Cette dernière édition du Primavera Sound fut le théâtre de beaucoup d’évènements, la prog ayant notamment mis l’accent sur les retours providentiels (LCD Soundsystem, Radiohead, PJ Harvey) et autres habituelles têtes d’affiche du rock plus ou moins indé. Sans plus d’ameublement, on vous en livre notre chanceux vécu de façon chronologique – mais garanti sans mention de foodtrucks.

 

Jeudi

On aurait pu débarquer à cette nouvelle édition du Primavera avec pire bande son. Alors qu’on effectue un premier tour des périmètres, c’est Air qui nous accompagne de ses ballades.. aériennes. Mais le mimétisme avec une bande sonore ne s’arrête malheureusement pas là : le volume sonore du concert est très bas, trop bas, si bien qu’on en vient à penser qu’on serait mieux calés sur le transat d’un dimanche ensoleillé que devant une scène noire de monde. Grande Scène 1 – Air 0.

On file du coup à Suuns, histoire de débuter les hostilités sur une octave un peu plus puissante. Et la masse sonore s’y avère aussi survoltée que ce qu’on attendait, mais toujours calibrée à point. Maîtrisant leur jeu à la perfection, les canadiens balancent un set électrique et galvanisant. Ni les voix distordues ni la masse de reverb n’ont raison du charisme de Ben Shemie et de son chant sombre et sensuel, qu’il scande “Resist!” en boucle ou s’approche de la foule dans un “I wanna touch you” incantatoire.

On aperçoit ensuite un bout des expérimentations glitch de Jessy Lanza avant de filer à Floating Points, qui pour l’occasion a sorti l’apparat des grands soirs : orchestre complet, et donc morceaux électroniques amplifiés de violons et autres instruments à cordes. Un bien joli mélange que le mancunien maîtrise d’une main de maître, démontrant au passage l’étendue de son expertise musicale.

Mais déjà l’action se passe ailleurs : la foule s’entasse, s’amasse, se serre devant la grande scène où Tame Impala s’apprête à jouer. Et, dès les premières notes, on a le droit à un méchant rappel du concert de Air, à savoir que le son est si bas qu’on a l’impression de regarder un DVD live des australiens. Comme si les coups du batteur résonnaient à moitié, que le chant (pourtant juste) se faisait simple écho. Suivant la ligne de leur dernier album, les guitares de Tame Impala ont perdu de leur psyché, de leur distorsion, et du coup de leur charme. Bref, on s’emmerde un peu. D’autant plus que le groupe revisite surtout ses titres les plus pop, dans un accent plus niaiseux encore. On accordera audience à quiconque se trouvait aux premiers rangs pour savoir si le son y était aussi mauvais qu’à notre poste, mais on préfère choisir de s’enfuir au moment où le groupe entame le mielleux I’m Changing. The less we know the better. (Grande Scène 2 – Tame Impala 0).

Tame Impala

On le répète au cas où : les confettis n’ont jamais, de mémoire d’homme, sauvé un concert en péril.

On atterrit du coup devant les derniers accords de Protomartyr, qui nous remettent un bon coup de jus. Car il en faut, du jus, pour la suite – ou plutôt le clou du spectacle : la messe disco-punk de LCD Soundsystem, dont le retour attendu est la raison d’être à Barcelone d’une grande partie du public. Et pas de problèmes de son qui tiennent face à la déferlante James Murphy : les cloches et les synthés frappent en grands coups sous l’emblématique boule disco, ambiançant sévèrement la foule. Pour son premier retour en treize ans sur la scène du Primavera, Murphy complimente son audience d’un “I forgot how dirty it is to play in Spain », qui le lui rend en pas de bourrée. Car il a beau nous le crier, le patron de DFA n’a définitivement pas perdu une once de son edgeGrande Scène 0 – LCD Soundsystem 45:33

 

Vendredi

Vendredi, on débute avec le show visuel et sonore de Cabaret Voltaire à l’Auditori, salle de spectacle très institutionnelle aux abords du site du Primavera, et donc destinée à un parterre assis. Le show tient pourtant de la techno tendance indus qu’on aurait plutôt vu ambiancer les derniers fêtards de 5h-6h la veille, mais sans doute les considérations techniques exigent ce cadre plus formel. Car avec Cabaret Voltaire, on en prend autant dans les oreilles que les yeux : un rose saturé suinte d’images mêlant actualité et fantastique, politiques et Andy Warhol. Ce son précurseur de son époque n’a pas pris une ride et dynamise tellement que l’assistance quitte les rangées et sièges attribués pour se mettre à danser dans les couloirs. Les mélodies poisonneuses de Richard Kirk créent alors une mini-rave party incontrôlée, et la sécurité spectatrice ne sait plus tellement comment réagir. Bring back the 90s.

C’est un autre genre de bête de scène avec lequel on enchaîne : Savages, qui relève le défi des mitigées grandes scènes du Primavera avec un show de rockstar comme on n’en fait plus beaucoup. Tout en charisme et en défoulement, Jenny Beth saute à presque chaque titre dans la foule, y chante la moitié de ses chansons, soutenue à genoux par le public – lui-même à genoux devant une telle dose d’exaltation. Le reste du groupe assure la danse tumultueuse d’un show taillé pour ce genre de rencontres de stade.

Savages

Cette photo n’est pas représentative de trois minutes du concert, mais d’une bonne moitié.

On passe ensuite devant la jeune londonienne NAO et son tube R&B Bad Blood avant d’aller voir le shoegaze instrumental de Cavern Of Anti Matter, qui déçoit par ses enchainements très linéaires, manquant un peu de la verve qu’on attend d’un groupe de cette trempe.

Pour cause de ravitaillement perspicace (toutes les zones pratiques du festival ayant été désertées à cette heure fatidique), on arrive en retard à Radiohead, mais sans louper les notes enchanteresses de No Surprises que le groupe entame pile à notre arrivée. Retard oblige, on est loin, très loin de la scène, et le volume sonore toujours aussi bas nous donne encore une fois l’impression d’écouter la radio. Et comme on n’a pas le coeur à juger un groupe aussi adulé à la seule hauteur de ses conditions techniques, on se gardera d’en raconter plus. Mais oui les fanboys, ils ont bien joué Creep.

Histoire de parer ce problème de son, on anticipe notre position pour attendre les Last Shadow Puppets, qui débarquent en grande pompes sur la ballade crooneuse Miracle Aligner. On situe rapidement le cadre : l’ami Alex Turner a clairement abusé de la sangria en loge. Passablement déchiré, il multiplie les conneries sur scène et semble inarrêtable – on se garderait bien d’ailleurs d’essayer. En net retrait, Miles Kane le laisse faire son show, le leader d’Arctic Monkeys ayant apparemment atteint une autre étape dans son persona scénique : du crooner hautain, il est passé au crooner Elvis – voire pelvis si on considère son jeu de bassin, qu’il donne en spectacle sous tous les angles. Une performance sans doute réservée à certains état avancés. Autre signe avant-coureur : après quelques “Muchas gracias por favor », Turner balance à un parterre d’anglais et d’espagnols un “Merci beaucoup” bien français. Bien tenté. On en oublierait presque la musique, qui enchaîne les morceaux tubesques des premiers et seconds albums du duo, le reste du groupe tâchant de faire fi de son chanteur et de garder le cap jusqu’à extinction des moniteurs.

Last Shadow Puppets

À méditer : les organisateurs n’ont pas du trouver de photo où il ait l’air plus sobre que ça.

Changement de registre, on part se remettre de cette séance de lourde séduction avec les plus fins Kiasmos. Le duo islandais sait parfaitement traduire son électronique spacieuse en live, et y ajoute une dose de house dansante pour un équilibre parfait. Et nous prouve au passage que les sons immersifs peuvent aussi faire bouger, et que des jambes bien fatiguées peuvent rapidement se faire oublier. Belle perf.

Pou augmenter la sauce à une heure de la nuit déjà bien avancée, les Avalanches signent leur grand retour sur la scène du Primavera, livrant un set house bien calibré – malgré un nouveau single plutôt, voire très mauvais. On s’en va finir la nuit avec l’ami DJ Koze, qui débarque d’office avec le Digital Arpeggios de Four Tet. On a entendu pire intro. Pour la suite, Koze offre au public tout ce que l’on peut attendre d’un set de 4h-5h du matin : du tube. Après avoir passé le hit en devenir For My Better Half de Stimming (dont on vous décrit le magnifique album par ici), il s’offre une bonne demi-heure techno, puis enchaîne son remix de Bad Kingdom avec un autre de ses tubes, l’imparable XTC qui a marqué tous les sets house de l’été dernier. On a aussi fait pire comme final.

 

Samedi

Samedi, on débute la journée en décuvant sur le shoegaze d’Autolux, pourtant plus salement bruyant que reposant pour l’appareil auditif. On fuit donc à l’opposé du spectre musical pour assister au concert de Jessy Hval. Enfin “concert” est un mot bien réducteur, car le show de la norvégienne tient plutôt de la performance : quelque part entre l’art contemporain et le pur WTF. Les deux membres de son groupe et elle débarquent sur scène en perruques blondes tombant presque aux genoux, vêtus de chemises beaucoup trop dorées et ne faisant rien pour cacher des boxers de grand-mère. Soit quelque chose d’à peu près similaire à la pochette de son dernier album – ballon géant compris. Le côte sonore est tout aussi loufoque : Jenny se lance dans un spoken word chuchoté, étrange, sous des nappes de sons expérimentaux au basses lentes, mais qui font saigner par leurs vibrations et leur niveau sonore. Une pop expé d’avant-garde qui laisse forcément une part du public plutôt dubitative.

De l’autre côté du site, gros changement d’ambiance avec Richard Hawley et son rock à papa, dont les ballades comme les chants plus entamés restent bien tranquilles, mais pas moins appréciables de poésie. Deerhunter prend la suite et livre un son impeccable et brûlant, le groupe et son leader instable étant apparemment bien lunés ce soir. C’est ensuite PJ Harvey qui signe son retour en fanfare pop anglaise, appuyant une grande partie de son set sur ses nouveaux titres. On file encore une fois de l’autre côté du site pour aller voir un Action Bronson qui enflamme son audience sans beaucoup de peine. Qu’il se lance d’un flow essoufflé dans un acapella sans fin ou nous balance des punch du type “I just put on a fucking rap exhibition, a fucking rap clinic”, Bronson s’appuie sur des instrus à la force de frappe maximale pour allumer un public en manque d’affiche hip-hop.

Action Bronson

Pose toute en émotion alors qu’Action dédidace un titre à Maman Bronson

Virage d’ambiance à 180°, on se dirige vers la nouvelle scène inaugurée cette année : le Beach Club, sorte de Club Med électronique ultra-sponsorisé par Bacardi. On sait, ça fait peur. Pas que l’idée de créer une scène “plage” soit si mauvaise – le Primavera ne se situe pas sur les côtes méditerranéennes pour rien – mais on sait de mémoire que le mélange sable + musique électro donne rarement dans le concept élitiste, surtout pour un festival à la base indé. Bref, on débarque dans cet ersatz d’Ibiza (qui a bien checklisté les clichés du genre avec guirlandes, palmiers et une Casa Bacardi en carton-pâte) pour aller voir l’étoile allemande de Cómeme Lena Willikens. Malgré le décor, la productrice déballe sans peine une techno mordante et ténébreuse, d’une froideur mécanique qui se frotte de très près à l’EBM. Plus le public semble apprécier, plus elle s’aventure dans des chemins tortueux, complexes, qui conjurent ce triste cadre où se retrouve parquée la scène électronique cette année.

Autre 180° de style, on passe faire un tour du côté de Parquet Courts, où le public “rock” semble s’être retranché comme face à une attaque des clones, fuyant ces artistes étranges qui débarquent sur scène sans guitares. Et les guitares, ce n’est pas ce qu’il manque chez le quatuor de Brooklyn dont le set est en très grande partie instrumental. On a le droit à une respiration chantée avec le récent Dust, et puis le groupe se retranche de nouveau sous ses cordes et ses franges pour repartir vers des rifs plus sombres.

Mais le temps presse, et on a à peine l’occasion d’apercevoir Julia Holter chantant un Sea Calls Me Home d’occasion qu’il faut filer à Moderat. On croise les doigts pour que le trio réussisse à éviter l’éternel problème du son des grandes scènes. Et il s’en sort à peu près, la ritournelle Moderat étant si enchantante qu’on peinerait à se plaindre même s’il fallait tendre l’oreille pour l’écouter. Le chant envoûteur d’Apparat fait rapidement son effet : on observe une bonne partie de nos voisins passant la première moitié du show à faire le balancier, les yeux fermés, à moitié hypnotisés. Un tournant plus rythmé s’opère autour du titre Rusty Nails, que les écrans illustrent d’un païen et philosophe Hell is above. Progressivement, une petite tempête techno se met en marche, laissant la furie Modselektor se déferler peu à peu sur la foule. L’apogée est atteinte avec l’évident tube Bad Kingdom, où les trois gus s’installent tous au chant, nous lâchant même quelques pas chorégraphiés au refrain. Mais balançant comme toujours entre la force et l’apaisement, l’immersif et le dynamique, Moderat reviendra saluer la foule plus calmement avec Intruder.

Avec l’impression d’avoir assisté au clou du spectacle, dénouement final de ces trois jours de festivals, on n’est plus sûr d’encore trouver matière à nous impressionner. Si Pantha du Prince fait effet de calmant avec son ambiance minimaliste et spacieuse, elle est peu en accord avec l’heure tardive de la nuit. L’allemand livre tout de même un joli show, duquel on dénotera le final en beauté, sur un remix de Depeche Mode.

Dans l’idée de terminer les choses sur une note plus rythmée, on retourne vers le décrié Beach Club, théâtre d’un « Hivern Discs All Star Disco Finale » – rien que ça. Mais malgré le titre à rallonge, c’est une grosse déception que de faire face au (pourtant très bon) label de John Talabot : on nous a certes parlé de Disco Finale, mais on ne s’attendait pas pour autant à se retrouver du mauvais côté de Funky Town. On en vient même à craindre que quelqu’un ose insérer le morceau en question entre deux bouts de house baléaro-tropicale. Un épilogue peu à la hauteur de ces trois jours du festival et qui prouve que même avec une prog magnifique, il reste des barrières à franchir avant de faire le pont entre musiques électroniques et rock indé. Rendez-vous au Sónar pour juger le camp adverse ?

Primavera Sound