Certains de nos rédacteurs ont mis le pied dans la forêt du Dekmantel les années précédentes, et leurs récits épiques ont donné envie à d’autres de tenter l’aventure. Le collectif hollandais qui nous a raconté dans une interview les grandes lignes de leurs succès fêtait cette année ses dix ans d’existence. Un anniversaire d’anthologie qu’aucun festivalier n’est prêt d’oublier. Unanimes sont les avis : la qualité des sets est difficilement imitable, les artistes invités étant tous des diggers absolus de musique dont la sélection pointue défie tous les robots shazams. En quelques années, le niveau s’est considérablement élevé, et la toute puissance de la scène d’Amsterdam se confirme dans la clairière de l’Amsterdam Bos.

dekmantelNos premiers pas se dirigent vers la Boiler Room, habituellement forte en belles surprises. La scène aux allures de cabane sauvage plonge ses visiteurs dans un trek exotique. Le duo brésilien Selvagem, débauché lors de la session de Dekmantel Sao Paulo, ouvre la danse avec les délices du pays : tambourins, rumba breakée, maracas et perroquet. C’est ensuite au tour de la coréenne Peggy Gou, qui gardera le cap du groove avec un ton bien plus housy. En fin de journée, une véritable ovation s’opère pour Voiski, l’homme qui capte la lumière à travers son disque RAM1. La scène Boiler se hisse donc comme un temps fort de la première journée. La prestation live qu’il ne fallait pas rater est certainement celle de Bicep qui, en plein préparatifs de lancement de leur prochain album, nous partage leur aura la plus astrale. Une éclipse temporelle se propage au son des premières notes de Glue, la foule perd ses repères et se laisse aspirer par les lumières primaires qui émanent de la scène.

Réveil ensoleillé dans la tente du camping, on apprend qu’un invité spécial est attendu aujourd’hui, encore une fois à la scène Boiler Room. Pressés de connaître la surprise qu’on devine de taille, on découvre bientôt que Nina Kravitz est en place pour ouvrir cette deuxième journée. Timing et température oblige, elle va nous livrer un set house, chose rare et précieuse de sa part. On se délectera de ses sélections tropicales et humides délivrant un parfum étrangement fort en oestrogènes. La signature de Nina aujourd’hui, c’est l’enchaînement de DJ Slugo “Wouldn’t you like to be a Ho too” et de son Ghetto Kravitz, un régal auditif. Sa prestation finie, on passe voir l’atypique San Proper, qui devant une foule très dispersée osera balancer un Purple Haze bien placé, secouement de cheveux et rires au micro en accompagnement. On recroisera son visage quelque peu déformé – une piqure de guêpe sans doute – pour le final set de la Red Light Stage.

Premiers pas sur la scène Green House, cette immense serre de fougères et palmiers, où l’on découvre un talent local : Illium Sphere. Avec un enchaînement de vinyles funk, house et disco, le ton est donné rapidement et nos corps se laissent entraîner dans l’élan du set. Un solo de piano de Those Guys enchaîné par la voix de Grace Jones murmurant des mots doux, et on est convaincus de rester.

Changement de registre, le grand DJ Nobu prend place à la scène UFO, la scène techno du Dekmantel en contraste avec tout le reste puisqu’elle est couverte, obscure et suante. Le Yakuza du 200 BPM fait une leçon à ses disciples, il manie les hélices comme un art martial, prudence et aérodynamique sont de rigueur. La drachée s’étant arrêtée, on se faufile sur la scène de la radio locale Red Light en forme d’église, où la procession se poursuit avec des sonorités dub techno du jeune Woody. L’heure tourne et l’on ne veut pas manquer le final de la main stage.

Ben UFO clôture la soirée du samedi avec deux heures de techno interstellaires. La coupole comme toit de sa soucoupe volante, il allume le moteur à explosion et passe la vitesse lumière sans sourciller, manquant de près le kidnapping de 2000 personnes. Tomorrow never knows, on se laisse mariner dans l’elixir de la UK bass, son plus grand chercheur en face de nous ne manquant pas de diffuser ses nectars les plus précieux, comme ce remix de Nathan Fake.

Déjà la dernière journée fait surface. Comme une tradition, on l’entame avec la Boiler Room, cette fois c’est Young “Bandana” Marco qui introduit ses beats. Surprise lorsqu’il ressort la classique Banana Boat Song remixée par ses soins, puis enchaîne avec un sample incognito de Thriller. Vraiment, ce gars est très fort. Palms Trax met lui aussi tout le monde d’accord avec son set funky, lo-fi house par moments. Mêlant auto-production et disque personnel, le poulain de Dekmantel Records ne pouvait pas trouver meilleur public que dans son festival. L’équation est en équilibre avec la ville-forêt nuageuse, son crew de sumos peut enfin prendre son pied.

Retour dans la Green House qui se transforme en forêt équatoriale le temps du set acid techno de Helena Hauff. Des enchaînements incroyables, une main délicate qui frôle les rotarys sans les écorcher, une tension palpable dans les doigts, une montée en escalade nourrie d’adrénaline à chaque vibrations du sol. On ne peut que applaudir.

dekmantel 2017

Le Dekmantel excelle dans ce que peu de festivals réussissent à parfaire : une cohésion globale de ses scènes, des enchaînements intra et extra improvisés qui marchent à tous les coups, et des DJs qui savent s’approprier ces terres hollandaises bien particulières. La preuve la plus flagrante sera donnée lors du dernier set d’Hunee et Antal, maîtres absolus de la house dans sa version solaire : cohésion sublime, émulsions de sentiments, hymne sensuel reprenant le tube de la diva Diana Ross, Touch Me in the Morning, comme une communion romantique, un instant indescriptible, les pieds à trois centimètres du sol. Le crédo de ce dernier track pourrait résumer notre expérience du festival : ce qui nous est arrivé hier ne va pas peut-être pas durer toute la vie, il n’y a pas de lendemain ici, il n’y a que l’amour et le temps pour le chasser.

Ce qu’on a aimé : la bière brune à 9 degrés, l’after du camping dans la salle de bain validée par les vigiles avec la team Jacob, l’armée de gonfleur de ballons enchantés à la sortie du festival.

Ce qu’on a moins aimé : l’absence de programme papier (oui, on a des réflexes 1.0), le réveil de la sécurité du camping le dimanche à 11h30 pour un départ à 12h, le vodka-maté sans vodka.