MARATHON! : une histoire des musiques électroniques

Retour sur cette soirée autour des musiques électroniques à la Gaîté Lyrique, qui restera gravée dans les mémoires pour bien d’autres raisons que celles escomptées.

En ce vendredi 13 novembre 2015, la soirée promettait d’être belle. Plusieurs amis fêtent leurs anniversaires, la nuit noire est plutôt douce, et nous avons rendez-vous à la Gaîté Lyrique pour la seconde édition du MARATHON!. Leur ambition est de « réunir les publics devant des genres musicaux qui entretiennent des connivences artistiques mais qui ne se croisent que trop peu sur une même soirée ». Les publics, ce sont ce soir des jeunes à la barbe longue, des filles aux pantalons larges, des quadras en chemises et chemisiers, des « anciens » aux looks d’intellectuels, des garçons aux looks soignés.

Ce soir-là donc, on entre dans la Gaité Lyrique qui fourmille de culture dans toutes ses salles. Au sous-sol, l’exposition Paris Culture Club est animée par La Souterraine, avec des concerts de BCBG, Rémi Pardon et Requin Chagrin.

Dans l’entre-foyer, au premier étage, on est absorbés dès notre entrée par les six batteurs qui reprennent la première partie de « Drumming », une pièce de Steve Reich, sur six tambours alignés. Chacun semble donner à peine quelques coups de baguette, pourtant l’ensemble résonne comme un orchestre. La foule est mutique, attentive,même les serveurs au bar parlent tout bas dans le foyer qui résonne des conversations.

Dans la grande salle, quand Pierre Henry sort des loges artistes sur son fauteuil roulant. Un silence respectueux, humble se fait entendre, et tout le monde attend en regardant les hauts-parleurs disséminées partout dans la salle et sur la scène. Le vieux monsieur grimpe sur la plateforme dressée dans la fosse, s’assoie doucement, et quand il touche les potentiomètres de sa table de mixage, semble libérer une énergie qu’on ne lui aurait pas prêtée.

On ne peut s’empêcher de penser que cette musique ressemblerait aux oreilles de beaucoup à du « bruit », pourtant le public ne cesse de tourner la tête pour chercher l’origine des sons de piano distordus qui s’enchaînent avec intelligence.

Ce qu’il y a de notable dans notre « nouvelle scène techno », c’est que les jeunes – même très jeunes -, sont curieux, sensibles, ouverts à plusieurs genres de musiques. Ils connaissent et reconnaissent l’histoire de leur musique préférée sur le bout des doigts. Qu’en 2015, on puisse proposer une telle affiche, avec des artistes récents qui reprennent les pères de la musique répétitive, concrète ou électro-acoustique, c’est notable.

En « interlude », dans l’entre-foyer, on enchaîne avec un concert de hip-hop, encore une fois, loin de la définition habituelle qu’on en fait. Un saxophone, un violon, un clavier, deux batteries et deux platines forment cet « Hip Hop Algorithms », une commande d’état. Oui, car l’Etat en France, malgré ses défauts dans les affaires culturelles, l’économie, l’éducation.. finance aussi ce genre de projets, atypiques, étonnants, bizarres, et c’est qui fait la beauté de la culture, cet hydre à mille têtes qu’on serait bien incapable de réduire à un seul livre, un seul film, quelques chants.

Comme c’est vendredi soir, malgré les prix un poil exorbitants du bar, qu’on aime détester parce qu’on habite à Paris mais qui ne nous empêchent pas de dépenser nos salaires, on prend un autre verre, une bière de Noël. Tradition certainement mercantile, mais un petit plaisir qui rappelle que c’est déjà bientôt les fêtes, ces moments où on aime se retrouver.

À suivre, dans la grande salle, connue pour ses murs en métal qui ne laissent pas passer le réseau, un tout nouveau live d’Arnaud Rebotini, grand monsieur – il nous met bien une tête ou deux, avec Christian Zanési, appelé « Frontières ». Sur la scène, une montagne de claviers analogiques à droite fait face à deux ordinateurs et un clavier midi à gauche. Quand les deux hommes entrent sur scène, les murs de la Gaité Lyrique se parent de mille images, sortes de fractales, qui font penser ici à un datacenter, là à des frontières, justement. Entre nappes de claviers, sons de l’espace et voix vocodées, on entre dans un univers plus familier, plus pop si l’ont veut. On prend une véritable claque et les gens bougent déjà beaucoup.

À cet instant, on sort de la salle, étonnés du nombre de personnes qui regardent leur téléphone. Le nôtre commence à sonner inhabituellement beaucoup. Les infos arrivent doucement, on appelle, pour essayer de se rassurer, et on retourne voir le concert. « Que se passe-t-il ? Tu verras après le concert ». Pour rien au monde je n’ai envie d’être celui qui effacera ce sourire sur le visage de mes amis, cassera la beauté de cette musique.

À la fin du concert, une annonce sur scène, d’une voix calme et rassurante : « nous resterons ouverts aussi longtemps qu’il le faudra. Merci de ne pas fumer à l’intérieur, moi-même je suis fumeuse, mais je vais m’en passer pour le moment ». Les langues se délient et tout le monde sort prendre des nouvelles de ses proches. DDD commence un djset très fort, bien décidé en découdre. Les clopes s’allument à droite à gauche, le vice est bien ancré. On hésite à rester, partir ? Et puis merde, no way, reprenons un verre, demain il sera peut-être trop tard. James Holden et Camilo Tirado « ont accepté de monter de scène », nous entrons donc une nouvelle fois dans la grande salle, pour voir cette fois-ci des tablas et des tapis sur scène.

Pendant une bonne heure, on est submergés par la beauté de “Outdoor Museum Of Fractals“, une ode à Terry Riley. À chaque respiration dans la musique, le public en demande plus, dans un élan de chaleur humaine qui fait bon à ce moment-là. Difficile de décrire exactement la force de cette musique en deux accords, sorte de trance hypnotique, et pourtant limpide comme de l’eau de roche. Qui n’a jamais écouté Terry Riley peut commencer par le morceau suivant.

Difficile de remettre les pieds sur terre après tant de beauté, d’autant que le retour à la réalité est plutôt amer. La Gaité Lyrique garde ses portes fermées jusqu’à nouvel ordre, et Xavier de DDD est rapatrié dans la grande salle pour tenter de nous faire danser et oublier. Ça et là, les gens s’assoient, mangent les chips et boivent les softs distribués par le staff aux petits soins. Dans la médiathèque, au premier étage, une femme assise lit un livre pour enfants en écoutant « Peer Gynt », comme si la beauté absolue pouvait contrer tous les malheurs.

Photos par Cécile Labonne