Groupe autogéré à 360° comme on n’en voit plus beaucoup, The KVB a sorti son dernier album Of Desire il y a quelques semaines – le septième depuis 2010. Un score impressionnant, qui donne le la de la superactivité de ce duo anglais exilé à Berlin, dont les expéditions dans les limbes de la darkwave ne se tarissent pas au fil des albums.

On les a rattrapés lors de leur dernière tournée européenne pour un faire un point sur le chemin parcouru. Sachez d’ailleurs que si d’aventure vous faites un tour à l’un de leurs concerts, vous pourrez les croiser en train de tenir leur propre stand de merch, desquels ils vous vendront les albums, posters et dérivés dont ils créent eux-mêmes le design. 360 on vous dit.

 

Commençons par parler de votre album “Of Desire” qui vient de sortir. L’album a un grain et une production un peu plus propre, moins sombre que vos précédents, notamment sur les voix qui deviennent plus claires. Était-ce votre idée de départ quand vous avez commencé à enregistrer ?

Nicholas – On voulait que cet album soit différent de nos précédents. On a déjà exploré le fait de tout “noyer” dans la reverb, d’enterrer les choses, de les engloutir sous des couches d’effets. Là on s’est dit que c’était le moment d’essayer autre chose, d’approfondir et d’expérimenter sur ces différentes nappes de son plutôt que de tout miser sur la reverb.

Au risque de perdre cette vibe lo-fi qui constitue un peu votre essence ?

Kat – Il y a toujours un charme dans le lo-fi. On a quand même enregistré la plupart des tracks chez nous avant qu’ils ne soient édités dans un “vrai” studio. On peut donc toujours sentir cette touche DIY originelle.

Vous avez aussi ré-enregistré et re-masterisé une version de “Never Enough” qui était à la base une démo, ce qui va dans la lignée de cette intention “plus clean” qu’on évoquait.

Kat – Oui. On a eu un peu peur des réactions mitigées là-dessus, certaines personnes adorent vraiment ce titre sous sa forme démo. On ne savait pas s’ils seraient prêts à en entendre une seconde version. Quand on l’a ré-enregistré, on n’était même pas sûrs de mettre la nouvelle version sur l’album. Mais quand on a écouté la version mixée, on s’est dit qu’elle avait sa place, que le titre était intéressant d’une autre manière que l’original a pu l’être.

Ça a du être une décision dure à prendre, car Never Enough est un peu devenu le morceau “emblématique” de votre groupe : le plus connu, celui auquel les gens réagissent le plus.

Nicholas – On savait que c’était un risque de le ré-enregistrer, que ça pourrait déconcerter les gens qui s’identifient beaucoup à la première version du morceau. Mais pour l’instant, on a eu que des retours positifs dessus. Et puis ça reste une version assez similaire, on n’a pas non plus dénaturé le titre.

Cet album est votre deuxième sorti sur Invada Records, le label de Geoff Barrow (Portishead, Beak). Comment ça a été de bosser avec lui ?

Kat – On a pas exactement bossé avec lui, c’est plus un mentor. Il ne prend pas part à la création de l’album comme un vrai producteur le ferait.

Donc il n’a pas du tout été inclus dans le processus de création ?

Nicholas – Pas vraiment, c’est un mentor mais seulement sur le plan symbolique. Il nous a donné quelques conseils, c’est tout. Mais ça reste génial de bosser sur son label, c’est un mec super.

Kat – On adore sa musique, donc c’est très inspirant pour nous de pouvoir sortir nos disques sur Invada.

On sent qu’artistiquement parlant, vous tenez beaucoup à cette indépendance. Cela rejoint le fait que vous êtes passés de label en label depuis votre premier disque, notamment chez Minimal Wave de Veronica Vasicka ou A-Records d’Anton Newcombe. Une peur de se faire emprisonner dans la vision artistique d’un autre?

Kat – Il y a peut-être un peu de ça.. (rires) Mais surtout, on a eu l’opportunité de s’entourer de gens à la fois productifs et compréhensifs, qui ne t’enferment pas dans un contrat. D’ailleurs on n’a même pas signé de contrat pour le dernier album !

Donc vous débarquez chez les labels en leur disant “Ok je veux bien sortir mon album chez toi, mais tu ne me feras rien signer” ?

Kat – (rires) Je crois que cette fois ils n’ont pas eu le temps de l’écrire avant que l’album ne sorte.

Donc pas de différence pour vous, que vous bossiez avec un Geoff Barrow, une Veronica Vasicka ou un Anton Newcombe ?

Nicholas – Je crois que Geoff a pris un peu plus part à cet album que les autres.

Kat – Oui, Anton par exemple n’était même pas dans le studio quand on a enregistré Out Of Body.

Nicholas – C’était ce qu’on voulait à l’époque, avoir une indépendance complète. Aujourd’hui c’est un peu différent, on est plus enclins à accepter d’inclure quelqu’un d’autre dans le processus.

Où avez-vous enregistré l’album d’ailleurs, tout s’est fait à Berlin ? (ndlr: le groupe y habite depuis deux ans)

Klaus – L’album a été enregistré entre Bristol et Berlin, mais en grande partie à Bristol dans les studios d’Invada.

Sentez-vous une différence entre les scènes anglaises et allemandes, entre Londres et Berlin?

Kat – La scène allemande est évidemment plus petite que l’anglaise, qui reste dantesque. Mais si vous avons déménagé, c’était plutôt pour l’opportunité que Berlin nous offrait créativement : plus de temps, plus d’espace, et donc plus de facilité pour créer. C’est pour ces raisons que beaucoup de gens – et notamment des anglais – partent à Berlin. La vie est moins chère, tu n’as pas à passer tes journées à te demander comment tu vas payer tes factures.

Votre déménagement vient-il aussi d’une envie de s’éloigner du tourbillon londonien, cet afflux constant de nouveautés qui peut être une distraction ?

Kat – Oui il y aussi de ça. Berlin est une capitale bien plus “tranquille” pour créer.

Et pensez-vous que le fait d’y vivre a pu influencer ou orienter votre son dans une certaine direction ?

Kat – Je pense que oui, mais de manière subconsciente, sans qu’on s’en rende vraiment compte.

Nicholas – Quand on aura plus de recul et qu’on pourra évaluer cet album par rapport aux précédents, on s’en rendra peut-être compte plus nettement. Pour l’instant, c’est encore dur de discerner les influences qu’une ville ou une autre peuvent avoir sur notre musique.

Kat – Mais si on prend Lower Depths qui est le premier titre qu’on a écrit à Berlin, c’est vrai qu’il prend une vibe un peu plus profonde, plus sexy que les autres, même si on ne s’en est pas rendu compte au moment où l’a écrit.

Ce qui est impressionnant avec vous, c’est le nombre de morceaux que vous avez déjà écrits et sortis en quelques années (ndlr: sept albums et autant d’EPs). Et c’est quelque chose qu’on retrouve aussi dans d’autres groupes dont le son s’apparente au vôtre, comme The Underground Youth.

Kat – Oui, Craig (ndlr: one-man-band aux manettes de The Underground Youth) sort au moins autant de projets que nous à l’année, si ce n’est plus ! Il vient juste de déménager à Berlin d’ailleurs, c’est peut-être un “Berlin effect” donc on ne connaîtrait pas les causes…

Nicholas – Je pense que cette surproductivité vient aussi du fait qu’avec notre style de musique, on peut créer sans beaucoup de moyens – financiers comme matériels – et faire une musique qui sonne quand même bien.

En ayant une vitesse de production comme la vôtre, avez-vous parfois l’impression qu’avec tous ses rouages, l’industrie de la musique n’arrive pas à vous suivre ?

Nicholas – On pourrait dire ça oui.

Kat – On connaît certains groupes qui passent tellement de temps sur un seul album à produire, re-produire, ré-enregistrer, que le résultat final est dénaturé de l’intention créative qu’ils avaient à l’origine. Les idées surtravaillées peuvent perdre de leur éclat, il faut savoir ne pas être trop perfectionniste. Il y aura toujours des défauts, tu ne peux pas créer l’album parfait.

Nicholas – Pour revenir sur le côté lent de l’industrie, il nous reste encore une montagne de titres qui ne sont jamais sortis et qui restent enterrés quelque part en attendant leur heure.

En termes de styles, on vous a affilié à un peu tout et n’importe quoi, du shoegaze à la psyché au post-punk ou à la darkwave. Mais on parle au final assez peu des côtés électroniques et industriels de votre son, est-ce une influence importante pour vous ?

Nicholas – On écoute et on se nourrit vraiment de tout. À part peut-être de la country. (rires) Il y a beaucoup d’ingrédients différents dans notre musique, et c’est compliqué pour nous quand on se voit affiliés à un seul style, car on ne s’y reconnaît jamais complètement.

Kat – Mais c’est aussi un avantage, car on peut à la fois jouer dans des festivals de rock et de psyché que dans des festivals techno. On sort d’un énorme festival électro à Moscou, c’était assez étrange.. Je crois qu’on était les seules personnes de tout le site avec des guitares !

Et vous ressentez une différence entre les deux publics ?

Kat – À Moscou non, les gens sont très ouverts musicalement.

Nicholas – Je pense que la majeure partie de notre public est aussi ouverte que nous sur ses horizons musicaux, et aime mixer les genres.

Pour revenir aux influences industrielles que j’évoquais, votre son me rappelle parfois celui de Cabaret Voltaire. Surtout sur ce dernier album où avec la production “épurée”, on entend des sons qui peuvent s’apparenter à la synthwave de cette époque.

Kat – C’est vrai. On est aussi de très grands fans de ce que Veronica (ndlr: Vasicka) fait avec son label Minimal Wave, déterrer ces albums perdus pour les remettre sur le devant de la scène. Chaque nouvel album qui sort sur son label est génial.

Vous avez aussi participé à plusieurs ‘Tribute albums’ qui revisitent les Stones, Bowie ou les Beatles façon psyché. Comment en êtes-vous venus à y participer ?

Nicholas – On nous a approchés pour participer à ces compils, et surtout on nous a laissé le choix du morceau. C’était très fun de ré-imaginer ces morceaux à notre sauce, d’en faire quelque chose de différent. On ne voulait pas enregistrer des “covers” pures et simples, qui ne seraient que des copies du morceau originel.

Ça n’a pas été difficile de reprendre ces purs classiques et de se dire “ok je vais prendre cette chanson que tout le monde a déjà entendu des milliers de fois et en faire ma version perso ?

Nicholas – (rires) Si un peu, mais on voulait surtout déconner avec un classique en le détournant de son intention de base. Pour la reprise qu’on a faite de Sympathy For The Devil, il y avait une de nos demos qui me rappelait un peu le rythme et l’ambiance du titre, on a assemblé le morceau à partir de ça, et je crois qu’on s’en est plutôt bien tirés..

C’est aussi vous qui créez tous vos visuels, sur les pochettes comme les clips. Sur les pochettes par exemple, la “vibe” donnée à l’album ressort rien qu’en s’attardant sur sa couverture. Quelles sont vos influences visuelles de ce côté-là, qu’est ce qui a inspiré la pochette de chaque album ?

Kat – C’est moi qui fait tous les artworks effectivement. J’ai plusieurs sources d’inspiration : les premières sont l’architecture, les structures géométriques, les jeux vidéos et les anime. Je ne suis pas une gameuse mais la programmation de jeux vidéos a une architecture qui lui est propre et qui m’inspire beaucoup. Mon autre source d’inspiration, c’est d’utiliser des éléments organiques et de les passer “au filtre de la machine” pour leur donner une vie digitale, un aspect et une texture différentes.

Sur Of Desire, tu as attendu que tout soit enregistré pour te mettre au visuel ou tu l’as crée simultanément ?

Kat – J’attends toujours qu’on ait fini l’album pour me mettre aux visuels, histoire de savoir dans quelle direction aller.

Et comment traduisez-vous cet univers visuel sur scène ?

Kat – Les visuels du live sont une vidéo continue, on essaye de faire combiner la musique avec les visuels jusqu’au point où ils se fondent l’un dans l’autre, qu’ils soient interdépendants au point où on ne puisse pas les dissocier. Par contre, on déteste cet aspect de la musique dite “psyché” qui recycle des visuels clichés des années 60 pour leurs shows, j’en peux plus de voir ça ! Quand tu vois des visuels typeencre trempé qui forme des cercles”, tu sauras que c’est du mauvais psyché !

Nicholas – Oui, la musique psyché c’est bien plus que ça, tu peux pas la résumer à des tâches d’encres qui se déploient dans un truc qui rappelle vaguement les 60s.

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