Dans l’effervescence mondiale qu’a pu apporter le numérique et internet à la musique, tant dans son processus de création que dans celui de sa diffusion, Montréal est sûrement une des villes qui a su en tirer profit de la meilleure manière. Mère de la scène Piu Piu qui a vu naître des artistes comme Kaytranada, High Klassified ou Lunice pour ne citer qu’eux, la ville a su offrir par sa position géographique et le mélange des cultures qu’elle représente un terreau parfait à une scène beatmaking qui ne cesse de grossir et d’impressionner. Si la Red Bull Music Academy vient établir sa prochaine édition à Montréal, c’est bien pour s’imprégner et contribuer à faire éclore cette scène parfois électronique, parfois bass, parfois hip-hop, mais toujours surprenante et innovante.

Depuis le début de la décennie, la ville est submergée par une vague de beatmakers sortis de leur chambre avec la seule envie de partager, à l’image du collectif Art Beat. Le son, nouveau, séduit et se répand à une vitesse lumière. Aujourd’hui beaucoup d’entres eux ont déjà écumé la plupart des bars et clubs de la ville, mais continuent de remplir les salles et fréquenter les plus gros rassemblements – à l’image de l’gloofest du week-end dernier.

Ryan Playground ©Pete PhotographieRyan Playground (Igloofest 2016) © Pete Photographie

Pour ceux qui ne connaîtraient pas le concept de l’Igloofest, il s’agit d’un festival qui a lieu en plein cœur de Montréal durant quatre week-ends du mois de janvier, donc sous -30 degrés. Le festival fêtait la semaine dernière l’ouverture de sa 10ème édition qui a rassemblé près de 25 000 festivaliers en trois jours, battant ainsi le record de fréquentation du premier de ses quatre week-ends.

Pour le premier soir, la scène beatmaking montréalaise était donc à l’honneur : aux côtés des têtes d’affiche internationales Bonobo et Heron Preston, on retrouvait Lunice, Ryan Playground et WYLN. Ce sont eux qui portent l’étendard du beatmaking montréalais ce soir-là, et montrent la capacité de la ville à produire des talents du genre.

Ces deux artistes, membres de l’écurie SaintWoods (qui prenait elle aussi part à la soirée avec l’organisation de l’after party), continuent de pousser l’exploration sonore tout en prenant leurs inspirations dans ce mélange d’influences venues de toutes parts, mais toujours à la sauce montréalaise. Pour essayer de mieux comprendre, on est allés leur poser quelques questions :

Ryan P & WYLN

Les médias ont souvent du mal à décrire et classifier votre musique (ce qui en soit n’est pas vraiment un problème). Comment est ce que vous la décrieriez ? Quelles en sont les composantes principales ?

Ryan P : À la base j’aime le fait que ce soit plutôt flou. Ça devient plus difficile de comparer ma musique à la musique de quelqu’un d’autre et c’est ce que je veux. Mais je dirais que c’est quelque chose qui ressemble à du r&b/electro/alternatif.

WYLN : Je dirais que c’est de la musique électronique teintée de r&b et de hip-hop. Peu importe la direction que je prends, j’ai tendance à y mettre beaucoup de bass et à accorder une place importante aux percussions. J’ai toujours été influencé par plusieurs styles différents et je crois que ça me permet de créer sans me sentir coincé dans un genre en particulier.

On connaît peu de festivals en plein air arrivant à réunir autant de monde que l’Igloofest dans des conditions météos aussi extrêmes, ça vous semble révélateur de la scène et du public montréalais ?

Ryan P : Je pense bien pourvoir catégoriser les montréalais de bons vivants et ça se voit à l’Igloo c’est clair! Pour avoir vécu des soirées d’Igloofest à -40 degré, je peux confirmer qu’on est prêt à tout côté météo.

WYLN : C’est sûr ! C’était un pari risqué d’organiser un festival dans de telles conditions, mais je crois que les fondateurs d’Igloofest se doutaient bien que le public répondrait à l’appel parce que Montréal a toujours été une ville très musicale, tant du côté des artistes que des amateurs de musique.

En tant qu’artiste, qu’est ce que ça vous fait d’abord de jouer dans ces conditions, et devant un public qui vient vaincre l’hiver pour vous écouter ?

Ryan P : Je ressens toutes les émotions de manière amplifiée parce que ce n’est pas un contexte normal. Ça me fait aussi un peu peur pour mon ordi de jouer dans le froid (rires). Mais c’est certain que le fait de jouer dans des conditions spéciales et plus extrêmes crée un lien fort avec le public, et je suis encore plus hyperactive que d’habitude sur la scène pour vaincre le froid.

WYLN : En tant qu’artiste, on n’a pas à se plaindre parce qu’on s’occupe assez bien de nous pour éviter qu’on se gèle les doigts sur le mixer. Personnellement ça me fait vraiment chaud au cœur de voir des gens prêts à braver le froid pour venir entendre un de mes sets.

Après Osheaga et Piknic, l’Igloo qui est l’un des principaux évènements hivernaux à Montréal, qu’est ce que ça fait d’être à ce point reconnu et soutenu par les promoteurs et le public dans sa ville ?

Ryan P : Je mets beaucoup d’effort et de passion dans ce que je fais et je suis vraiment heureuse que ça puisse récompenser ! J’ose penser que les gens le sentent et je suis extrêmement reconnaissante auprès de toutes les personnes qui me soutiennent.

WYLN :  Je me sens extrêmement choyé d’avoir pu participer à ces événements et la réaction du public est généralement bonne, alors je ne pourrais pas demander mieux.

Avec les candidatures à la RBMA qui s’installe à Montréal pour sa prochaine édition, est-ce qu’on a raison de croire que la scène beatmaking montréalaise a toutes ces chances de faire partie du casting ? Vous comptez y participer ?

Ryan P : Complètement raison, il y a beaucoup d’artistes qui m’entourent et qui investissent beaucoup de temps et de passion dans la musique, et ça s’entend. Je compte y participer oui, j’aimerais beaucoup !

WYLN : Je compte bien envoyer ma candidature et je crois que Montréal a toutes ses chances parce qu’il y a énormément de talent ici.

Après toute l’activité et la quantité de tracks sortis ces derniers mois, est ce qu’on peut s’attendre à un EP voir plus de toi WYLN ? Et toi Ryan, Après le gros succès de ta cover de Bitch Don’t Kill My Vibe de Kendrick Lamar, on apprend la sortie de Elle, ton premier album qui paraitra le 24 février sur Secret Sounds (label de Ryan Hemsworth). Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour les mois à venir ? As-tu une tournée de prévue ?

WYLN : Ça fait un moment que j’y pense, mais je n’ai jamais voulu précipiter le process. C’est quelque chose dont je veux être fier et avoir envie de réécouter dans quelques années. Au moment où on se parle, j’ai quelques morceaux et collaborations en cours, mais 2016 sera effectivement l’année où je sortirai un premier EP.

Ryan P : J’ai vraiment hâte que ce premier projet sorte. Il me tient vraiment à coeur et j’ai hâte de le partager. Il y a beaucoup d’émotions là-dedans (rires). Pour ce qui est de la tournée je ne me mets pas de pression avec ça, mais dès que j’aurai un live solide ça se concrétisera. Je sens que l’année 2016 est très souriante en tout cas.

Pour patienter avant la sortie de ces projets et l’arrivée de l’été qui, elle, prendra son temps à Montréal, l’Igloofest offre encore trois week-ends de folie en conviant notamment Maceo Plex et Rone pour le week-end 2, Carl Craig & Al Ester, Heidi pour le week-end 3, Modselektor, Tales of Us et Michael Mayer pour le week-end 4, et bien d’autres que nous n’avons pas la place de citer.
Pour les plus curieux, Saintwoods vient de sortir Never Trouble Trouble until Trouble Troubles You, sa compilation annuelle, et on vous recommande aussi ce documentaire 100% montréalais sur le mouvement Piu Piu.