Tout est très étrange ici. Ce n’est pas vraiment de la techno, ce n’est pas vraiment de l’expérimentale, ce n’est pas vraiment de l’ambient, ce n’est pas vraiment définissable. L’écoute est ardue, l’ambiance évolue et les tempos s’accélèrent puis ralentissent à mesure que les titres de l’album défilent. Mais d’abord, quel album ? Celui que le jeune Kobosil vient de sortir sur Ostgut Ton, le label affilié au Berghain. C’est son premier album.

Max Kobosil est né à Berlin, il est jeune (vingt-quatre ans) et sa carrière est déjà bien lancée. Résident du Berghain, début de discographie chez Ostgut Ton, Marcel Dettmann Records et Unterton, création de sa propre structure, RK, où, pour l’instant, il ne sort que sa propre musique… Le garçon a la techno facile et, à l’écouter répondre aux questions posées par d’autres médias, une conception bien trempée de son art – souhaitant avant tout éviter les productions conçues exclusivement pour un dancefloor et qui disparaissent juste après la sortie d’un autre DJ-tool. Souhaitant, aussi, concevoir un album comme un tout où la musique n’a pas l’unique rôle à jouer, mais où l’art visuel et la performance live construits autour s’expriment également. Et où, peut-être, l’interprétation exprimée par les autres pourrait participer à la conception étendue de l’oeuvre.

L’album dont il est question ici, « We Grow, You Decline », a été conçu à partir de morceaux dont il avait commencé la production en 2013, c’est à dire au moment où il commence à sortir de la musique électronique sur format vinyle. Réarrangés, repensés, améliorés et, surtout, extrêmement travaillés avec des proches fins connaisseurs de l’ingénierie sonore, les morceaux constituent une structure vitale équilibrée où chaque élément correspond à une fonction qui définit le tout. Autrement dit, c’est un album qui fonctionnera chez différentes personnes, car il mobilise des ambiances et suscite des émotions variés.

Ainsi en est-il de quelques morceaux d’une techno d’ambiance où le kick est si doux qu’il en est presque invisible. « Reflection », « The Exploring Mountain » ou « You Answered With Love » développent leur noirceur avec délicatesse. On croit y percevoir le bruit sourd d’un clocher qui confère toute sa frayeur à l’ambiance complète de l’album, où de nombreuses percussions indéfinies et déconstruites dans leur rythme s’expriment au-dessus de vibrations d’insectes et autres bestioles électroniques.

Une autre fois, c’est l’appel d’un piano synthétique légèrement pesant, certainement joué par une créature inconnue du monde humain, qui pousse l’auditeur dans les recoins éloignés de son trouble imaginaire. Celui, par exemple, d’un homme qui dort profondément après une journée agitée et à qui l’on souffle des paroles perturbant ses rêves. Ces trois titres, calmes, délicats mais tout sauf apaisants car construits pour être réfléchis, sont assimilables par leur construction sombre et leur univers noirci par les vagues de pensées étranges qu’ils suscitent dans une oreille concentrée.

D’autres restent axés sur le club, où c’est l’énergie du corps plutôt que le souffle de l’esprit qui s’exprime. « To See Land », « Aim For Target », « The Living Ritual » et, d’une manière inattendue et totalement charmante, « They Looked On », ont plus la chance d’être joués par Kobosil lors d’un DJ-set musclé qu’à une soirée tranquille à discuter de choses et d’autres. Ils restent des morceaux agités (et agitateurs) qui poussent un corps à se mouvoir parmi ses semblables pour y puiser une énergie dans la transe – c’est à dire dans la danse qui s’accomplit. Et, lorsque le corps fatigue, il est temps pour lui de se reposer.

Max Kobosil a tout prévu pour ça. Il a en effet fabriqué des morceaux ambient qui décontractent et facilitent la méditation, à l’instar de « Eihwaz » et de sa référence à l’espace, où une voix énigmatique s’exprime par-dessus un bruitage qu’on aurait pu tirer d’une station spatiale. Il y aussi « While The Stars Be Not Darkened », légèrement bruyante au début mais qui suscite l’espoir d’une libération. Le morceau d’après est d’ailleurs « You Answered With Love », et il n’a sûrement pas été placé là par hasard dès lors que l’on connait le goût excessif de Kobosil pour l’ordre et la perfection d’un tout.

Cet album est abouti dans le message qu’il veut faire passer – dont l’interprétation, évidemment, sera différente pour chacun. Kobosil a réussi à concevoir une oeuvre mature qui le place comme un artiste plutôt qu’un producteur à la chaîne. S’il n’y a encore rien de fabuleux et de transcendant dans sa musique, certains moments laissent espérer qu’à force de travail il parviendra à livrer une oeuvre éternelle qui pourra être réécoutée par quelqu’un une fois son créateur mort et enterré. C’est l’un de ses souhaits, et on lui souhaite quant à nous que son énergie ne décline pas comme celle des autres musiciens qu’il dénonce avec le titre de son premier album.