Apres vous avoir conté nos ressentis sur la face diurne du Sonar, qui excelle dans la diversité de ses choix artistiques et de ses mises en scènes, place au coté plus sportif du festival, celui de la nuit.

La transition avec le Sonar Days se fait sans entrave, la logistique étant un point fort du festival, chose plutot rare, voire inédite dans le milieu. Le lieu nocturne est un centre des congrès gigantesque où se s’étendent cinq scènes, dans les halles couvertes et les espaces extérieurs. Premier protagoniste de la soirée, le vétéran DJ Shadow, qu’on découvre remixant du Radiohead. À l’aise avec le public, il enchaine ses tubes et commémore l’anniversaire de la sortie de son premier album Endtroducing, il y a 21 ans. La scène Sonar Club et ses écrans géants s’associent à merveille avec l’introspection des beats et des scractchs du producteur américain. L’immersion se fait totale sur le final où Shadow nous offre sur un plat d’argent un Organ Donor qu’on n’attendait plus.

De l’autre coté du site, les batteries se déchainent sur la scène Pub avec le très attendu Anderson Paak & The Free Nationals. Le chanteur américain s’est fait connaitre avec des cover de tubes inconditionnels comme Seven Nation Army dans son premier EP Cover Art, puis a continué en solo à produire ce qu’on pourrait appeler du R&B contemporain. Avec son groupe The Free Nationals, il apporte une nouvelle énergie au hip-hop, un côté orchestral peu exploité. Sur scène ce soir, on assiste à un show inédit, Anderson jongle entre reprise de tubes RéB, titres de son dernier album Malibu et solo de batterie endiablés. Son hyperactivité contagieuse transportera une foule réceptive.

La programmation de cette soirée ne laisse aucun répit, on retrouve Jon Hopkins sur la scène principale, avec d’entrée de jeu une techno subversive dont il a le secret. Hopkins jongle entre mélodies de synthé et pulsions de basses énervées, avec une belle entrée d’Open Eye Signal en milieu de set. Son penchant pour les masses cosmiques découpées et les sprints s’équilibre parfaitement. Les dernières effluves de son vaisseau décantent et nous laisse dans un nuage brumeux de la mésosphère.

La voix suave de Sascha Ring sous perf Moderat ne tardera pas à nous mettre en éveil avec leur tube Ghostmother comme mise en matière – titre favori du groupe dans l’album III, selon les dires de Gerno lors de notre interview l’année dernière. Les morceaux en live gagnent en intensité et en longévité, les atouts dancefloor de Modselektor y sont pour quelque chose. On ne se lassera pas de réécouter leur live, essentiellement composé de leur dernier album déjà incontournable. Malgré notre fanatisme pour le groupe, la star de la Nuit 1 Nicolas Jaar est attendue dans peu de temps à l’autre bout des halles. Pour ne rien rater de sa performance qui s’annonce inoubliable, on prend les devants et on s’installe près de la scène.

El Bandido maitrise bien son art de casser les codes et d’être là où on ne l’attend pas. Il aura ce soir l’élégance de débuter par 20 minutes d’ambient industrielle, des sons bruts éclatés et éparpillés sur une nappe fluide minimaliste. Réputé timide, le chilien prend le temps d’apprivoiser la foule, et laisse planer le doute quant au choix de ses tracks : tout le long de son set, on ne saura jamais vraiment la direction que prendra le prochain titre.

Imprévisible, il prend le micro à plusieurs reprises, se plaçant au centre de la scène et non caché derrière ses instruments comme à son habitude. Il n’en est pas à son premier Sonar, et c’est certainement cette connaissance du festival et de son public qui le met en confiance. Pendant 1h30, il jouera une altercation de silences et de bruits stridents, décomposant toute forme d’harmonie superficielle. En réalité, la symphonie de Nicolas Jaar se trouve dans la poésie de ses arrangements, la puissance de ses mélodies mises en abîme, ses textes courts et envoûtants, toujours empreints de nostalgie. La magie opèrera avec un solo de saxo inattendu, puis lorsqu’il prendra le micro pour chanter No, morceau phare de son dernier EP Sirens. Une expérience live complète qu’on est pas prêts d’oublier.

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Complètement envoûtés par la performance de Jaar, on a du mal à trouver une scène sur laquelle on aurait envie de s’attarder. Certains d’entre nous optent pour la fuite des grandes foules et se retrouvent devant le footwork endiablé de Jlin, qui n’a aucun mal à enflammer le public pourtant éparse qui lui fait face. On vous en parlait récemment, le dernier album de l’américaine est une tuerie et sa traduction en live d’une énergie sans pareille, le sourire aux platines en bonus.

On entre ensuite dans une phase d’errance dans les halles, entre la grime mainstream de Giggs, le saxo de Derrick Carter qui nous fera malheureusement plutôt penser à une tendance Bakermat qu’à un solo de jazz, puis le live de Soulwax qui tentera une techno décongelée avec des drums pas très affinées – et on reste gentil. Le manque d’énergie nous forcera vers la navette de retour – il est déjà 4h30 et la journée de demain a encore beaucoup à nous donner.

Le dernier round du Sonar s’annonce très hétérogène et difficile à suivre. La programmation nocturne ne nous emballe pas vraiment, mis à part le set final entre Daphni et Hunee. On part tout de même l’esprit curieux, malgré des horizons plus grand public et moins ambitieux. Toute la nuit, la scène du Sonar Car bouillonne au son de Seth Troxler et Tiga, qui reste l’option la plus dansante du début de soirée, plutôt calme des autres côtés. La chaleur de Barcelone et la proximité des festivaliers rendaient cette scène complètement tropicale, les éventails se secouent à foison et les fronts suent comme des morceaux de cantal au soleil.

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Tous les moyens sont bons pour remédier à la température extrême : certains usent de techniques inattendues comme se laver la tête aux toilettes et se sécher les cheveux sous le sèche main. Mais ce changement hypothétique d’hémisphère ne freine pas la foule qui danse sans relâche au rythme de la tech house virulente de Troxler et Tiga. Leurs beats tournent un peu en rond, à l’image de leur scène, et l’on restait rarement plus de 20 minutes sans se demander ce qui se passe ailleurs.

Le groupe le plus attendu de cette nuit va commencer, on se dirige vers la scène Club pour retrouver le duo frenchie le plus couru de la French Touch, Justice. Leur set était empreint de leur dernier album, Woman, oscillant entre pop et rock, loin des ébauches électro d’A Cross the Universe. Le tube intemporel We Are Your Friend se sera fait entendre, et la final song Audio Video Disco nous remémore l’existence de l’album éponyme passé aux oubliettes. Peu convaincu par cette tentative de comeback de notre duo d’adolescence, on sera tenté de passer voir un autre ressuscité de l’électro française, cette fois-ci un peu plus vieux puisqu’il s’agit du mouvement électroclash fin 1990.

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Vous avez compris que l’on parle ici de Vitalic, qui livrera un set accrocheur et à la hauteur de sa réputation. Sa vision énervée de l’électro n’a pas pris une ride, et l’on se défoule sans relâche au son de ses tubes No Fun, Second Lives ou encore Poison Lips, bientôt rangés dans les annales de Youtube. Il contrebalance la soirée avec son putsh musical et arrive à nous convaincre, contrairement à Eric Prydz qui offre en parallèle un set platonique typique d’une Beach Party à Ibiza. Une pause devient nécessaire avant le set final, qu’on attend avec impatience. En effet, le site des nuits du Sonar est immense et l’on est pas étonné de passer plus de temps en mouvement de marche que de danse. Faire dix fois le tour de chaque scène comme une reconnaissance de terrain pour retrouver des potes ou chercher une issue fait aussi partie des aspects sportifs de la soirée.

Ainsi nos deux artistes les plus attendus Daphni et Hunee s’allient pour clôturer ce Sonar. Le choix est ingénieux et l’on n’aurait pas pu penser meilleur final. Avec leur duo housy-disco, l’énergie s’empare de la foule qui, malgré l’heure matinale, décolle et part en battle de choré roller disco sans patins. La foule se mélange, on sent la solidarité et la communion de cette fin d’aventure musicale intense. La magie de leur sélection house opère, avec le lever du soleil comme une bénédiction, un don de bonne humeur nous empare et nous convainc de rester jusqu’à la fin. C’est avec des étoiles dans les yeux que l’on quitte le Sonar, les réserves d’endorphine réajustées pour plusieurs semaines.

On notera tout de même le clivage entre la programmation, le public et l’ambiance entre le jour et la nuit. La journée, Sonar fait office de laboratoire d’expérience, explorant tous les recoins de la musique électronique et des arts digitaux. La nuit, c’est un festival plus classique qui s’installe, avec une succession d’artistes hétérogènes mais fédérateurs, un temps d’attente extensible au bar, et un line-up mal orchestré qui nous laisse parfois en décalage. La nuit offre une flambée de noms internationaux généralistes, amenant un public plus large, proportionnellement au site qui a peu de limites de jauge.

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Ce qu’on retient du Sonar :

– À Barcelone, il fait chaud. Très chaud.

– L’émergence progressive en festivals électroniques d’une pléthore de producteurs hip-hop prêts à en découdre.

– Si l’art du DJing tient dans la capacité de sélection et dans celle d’assurer ses transitions, certains devraient retourner à l’école pour au moins réviser la deuxième.

– Si vous voulez faire de l’expé, sachez tenir vos concepts au delà de la simple posture : pour les exemples à suivre, merci de vous référer à Arca, Amnesia Scanner, Andy Stott ou Elysia Crampton.

– On a encore loupé plein de très bon sets qu’on rattrape en pleurant devant Culturebox.

Credits Photos : Ariel Martini – Hunee & Daphni et Sonar Car ; Fernando Schlaepfer – Justice et Nicolas Jaar ; Alba Ruperez – Jon Hopkins