Disparu des radars depuis 2013, date de son dernier EP You Should Know, Breakbot est de retour. Sous la forme d’un duo, cette fois, puisque le chanteur Irfane est désormais membre du projet à part entière. Après presque deux années passées en tournée et autant en studio, le duo le plus sensuel de la constellation Ed Banger revient avec un deuxième album plein de promesses : Still Waters.

Nous rencontrons les deux musiciens chez Because autour de quelques chouquettes. En pleine promotion, Thibaut Berland et Irfane Khan-Acito, se présentent complices et décontractés, prêts à présenter au public leur deuxième album. Celui de la confirmation et de l’âge adulte. Un statut qui ne semble pas les inquiéter outre mesure, tant ils ont passé du temps à le confectionner.

 

Sur le premier album, Irfane tu chantais uniquement sur quelques chansons dont tu écrivais les paroles. Sur cet album tu as aussi participé à la composition et à la production de tous les morceaux, comment cette collaboration s’est-elle approfondie ?

Irfane : Il n’y a pas eu de véritable réflexion, le processus s’est fait assez naturellement. Au fil de nos collaborations on est arrivés à une manière de créer beaucoup plus libre. De temps en temps, j’apportais une mélodie que Thibaut s’appropriait en l’harmonisant à sa manière. Ou alors on le faisait à l’ancienne, c’est Thibaut qui proposait l’instru et j’essayais de trouver une mélodie. Chacun a pris de plus en plus de place dans le rôle de l’autre, mais c’est ce qui fait un groupe. On est très complémentaires, Thibaut a un don pour les harmonies, il a plusieurs lectures d’une même mélodie et pour ma part j’arrive à sortir quelques mélodies qui restent dans la tête.

Au niveau des paroles c’est toujours toi qui les écris ou vous travaillez ensemble dessus ?

Thibaut : Pour les paroles je le laisse complètement libre d’écrire ce qu’il veut, c’est son petit jardin secret. Il parle de ses échecs amoureux…

I : (Il rit) Echecs scolaires !

T : De son bébé, des choses très personnelles. Mais finalement il arrive à les écrire de manière tellement universelle que je pense que ça nous parle à tous. C’est des émotions qu’on a tous vécues et il a une façon tellement poétique de les écrire que tout le monde peut s’y retrouver.

Une petite nouveauté qu’on entend notamment sur Back For More, ce sont les voix féminines qui étaient absentes du premier album. Je sais que tu avais choisi Irfane pour sa capacité à chanter comme une femme, qu’est-ce qui vous a poussé à intégrer des choeurs féminins cette fois ?

T : (Rires) En fait sur le premier disque j’avais travaillé avec trois chanteurs masculins et là pour ouvrir un peu le champ des possibles j’avais envie de collaborer aussi avec des filles. Et c’est vrai que de toutes les manières les gens que j’avais choisis sur le premier album avaient des voix assez aigües (Irfane acquiesce), et là je voulais une touche de féminité. Une touche que la copine d’Irfane, Sarah, apporte sur Back For More et un autre morceau, et que Yasmine, une chanteuse qu’on a rencontré à Hong Kong apporte sur trois autres chansons. Je trouve que ça apporte une forme de respiration au disque.

Sur scène est-ce que des chœurs féminins vous accompagneront ? Il me semble que sur le premier album vous n’étiez que deux ?

T : Oui on avait commencé à deux et on avait fini à.. cinq ? Ou plutôt quatre pardon. Là on sera six puisqu’on rajoute un batteur et Yasmine qui viendra chanter toutes ses petites comptines.

Et toi toujours pas envie de te mettre au chant ?

T : (Il rit) Si j’aimerais bien, mais je pense que c’est bien aussi de savoir dans quoi on est bon sans trop s’éparpiller. Malheureusement on peut pas tout faire, déjà ça serait bien que j’apprenne à jouer du piano comme ça je pourrais bien jouer mes parties. Mais pour l’instant le chant j’y crois pas trop.

Comment s’est déroulé la composition de l’album, vous êtes restés presque deux ans en studio, est-ce que vous aviez des influences particulières ou vous jouiez simplement ensemble jusqu’à trouver une mélodie qui vous plaisait ?

I : Il y a eut cette composante un peu bœuf, jam qui arrivait en fin de journée quand on était rincés et qu’on voulait passer à autre chose. Quelques morceaux sont nés de ça. On a pris deux ans pour faire l’album, et on écoute tellement de trucs en deux ans que je pense qu’il faut remonter loin pour trouver ce qui nous a influencés chacun. La musique des années 70, la pop un peu sucrée, le Yacht Rock comme ils l’appellent en Californie, le prog rock.. On a aussi écouté beaucoup de choses psychés et bien sûr du hip-hop, puisqu’on a tous les deux débuté en faisaint des prods de rap américain ou de R’n’B.

Où est-ce que vous l’avez enregistré ?

T : Exclusivement à Paris. Ca a été fait en trois temps. On a fait quelques petites démos en tournée et quelques trucs enregistrés à droite à gauche, ensuite le gros du travail a été fait chez moi dans mon appart où on se retrouvait tous les jours pour bosser. Et on a fini le disque chez mon frère qui a un studio dans le 13ème où on a bouclé l’album : on a structuré et rajouté des synthés, puis il l’a mixé.

Après Baby I’m Yours dont le succès avait été tardif, vos singles suivants avaient connu moins de succès. Depuis Back For More il y a déjà eu Get Lost et 2Good4Me, et j’ai l’impression que l’attente ne fait que s’accentuer ? Vous avez l’impression que quelque chose a changé du côté du public ?

T : En fait notre impression peut vite être faussée puisqu’on a que quelques éléments, on a pas tout le spectre d’un public défini. Je trouve que ça a pas mal évolué, mais tout ça est très bizarre en fait. Baby I’m Yours n’a pas marché au départ, le morceau est sorti en février 2010 et il a fallu un an avant que les gens assimilent le titre. Pour nous c’est très abstrait. La réception du public est évidemment importante, mais on ne peut pas fonder notre vie là-dessus, donc on essaye de s’en détacher.

I : Et ça touchera de toute façon un certain nombre de gens, c’est un moyen pour nous de ne pas se compromettre, d’évoluer.

T : Oui il y a rien de pire que de se conformer à ce qu’attendent les gens.

À propos de Get Lost, le clip a été très bien reçu, c’est quoi la genèse de cette vidéo ?

T : En fait on est très impliqués dans le choix des réalisateurs, on passe du temps sur les bandes démos et les pitch avant de valider quelqu’un mais après on le laisse libre de faire ce qu’il veut. Evidemment on débat avec lui des trucs qui nous dérangent, mais en général on choisit simplement un pitch précis. On préfère le laisser libre, ce qui reste la meilleure manière de travailler pour un artiste.

: C’est une forme de respect aussi, à partir du moment où on choisit quelqu’un c’est parce qu’on aime son travail. On s’implique dans la mesure où si on pense apporter quelque chose au schmilblick on le partage, mais je suis d’accord avec Thibaut sur le fait de laisser les gens libres de créer.

T : Ouais, parce que ça m’est déjà arrivé d’être déçu de clips, je dirai pas lesquels, mais j’avais l’impression que je pouvais m’en prendre qu’à moi-même parce que c’est un choix que j’ai fait.

Pour les visuels des pochettes il y a aussi un changement : plus de dessins mais des photos de vous, les couleurs sont plus vives et le bermuda a même été laissé de côté, ça vient aussi de vous ?

I : (Rires) Thibaut commençait à en avoir marre de voir ses jambes poilues sur toutes les pochettes donc on a cherché une solution par rapport à ça. Mais comme avec la musique on voulait passer une étape, ce qu’on a aussi fait de manière graphique. On passe donc de l’aspect abstrait et dessiné à quelque chose de très photographique. Il y a ce côté “quitter l’adolescence” pour rentrer dans le monde adulte, une image un peu bête mais qui représente bien “l’album d’après”. Puis Thibaut a été très actif pour trouver un photographe parce que c’était pas évident. On a fini par tomber sur Philippe Jarrigeon qui a fait un super travail pour la pochette, avec son univers à lui là aussi.

T : Oui je pense que c’était la personne idéal pour marquer ce passage de l’univers illustration à un univers plus réel.

Pas de disque en chocolat non plus ?

T : Non on est passés au Blue Martini !

I : Exactement, il y a un vinyle transparent pour le single de Get Lost d’ailleurs.

Vous avez énormément tourné partout dans le monde avant de composer cet album, qu’est-ce qui vous a marqué dans les différents publics, est-ce que l’accueil variait ?

T : Je pense qu’on a la chance d’avoir un petit succès dans beaucoup de pays différents même si c’est jamais le raz de marée, on a par exemple jamais connu le succès de DJ Snake ou Skrillex en festival, mais on est très content. L’accueil du public change selon les cultures : au Japon ils seront plus introvertis et attentifs tandis que dans d’autres pays plus festifs, en Australie ils aiment bien se la coller et s’ils comprennent pas ce que leur voisin dit à 22h30 c’est pas très grave, ils ont l’impression de passer une bonne soirée.

I : Il y a des pays où c’est plus étonnant que d’autres comme l’Indonésie où c’est assez incroyable. Le Mexique aussi.

T : Il faut croire que la mondialisation et internet font bien leur travail. C’est assez dingue de voir qu’à l’autre bout de la planète des gens peuvent nous écouter, alors qu’il y a tellement de choses qui nous séparent. Et en même temps tellement de choses qui nous rapprochent (Rires). Et qu’est-ce que la musique si ce n’est de l’amour et du partage ? (Il rit). Faudra mettre ça en exergue dans l’article.

Dans quelle configuration vous vous sentez le plus à l’aise, en DJ Set ou en groupe ?

T : On est forcément plus à l’aise en DJ Set dans la mesure où il y a moins de pression, on joue la musique qu’on aime, il y a moins d’implication. Là on a passé un cap avec ce nouveau disque, qu’on souhaite aussi jouer en live. C’est un travail sans fin, puisqu’il faut maintenant travailler sur une autre version du disque, adaptée au format live. C’est une énergie différente, mais je serai plus stressé de jouer mes morceaux au piano que de mixer des sons de Michael Jackson en mp3.

 

Au niveau de la scénographie, vous allez aussi vous impliquer dans les visuels et les lumières ?

T : Oui on est un peu les directeurs artistiques de notre projet, on cherche à avoir une implication sur nos pochettes, nos affiches, nos clips et évidemment sur le live.

I : Il y a une forme de cohérence en fait, Thibault qui vient de l’image par son parcours a un regard différent hyper critique et aiguisé. De là en découle la scénographie, même si la musique garde le devant et qu’il ne faut pas venir la polluer. Une fois de plus, on s’est entouré de gens en qui on a confiance pour faire ça.

T : Il y a plein d’artistes pour lesquels l’image a eu un apport énorme. Par exemple David Bowie dont on a vu les images, les gens ne peuvent pas dissocier son image de sa musique, c’est ça qui est fort chez des artistes de ce type, tout comme Michael Jackson ou les Daft Punk.

Est-ce que vous auriez une recommandation culturelle à nous faire ?

I : J’ai vu Le Géant de Fer, un dessin animé de 1999 réalisé par Brad Bird (collaborateur des Simpsonsque j’avais pas vu, je l’ai trouvé vraiment bien. On sait où ça va aller mais les chemins que l’histoire prend sont très bien menés. Je suis assez admiratif. J’étais comme un gosse.

T : Moi j’ai un film pas très connu il y a quelques semaines, que j’ai adoré, bon c’est du cinéma d’auteur, mais c’est assez récent je crois : Star Wars, l’Eveil de la Force (Rires). J’ai bien aimé. Et je suis allé au New Museum à New-York voir une expo sur Jim Shaw, extrêmement intéressante. Si jamais t’es de passage à New-York (il rit).

En parlant de film ça vous plairait de composer une BO ?

I : Ca serait génial.

T : Ouais et surtout, on adorerait faire un film.