n’est pas un pur objet journalistique.

Comment as-tu construit le récit, sachant que l’article écrit pour Snatch était déjà long et fourni ?

L’article a été construit en trois ou quatre mois, à partir de juillet 2014. Le papier est sorti en novembre. La matière pour l’article avait nécessité deux interviews de chaque personnage. Dans le bouquin, il y a Dimitri [ndr : from Paris] en plus, et beaucoup d’autres détails. J’ai poussé l’exercice de l’interview, une à deux fois par mois avec les personnages principaux, combinés à d’autres interviews d’une quinzaine de personnages autour.

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D’où vient l’absence de figure féminine dans le livre ? La scène French Touch était-elle misogyne, ou n’y avait-il simplement pas de djettes ou actrices ?

Ce n’est pas qu’il n’y ait pas eu de nanas à l’époque, j’en ai rencontré deux, plusieurs fois, mais ça n’a pu se faire, pour diverses raisons.

Comment expliques-tu que le film Eden, comme ton livre et, en vérité, la scène French Touch, se terminent sur des notes dures, pleines de désillusion ?

Tout le monde a vécu la même euphorie. Il y a peu de gens qui arrivent à rester au top. Mon constat : c’est comme ça que ça s’est passé, les musiques vont et viennent, les modes vont et viennent, et c’est très dur de maintenir le niveau. Le film « 24 hour party people » montre très bien ça.

Pourquoi en parler aujourd’hui ?

C’était il y a vingt ans, à partir du moment où on passe ce cap, on peut se permettre de se retourner. C’est la distance idéale, les acteurs sont encore vivants, mais les histoires sont suffisamment froides pour avoir du recul. C’est pareil pour les albums de rap : les grands classiques des albums de rap sont sortis en 1993, et on commence à vraiment les apprécier aujourd’hui.

Quelle similitudes y vois-tu avec la scène électronique actuelle ? On sent presque une incitation à l’organisation de soirées, l’enregistrement de disques, mais aussi une mise en garde sur les excès, et par là, un rapprochement avec l’histoire de pratiquement toutes les scènes musicales depuis 50 ans (le rock’n’roll des années 50, le hard rock de Led Zeppelin, la britpop, tous ces mouvements ont le même cycle).

Je suis pour le mélange des genres, modeler une matière qui est faite de pleins d’inspirations, une tambouille qui est propre à notre génération, même si on a pas encore trouvé la bonne formule. Mais il y a une envie de la plupart des gens de FAIRE, de créer des concepts, de faire naître de l’originalité, des supports, des médiums.

 

D’une facilité déconcertante de lecture, sujet passionnant oblige, le livre se dévore en une dizaine de lignes de métro. On se délecte de ces histoires qu’on a entendues ci et là : on se prend au jeu d’être pour un moment dans le studio à Pigalle de Motorbass, ou de trembler à l’arrivée des flics lors des premières rave parties de Fred Agostini. On en profite pour ré-écouter ces quelques magnifiques albums: “1999” de Cassius, “Pansoul” de Motorbass, “Homework” évidemment, “Sacrebleu” de Dimitri from Paris et “Super Discount”, le premier Étienne de Crécy. Tous ont vieilli, certains titres font tiquer, la faute à l’overdose de house filtrée qui a suivi le succès de la clique, d’autres surpassent encore leurs descendants.

On se demande à quoi sert ce livre exactement : raconter des histoires pour faire rêver ceux qui n’ont pas vécu cette période, rattraper cette période que nous n’avons pas vécue, rendre hommage aux artistes, ou combler un vide dans la littérature sur cette période ? Certainement tout cela à la fois, et comme le dit son auteur, à raconter tout simplement l’histoire de ces quelques français qui ont changé l’histoire de la musique en une dizaine d’années à peine.

 

*« Génération, Les Années de rêve », Hervé Hamon et Patrick Rotman, éditions le Seuil, 1987.

La mini-série d’Arte Creative, c’est par ici.
Le livre de Raphaël Malkin, à lire par ici.