Il y a quelques semaines nous avons rencontré Inigo Kennedy dans un café à Finchley, au nord de Londres. Nous avons eu une longue et passionnante conversation sur sa trajectoire en tant que vieil artiste techno, désormais complètement respecté et reconnu par ses confrères.

A la fin de l’entrevue – a découvrir très prochainement sur Beyeah – il nous propos de venir le voir à Manchester au coté d’Antigone, dans un lieu que nous ne connaissions pas, le Mantra Live. Evidemment, il s’agissait d’une offre qui ne peut se refuser. Récit d’une de mes meilleures nuits électroniques en quelques photos.

La soirée avait plutôt mal commencé, l’autoroute nous reliant à Manchester étant en travaux sur de larges portions. Tant bien que mal, et un peu démotivés, nous arrivons en périphérie de Manchester. En plein quartier résidentiel, le GPS indique la fameuse warehouse à moins de 500m, le scepticisme nous envahit. Puis, un virage, un pont au dessus d’un canal et un semblant de quartier industriel. Devant nous, un énorme complexe – ancien atelier de tissage – reconverti en espace de vie culturel et artistique. La simple vue du bâtiment nous donne le sourire, celui qui annonce les soirées mémorables.

Le complexe accueille de nombreuses activités artistiques différentes. C’est un lieu d’échange et création où se retrouve graffeurs, ébénistes et autres créateurs. Des expositions sont régulièrement tenues, et la vieille activité d’atelier de tissage est entretenue par un petit studio de couture qui vend sur place leurs créations.

Live Mantra Manchester
Vue du Wellington Mill – complexe qui accueille le Live Mantra – au petit matin, quand les clubbeurs sont couchés.

Nous traversons une petite ruelle intérieure pleines d’œuvres de street-art avant d’accéder aux videurs. La fouille y est vigoureuse, ce qui est non sans nous rappeler nos multiples passages au Warehouse Project. On nous tamponne alors que rien ne le justifie vraiment, preuve que la politique de fouille des institutions électroniques de Manchester est avant tout dû à une politique locale de “council” agressive à ce sujet. Comme nous vous le disions il y a quelques semaines, la région autour de Manchester est celle où l’on se drogue le plus en Europe, et également la où on en meurt le plus. Pas étonnant que les pouvoirs publiques s’investissent de la problématique.

Au final on pourrait se laisser aller à faire le parallèle entre les paysages déprimés et pauvres du nord de l’Angleterre à la mélancolie musicale de la région. Une mélancolie créative tout d’abord, à l’image des productions d’Andy Stott ou même celles d’Inigo Kennedy – qui a fait ses études supérieures et a commencé sa carrière à Manchester dans les années 90. Mais une mélancolie également populaire, comme si les anglais n’étaient pas complexés au fait de sortir, de boire, de trop boire, de ne plus réfléchir, de s’oublier, car avec un fond intellectuellement artistique. Comme si la sensibilité des gens n’avait d’égale paradoxale que leur superficialité et leur manque de goût en terme de savoir-vivre.

Nous sommes accueilli par un set époustouflant d’un des artistes les plus en vues des bas-fonds technoïdes de Paris, Antigone. Le protégé de la Concrete n’hésite pas à faire durer son intro ou les montées pour asséner que plus subtilement et efficacement un rythme froid et implacable sur le dance-floor. Ce dernier, malgré une soirée presque sold-out, est clairsemé et très agréable – kudos à Live Mantra pour ça. Le sound-system Void, et la salle récemment renovée en termes d’acoustique est un régal pour les oreilles. Les minutes défilent et on les apprécie comme celles d’un concert plutôt que d’un DJ set.

Inigo Kennedy
Inigo Kennedy prend le contrôle des platines et fait rapidement l’unanimité

Quand Inigo arrive, les danseurs redoublent d’effort pour un set qui se veut époustouflant. L’artiste de Finchley n’hésite pas à jouer trois morceaux en même temps, avec parfois des tracks qui verront en passer trois ou quatre avant de pouvoir se finir. L’ensemble fait preuve d’une grande cohérence, et malgré un BPM très élevé garde une classe incroyable. L’introspection est nerveuse, jouissive.

Mantra Live Manchester
Ces deux photos ne sont pas de nous mais montrent bien qu’à Manchester, la techno réunit vraiment les gens.

A la fin du set, un gorille de la sécurité lancera une harangue pour en avoir plus. Antigone, sur le coté, filme la scène avec son téléphone comme un groupie. La naïveté de l’instant brille par une certaine candeur : celle de l’envie de profiter et de partager ensembles un moment musical incroyable. Le public, drogué mais respectueux, danseur mais pas collant, nous rappelle qu’il est bon d’éviter les grosses institutions où se retrouvent les étudiants.

Si certes la musique électronique est ici une culture populaire, il est agréable de constater que des lieux comme le Mantra Live – mais on pourrait aussi citer la très récente Hidden Warehouse – sont également des repères pour la niche. Une niche sans la prétention française, sans la débauche allemande, une niche propre sur elle qui vient apprécier une qualité festive unique en Europe.

Live Mantra ManchesterInigo kennedy