Changements radicaux pour les Nuits Sonores qui s’installent cette année dans un nouveau lieu, tout en continuant d’afficher une audace à faire pâlir le reste des festivals électroniques de premier plan. Le grand pari de cette première nuit ? Faire découvrir les anciennes usines Fagor Brandt au public, et lui présenter la scène grime et hip-hop anglaise. Des propres mots des programmateurs, l’envie était de réarticuler les espaces pour mettre en avant la découverte et l’art de programmer propre à Arty Farty. Les musiques alternatives ne sont plus cantonnées à « la petite halle au fond » et jouent à armes égales avec la classique scène techno. Ça fait du bien.

Malheureusement, le résultat souffre de ne pas assez être pensé en terme d’expérience festivalière. C’est d’autant plus dommage que Nuits Sonores sont précisément l’une des plus belles réussites françaises sur ce terrain-là, notamment grâce à son embrasement urbain multiforme et ses évènements « extra », qui transforment la ville de Lyon de manière organique l’espace de quelques jours. Hier soir, la foule s’est répartie d’une manière déséquilibrée entre les halles : le hangar techno était bondé jusqu’à la crise d’agoraphobie, tandis que la halle grime disposait d’un large espace inutilisé. Cette image, dure à imaginer au Royaume-Uni, montre qu’une programmation audacieuse sur papier ne garantit pas toujours une expérience festivalière cohérente. Dernier bémol : le manque de réel d’espaces en plein air afin de pleinement profiter de la convivialité légendaire de l’événement.

Halle B Nuits Sonores 2017 Gaetan Clement

Pour autant, cette première nuit n’est pas un raté total, loin de là. Le travail scénique était bien au rendez-vous, et l’ambiance était électrique. La plupart des artistes pris individuellement constituaient de vraies perles. La halle house était un réel succès, tout autant que cette scène grime transformée en réelle warehouse à l’anglaise : pour le temps d’une nuit, parée d’une immense colonne lumineuse pour scénographie, conférant au hangar une teinte surréaliste. Nous attendons encore beaucoup des nuits suivantes, où le pari de la diversité pourrait se révéler beaucoup plus adéquat et pertinent, notamment au contact des cultures méditerranéennes. En attendant, petite sélection de nos coups de cœur.

À la Hall D, on monte dans un vaisseau spatial (house et ambient)

Parmi les belles (fausses) surprises de ce coup d’envoi du festival, un grand et sobre tunnel nommé Hall D, qui a fait chavirer nos oreilles pendant une longue partie de la nuit. Après un live junglesque du duo local The Pilotwings, dont tout le monde attend beaucoup ces derniers temps, Lord Of The Isles s’est chargé de ramener un peu de classe et de sérénité en contraste avec la brutalité nue des anciennes usines. Mélodies contemplatives, instrus lo-fi, rapides envolées vers les fréquences acid house : une heure d’un live certes un peu calme, mais franchement rafraîchissant.

Énorme coup de coeur ensuite pour le live extrêmement attendu du duo Khidja. À la manière de leurs sorties sur Malka Tutti ou Hivern Discs, le tandem roumain nous a posé là, comme ça, un live d’une précision chirurgicale, tirant d’une musique organique un groove trop rare dans l’électronique actuelle.

Set-up complet, maturité et technique étaient tellement au rendez-vous qu’on en a même oublié de boire nos bières. Une performance qui confirme que la musique Made in Bucharest ne cesse de gagner en prestige.

TalabomanNuitsSonores2017

À la Hall C, on plane sur la synth-pop d’Agar Agar avant d’étouffer sur fond de beat techno

Le début de soirée a été marqué par l’excellent live d’Agar Agar, groupe parisien de pop qui se distingue dans l’écosystème indé. Signé chez Cracki Records, la musique d’Agar Agar est lancinante, parfois énergique, souvent éthérée. Le chant vient insuffler une esthétique unique à ces productions nostalgiques des années 80. L’énergie en live, le déhanché de la chanteuse Clara Cappagli, le light-show qui va avec : tout ça pour un groupe que l’on vous recommande chaudement. Le reste de la soirée aurait été marqué par les sets très efficaces d’Andre Bratten, de Vitalic et de Mind Against. Efficaces, mais engorgés comme nous l’expliquions en intro – nous ne y sommes donc pas attardés.

À la Hall B, on libère ses pulsions tribales (grime, footwork, hip-hop)

La Hall B a été de loin la scène la plus virevoltante de la soirée. Le début de soirée est marqué par la mise en avant de la scène grime UK – du hip-hop vieux comme le monde outre-manche mais qui ne s’est pas encore tellement importé en France. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’importe toujours pas.

Malgré l’énergie impressionnante de figures majeures comme AJ Tracey, Stormzy ou Lady Leshurr, les différents appels au mosh pit sont malheureusement restés de marbre.

D’expérience, au Royaume-Uni, il n’existe pas de réelle frontière entre le public électronique indé et celui qui va en concert grime sauter d’une manière erratique. La culture warehouse est musicalement transversale – c’est ce que l’on vous expliquait lors de nos reportages dans le nord de l’Angleterre. Un constat qui ne se partage pas ici, où une partie du public est restée impassible. Néanmoins, les premiers rangs étaient bien garni – mention spéciale pour Lady Leshurr qui rayonne sur scène d’une énergie encore plus admirable que son succès sur les internet.

Enfin, autre mention spéciale pour un set UK assez inattendu du parrain du festival, Monsieur Laurent Garnier. Un set qui a surpris beaucoup de monde : ce n’est pas souvent qu’on peut voir Lolo jouer de la bonne UK bass devant une foule si compacte et bouillonnante. Si certains n’ont pas réellement apprécié le spectacle, tout le monde fût unanime sur la qualité technique incroyable de l’homme au visage rouge derrière ses platines. Floqué d’un maillot old school de Manchester, le briscard de la techno FR s’est montré plus qu’à l’aise sur ces breaks criards made in Britain : les souvenirs de l’Haçienda n’ont pas perdu de leur superbe.

LadyLeshur NuitsSo2017

Article écrit par Bastien Perroy et Bertrand Lachambre.

Photos par Gaétan Clément et Laurie Diaz.