Si l’heure n’est pas encore à se pavaner en survêtements fluo, il est cependant indéniable que 2015 marque le retour en force de cette période 90’s désormais lointaine. Comme si la conscience collective était de nouveau prête pour la mélancolie de ses grands messies.

New Order, Chemical Brothers et Leftfield ont tous trois sortis un nouvel opus à quelques mois d’écarts, et cela après une dizaine d’années de silence. Plus de quinze même pour Leftfield, qui est actuellement en pleine tournée pour reconquérir un sol anglais déjà à leurs bottes vingt ans plus tôt. On décortique aujourd’hui « Alternative Light Source », leur dernière galette.

Inutile d’essayer de créer du suspense : l’ensemble est d’excellente facture. Sur le plan musical on retrouve ce qui a fait le succès du groupe, à savoir un son à la fois gras et inventif. Si bien souvent l’harmonie est simple, la surprise et la vivacité d’écoute reposent sur une structure souvent évolutive. Mais ce qui vient créer l’équilibre, c’est surtout les associations de textures singulières propres au duo.

À vrai dire, il s’agit ici de la patte Leftfield. Il règne une ambiance trip-hop sur le titre éponyme « Alternative Light Source », jouant des faux airs d’un Massive Attack qui vient lui aussi d’annoncer son retour. Sans transition, l’album se transforme et passe de façon brillante en valkyrie des clubs avec « Shaker Obsession ».

Mais cette inventivité et cette diversité viennent créer le principal problème de l’album : il n’existe pas de fil rouge. Après plusieurs écoutes on a toujours l’impression d’écouter un patchwork qui fonctionnerait tout aussi bien dans le désordre. On passe d’un « Dark Matters » très pop à un « Little Fish » assurément électro-punk. Les titres sont marquants individuellement mais pas collectivement, car il n’y a pas le ciment pour leur faire raconter une histoire. Ainsi, « Universal Everything » est une gemme à savourer dans un club sombre tandis que « Head and Shoulders » transpire le Royaume-Uni à vingt miles. Ensemble, le mélange désarçonne.

Ce manque de cohérence, on le retrouvait déjà sur les deux premières galettes du duo. On se surprend cependant à remarquer que la galette 2015 est beaucoup plus ressemblante à « Leftism » de 1993 qu’à « Rythm and Stealth » de 1999, qui a pris un sacré coup de vieux aujourd’hui. L’ère du CD a fait du mal à Leftfield, qui y a perdu son âme dans des aventures dub et reggae douteuses. « Leftism » n’en ressort que plus éclatant et pourrait presque être composé aujourd’hui : on vous laisse comparer « Space Shanty » avec un morceau de BFDM Records, jeune label lyonnais en vogue. La symbiose est déconcertante.

A vrai dire cette plongée dans le passé britannique a inondé la scène musicale mainstream cette année. En dehors des protagonistes de l’époque, la nouvelle génération fait hommage en bloc. En Angleterre, Jamie XX a tenté d’en insuffler l’esprit à son premier album « In Colours ». En France, The Shoes sort cette semaine un album assumé, hommage à leurs écoutes adolescentes – inutile de préciser d’où leur est venu le titre « Chemicals ».

Si le son des années 90 est de retour, l’écosystème technoïde a lui radicalement changé. Fini les « summer of love ». A l’heure où le clubbing anglais est en pleine évolution, parfois jusqu’au grotesque, le fardeau du glorieux passé enferme-t-il le présent dans une contrefaçon qui s’asphyxie ? Qu’en est-il de la création ? On a pris rendez-vous avec les acteurs locaux pour y répondre : à découvrir prochainement sur Beyeah.