C’est en 2002 que l’aventure commence. Soit une presque éternité en années festivalières, dont le calcul de longévité pourrait se calculer en années chiens.

On pourrait éclairer la pérennité du festival Scopitone par deux vecteurs de réussite : le premier, le succès même de la structure nantaise Stereolux – maison-mère du festival et lieu culturel à l’année. Le second serait l’équilibre trouvé entre une culture électronique populaire et des expérimentations plus poussées, dans une programmation qui ratisse large, et volontairement. Selon les propres dires de Jean Michel Dupas, programmateur et directeur du festival : « Populaire n’est pas un gros mot. ».

 

Création numérique assistée

Carrefour des arts depuis plusieurs années grâce à sa forte politique culturelle, Nantes est un terrain d’expérimentation unique à l’échelle des grandes villes de France. Toute l’année, la ville présente des projets culturels innovants tout en oeuvrant à les rendre accessibles – tels que le parcours en plein air Le Voyage à Nantes qui s’installe chaque été un peu partout dans la ville. Stereolux fait partie de ces structures qui permettent d’inscrire Nantes en ville créative, dans la lignée d’autres lieux comme la Maison des Arts ou le Lieu Unique, qui seront eux aussi le théâtre de plusieurs événements du festival.

La volonté de mêler house et techno avec une touche de musiques plus expérimentales et une bonne dose d’arts numériques est à l’origine même de Scopitone – une manière de l’instaurer comme un projet à la fois populaire et institutionnalisé. Pour ce faire, les organisateurs ne rechignent pas à défricher de la nouveauté, mais aussi à la présenter et à l’expliquer à sa part d’audience la plus néophyte. L’objectif du festival étant selon Jean-Michel Dupas de « ne pas se cloisonner dans un cercle fermé de gens qui savent ». La mise en place de tutos pour expliquer des termes parfois brumeux pour certains (art post-numérique, sound design et autres witch house) y contribue, tout comme les « Spoiler Room » qui retracent de manière ludique les parcours des artistes programmés cette édition.

Dans le parcours d’art digital de cette année, on pourra découvrir les expérimentations en diffractions cinétiques du duo Nonotak, la robotisation de la création artistique selon les japonais So Kanno et Yang02, et « The Limitations of Logic and the Absence of Absolute Certainty » d’Alistair McClymont, une interrogation sur l’impuissance humaine face aux phénomènes naturels qui résonne plutôt fortement avec l’actualité. On vous recommande aussi un détour du côté du Musée d’Arts de Nantes où Myriam Bleau, québécoise influencée par la musique acousmatique, présentera sa performance Autopsy.Glass et l’exposition Stories of Mechanical Music.

 

La musique en double teinte

Si Jean-Michel Dupas estime avoir axé cette édition sur « la jeune garde française et européenne avec des artistes comme Not Waving, Kelly Lee Owens, Simo Cell ou Shlømo », il ne renie pas le côté plus imposant de son affiche, estimant que « les têtes d’affiche restent aujourd’hui nécessaires pour amener un public large et dont les goûts électroniques diffèrent. »

Et quid donc des clubbeurs ? Et bien ils y trouvent leur compte, et pas qu’un peu puisque les deux Nuits Electro accueilleront entre autres Recondite, Roman Flügel, MCDE, Floating Points, Pantha du Prince, Dopplereffekt, Avalon Emerson, Michael Mayer, Antigone, François X, Aufgang, Demian Licht ou Weval. Soit une programmation festive en bonne et due forme.

Quand on lui pose la question du manque d’originalité parfois flagrant entre les line-ups des grands festivals français (que celui qui a fait un festival électro cette année sans y voir MCDE, Dettmann ou Kraviz nous jète la première pierre), Jean-Michel nous objecte que « il n’y a malheureusement pas tant de têtes d’affiche qui puissent pour l’instant ramener un public large à un festival électro. On parle peut-être d’une trentaine de noms qu’on retrouve donc un peu partout, c’est normal. ». La logique des festivals voulant qu’une seule poignée de noms tienne aujourd’hui le “haut du panier” opère donc toujours, garantissant aux organisateurs la quasi-sureté d’une salle pleine… Jusqu’à explosion de la bulle spéculative du prix des cachets et des exigences hôtelières ?

Si la volonté de Scopitone n’est donc pas de présenter un pur programme d’avant-garde, que son organisateur estimerait être « un entre-soi pré-établi et donc fermé à une majorité du public », la question de savoir si les différentes faces de ce public se côtoient vraiment reste en suspens. Institutionnel et expérimentateur le jour, populaire et festif la nuit, les deux publics qui composent le festival se mêlent-ils les uns aux autres ou ne font-ils que se croiser, l’un allant vers un concert de Not Waving tandis que l’autre lui préfère la techno tunnel de Recondite ?

Mais si le choix de milieu de terrain d’équilibrer la balance entre le novateur et le populaire comporte ses avantages et ses inconvénients, il n’en reste pas moins un efficace biais de démocratisation culturelle, à Nantes et ailleurs. Longue vie donc au Scopitone, où chacun trouve son dû sans être à l’abri de tomber sur quelque chose qu’il n’était pas venu chercher.

Scopitone

Plus d’informations sur le site du festival.

Crédits Photo à la une : © David Gallard