On aurait aussi bien pu nommer cet article “sur la trace obscure des groupes indés”, tant le festival Primavera Club a le flair pour dénicher les groupes à peine formés, ayant un album ou moins à leur actif. On imagine d’ailleurs assez bien une bande de geeks musicaux rafraîchir automatiquement Pitchfork, regarder toutes les sessions KEXP et écumer les festivals d’artistes émergents, de SXSW à Austin au The Great Escape de Brighton.
Quoi qu’il en soit, le Primavera Club a le don pour nous présenter les groupes qui compteront demain, et qui étaient jusqu’alors passés sous les radars des plus assidus d’entre nous. Rien d’étonnant à ça, puisque les organisateurs sont d’abord ceux d’un géant festival de la musique indé : le beau, le grand Primavera Sound.
Vendredi
On s’était déjà aventuré sur le terrain barcelonais l’année dernière, nous voilà de retour pour trois nouvelles soirées fortes en découvertes. On commence le vendredi par Novella, girlband shoegaze un peu psyché, qui peine à convaincre par son manque d’assurance sur scène. La faute sans doute au peu d’expérience.
Malgré la fermeture d’une des deux salles prévues et le chamboulement de programme qui en découle, le site du Teatre Principal nous révèle une belle suprise avec NAKED, trio londonien à la chanteuse émerveillée. À la croisée des chemins entre FKA Twigs et Fever Ray, le groupe en tient la force de frappe d’une pop hors des carcans, cet aspect avant-gardiste où le mystère et la noirceur passent avant le tube. Le chant très incantatoire rend les paroles quasi-inaudibles sans même que cela dérange. En une envolée spatiale, Londres réclame son trône en nous démontrant que la Scandinavie n’a pas l’apanage du renouveau pop/electronica.
Le changement d’horaires nous fait manquer Deradoorian qu’on comptait pourtant dans notre liste des groupes à voir. Mais pas de temps à perdre en lamentations, il faut filer au temple barcelonais de l’Apolo pour la suite des festivités. On y débarque pour Formation, autre groupe anglais là pour nous prouver que Londres n’est pas prête de céder sa place de premier nid créatif d’Europe.
Formation fait partie de ces groupes qui mettent l’accent sur la batterie et les percus pour donner à leur son une dimension plus dense, et à leur live une énergie indéniable. Les longue plages instrumentales inclues dans les morceaux se font donc à grands renforts de percus, tandis que les londoniens enchaînent les tubes rock en devenir.
La veine indie continue avec Roosevelt, groupe allemand qui nous rappelle légèrement Childhood l’année passée. De l’autre côté de l’Apolo, rien de bien transcendant non plus. Dans la seconde salle justement baptisée “La 2”, l’attaque anglaise se fait faiblarde avec le groupe Cristobal & The Sea, dont le melting pot d’origines et la flûte traversière ne sauveront pas la pop flotteuse et sans saveur.
Il est 2h du matin, le passage à un programme électronique se fait sentir sur l’Apolo qui, avant d’être le théâtre du Primavera Club, reste l’un des plus gros clubs de la ville catalane. De ce côté-là de la force, le clou du spectacle restera sans conteste Moiré, le protégé de R&S Records – label anglais qui vient entre autres de sortir les derniers Nicolas Jaar et Tale Of Us.
Samedi
Le samedi, toujours en proie aux adaptations de dernière minute avec le programme, on loupera la folk charmeuse de Jessica Pratt. On tente de se réconforter avec le live d’U.S. Girls qui, malgré un son intéressant, nous fait sentir qu’on a déjà vu passer beaucoup de voix féminines similaires en à peine deux jours. Cette édition du festival se dote en effet d’une forte connotation “pop étrange et cosmique” dont on commence à un peu trop déceler les rouages.
Le live garage bordélique de Mike Krol coupe de force nos geigneries sur l’uniformité de la pop. Le groupe entier a revêtu des costumes de flics américains et se déchaîne sur scène d’une manière qui n’est pas sans rappeler la bande à Ty Segall. Les morceaux s’enchaînent sans trève, mais gagneraient quand même à s’étaler au delà des deux minutes. N’en déplaise à la ferveur garage qui elle a bien été honorée, parfois au détriment de dame subtilité.
C’est Shura qui nous réconciliera avec les synthés dont on se plaignait plus tôt. Ce phénomène anglais dont on vous parle depuis déjà un moment (et qu’on a rencontré il y a quelques mois) est loin de nous décevoir en live. Première jolie surprise, sa voix haut perchée tient très bien la route, mais on évite l’écueil de la facilité en ne centrant pas tout autour du chant à lui seul. La chanteuse s’entoure en effet de trois musiciens sur scène, ce qui donne au concert des accents très 80s : le règne des synthés dans un mariage de bonne augure avec quelques cordes.
La force des paroles de Shura tient dans l’emphase de moments banals du quotidien. Les morceaux “2 Shy” et “Indecision” ont la beauté pure, honnête, d’une voix claire qui isole ces instants capturés et les transforme en histoire. Le final sur le magnifique “White Light” permet au groupe de débrider ce qu’il lui reste d’énergie dans ce live qui s’aventure au delà du classique concert pop. En décelant de nouveaux morceaux dans la setlist, on se demande au passage quand un album finira par sortir, le premier morceau de Shura datant d’il y a déjà plus d’un an.
Sur l’autre salle de l’Apolo, c’est le joyeux bordel de Golden Teacher qui est aux manettes. Beaucoup de synthés, deux chanteurs fous et des chorés inspirées du vogguing : le mélange est volontairement surfait mais ravit quand même la foule. Les DJs résidents du club enchaîneront la suite de la soirée sans nous, qui esquivons le turnover de public qu’impose un club barcelonais passés les 3h du mat. On manquera donc le set des italiens de Ninos du Brasil, mais pas de panique on vous parle très bientôt depuis le Club To Club Festival de Turin.
Dimanche
Le dimanche, on débarque alors que le pianiste Lubomyr Melnyk présente au public son dernier “morceau”. Le mot est faible, car c’est plutôt un concerto de trente minutes que nous livre le virtuose ukrainien de 66 ans, tardivement signé chez Erased Tapes. Hypnotisés par la beauté hors du temps de son piano et l’expertise avec laquelle il le maîtrise, on en loupe le concert des américaines de Chastity Belt dont on n’entend que les dernières secondes de pop décalée.
Cette dernière soirée s’enchaîne avec les débuts scéniques d’Empress Of, la pop inspiration Björk d’une américaine native de l’Honduras. Pour le bonheur de nos oreilles situées juste à côté des enceintes, son timbre falsetto se fait bien plus doux en live. Mieux, ses morceaux gagnent clairement en densité, la faute sans doute à une production trop lisse sur son album “Me”.
Le concert de fermeture est donné par Algiers, le groupe d’Atlanta qui commence à faire du bruit chez les amateurs de rock. À raison, car leur live sonne comme une explosion de son organisée en un crescendo de volts. Du chant aux instruments jusqu’à la gestuelle même du groupe, tout se joue à outrance chez Algiers, qui semble vouloir nous tenir dans un état de paroxysme constant. Il faut dire qu’après toute la pop accumulée ces derniers jours, un défoulement plus électrique n’est pas sans nous déplaire. Et si le groupe joue à fond la carte de l’intensité, tout reste savamment calculé, leur dextérité faisant figure de vétérante face aux balbutiements hésitants de certains groupes du week-end.
En définitive, le Primavera Club est un apparté, un préambule pour le “vrai” Primavera, destiné à qui a la chance d’habiter la capitale catalane à l’année. Tandis que ses groupes les plus convaincants sont souvent reprogrammés pour l’édition de mai, le public local a le droit à son moment de découvertes garanti sans touristes émechés – une denrée qui se fait rare à Barcelone.
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