Aujourd’hui nous inaugurons par cet article une nouvelle série d’interviews fleuve consacrée aux grands pontes de la techno et de la house music : « Un dîner avec … », en partenariat avec le DV1 Club. L’objectif est de vous faire redécouvrir les acteurs clés de l’histoire de ces styles de musique à travers des portraits originaux, réalisés lors de leurs venues à Lyon.
Quoi de mieux pour cela que d’échanger autour d’un bon repas et d’une bouteille de vin français ? Le premier dîner de cette série commence très fort puisque c’est le légendaire house-maker Mike Dunn qui était assis à notre table et a répondu à nos questions. On est d’autant plus contents que ses interviews se comptent sur les doigts d’une main. Encore merci à lui !
Notre tête-à-tête s’est déroulé dans un bon restaurant de la rive Est lyonnaise, quelques heures avant que Mike Dunn ne monte sur les planches du DV1 pour la première soirée I’M de la saison. Ambiance tamisée, nourriture délicieuse et excellent vin, tout était en ordre pour s’assurer la tenue d’une conversation passionnante et intimiste. Légèrement fatigué par le vol qui l’amenait directement de Chicago, sa ville natale, Mike Dunn est d’un naturel calme et rieur, ce qui contraste bien avec la férocité groovistique de ses morceaux d’anthologie. Casquette vissée au ras des yeux, sourire malin et sneakers aux pieds, notre repas commence de bon ton et avec un excellent verre de Crozes Hermitage.
Un début de carrière, le début de la house music
Comment ne pas commencer une interview d’un artiste comme lui sans évoquer les débuts de sa carrière, et donc nécessairement ceux de la house music. Mike Dunn est en effet l’un des tout premiers musiciens à s’intéresser à ce genre nouveau qui sévissait dans les clubs de Chicago et dans les basement d’Englewood. Il sort sa première track « Dance You Mutha » en 1987 chez Westbrook Records et il est l’un des premiers à se produire en live house, enregistrant ses sets pour pouvoir retravailler ses tracks une fois chez lui.
« J’ai senti dans la house music un énorme mélange de la plupart des styles US de l’époque. Bien sûr, l’influence la plus importante pour moi était celle de la disco. J’écoutais les disques funk et disco de mes parents, même gamin. Mon artiste préféré reste James Brown ! Mais il y a eu aussi beaucoup de choses reprises au hip-hop, qu’il soit east, west coast ou même dirty south. Tout le monde influençait tout le monde. »
Cette euphorie musicale qui semble être propre au nord-est américain allait bientôt porter Mike Dunn et ses compagnons de route sur le devant de la scène de Chicago. Partageant la platine avec d’autres légendes telles que Ron Hardy ou Larry Heard, Mike commence à jouer sur bon nombre de plateaux dans Chicago et ses environs. Il développe parallèlement sa technique de production et travaille avec de nombreux artistes émergents de sa région, alors encore seule à produire ce nouveau style de musique.
Cela lui permet de satisfaire sa passion pour la technologie à travers son travail avec les nouvelles machines mises sur le marché. « Je suis un homme de la technologie » nous dit-il. Le cercle s’étend et le style commence à s’affirmer, notamment grâce à quelques artistes comme Bam Bam ou Phuture. L’acid house commence à pointer le bout de son nez et cela ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. L’occasion pour nous de revenir sur la naissance de ce mouvement fondateur dans l’histoire de la dance music.
La naissance de l’acid house
Plusieurs questions nous venaient à l’esprit. Tout d’abord, pourquoi la musique acid est-elle née à Chicago ? Quelles en étaient les raisons logiques ? Deuxièmement, pourquoi ces modulations particulières créent une réaction énergétique si particulière dans le cerveau des danseurs ? A tout cela, Mike Dunn avait bien entendu les réponses :
« C’est très simple. Quand nous allions nous renseigner dans les magasins spécialisés, la TR-303 était systématiquement la machine la moins chère, servant à l’origine à produire des basslines pour les rockeurs. On a commencé à l’utiliser comme ça. En bidouillant et triturant un peu la machine, on a mis à jour ces modulations si particulières. On s’est dit que c’était vraiment mortel et on a cherché à l’exploiter à fond. Les premières tracks d’acid house sont sorties avant même Acid Trax [le label]. Je pense que cette musique convient parfaitement à Chicago. Maintenant, cela fait partie de son identité culturelle ».
Les années qui suivent, les 1990’s donc, sont parmi les plus productives de sa carrière. Il enchaîne les collaborations et les releases sur des labels prestigieux, de Nervous Records à Robsoul en passant par Westbrook Records ou Nitestuff. Cette percée grandiloquente dans le monde exigeant de la musique et de la production n’était pourtant pas toute tracée. « A l’origine je voulais jouer au football américain ou au baseball, mais la musique m’a rattrapé » nous dit-il avec un grand sourire. « Je n’ai jamais joué d’un instrument, si ce n’est de la batterie, et encore je m’y prenais très mal ! ». À croire qu’il ne l’aurait même pas fait exprès.
La concurrence techno ?
L’influence de Mike Dunn continue de grandir à Chicago alors qu’à un Etat de là, dans le Michigan, la révolution techno s’organise autour de Juan Atkins, Kevin Saunderson et Mad Mike. C’était l’occasion pour lui demander comment les ténors de Chicago ont réagi face à la montée en puissance d’un mouvement musical « concurrent » à seulement quelques encablures de là. « On a été solidaires les uns des autres. On aime beaucoup leur musique, j’ai joué de la techno moi aussi ». Se met alors en place une belle solidarité entre les artistes de Chicago et ceux de Detroit, autant portée par l’amour du beat que par le sentiment de créer quelque chose de totalement nouveau.
La dance music s’exportant en Europe, Mike Dunn continue son travail de production en gardant ses influences disco et funk alors que les sons en vogue deviennent plus analogiques, déshumanisés, synthétiques. L’artiste cherche à garder la chaleur musicale de la house des débuts, et aussi cet esprit hip-hop porté par un style vestimentaire et un flow décapant que l’on retrouve sur la plupart de ses productions. C’est notamment le cas de l’un de ses morceaux les plus connus, Preaky Motherfucker, un track tueur de dancefloor, sorti sur le label Robsoul en 2008.
« J’ai composé cette track quelques heures avant de jouer dans un club, en 2008. J’avais cette ligne de basse très syncopée, et j’ai décidé de ne garder que les première notes et de prolonger la dernière pour apporter un peu plus de groove. J’étais en plein stress, mais j’ai produit le morceau à temps et le public est devenu complètement fou dessus ».
C’est un peu ça l’esprit Mike Dunn, le juste milieu entre un bon feeling et un timing sur le fil du rasoir.
Et la nouvelle génération, alors ?
Vient après cela des productions plus « européennes », notamment avec sa participation au catalogue Clone aux côtés d’Alden Tyrell et de Murphy Jax. C’était l’occasion pour nous de lui demander ce qu’il pensait de la nouvelle génération d’artistes électroniques, lui étant à présent l’un des pères fondateurs du genre :
« J’ai toujours un petit problème avec la starification des DJs. Avant, notre musique était notre visage. Mais j’apprécie beaucoup les jeunes qui font de la musique correctement, avec le respect et la créativité qui lui sont dus ».
Force est de constater que les motivations des artistes montants ne sont pas toujours exclusivement portées par l’amour inconditionnel de la musique, mais plutôt par une recherche de gloire et de reconnaissance, elles-mêmes engendrées par la démocratisation de la dance music. Qu’en est-il à Chicago ? « La scène de Chicago est toujours vivante mais elle a un peu perdu de son charme. C’est un peu devenu un folklore. Le côté positif, c’est que des structures se sont développées pour aider les jeunes producteurs à créer leur musique. Cela n’existait pas avant, et cela montre que la solidarité artistique existe toujours là-bas ». On est rassurés !
Notre repas se termine doucement avec quelques plaisanteries et un gros cigare sur le parvis du restaurant. On lui demande s’il est prêt à briser les pieds des danseurs ce soir. « Bien sûr que je suis prêt, comme je l’ai toujours été. J’aime jouer dur et fort, faire ressentir toute la puissance des morceaux que je joue telle que je la ressens moi-même ». Et ce fût effectivement le cas, on peut vous l’assurer. Si vous avez manqué cette date, ou que vous ne connaissez pas la discographie de Mike Dunn, vous trouverez plus bas sa récente Boiler Room, histoire de vous faire saliver. Bonne écoute !