Voilà quelques mois qu’est apparu dans mon fil d’actualité un retweet, avec cette banderole de quelques signes: “Le renouveau de la trap française’’, ou quelque chose dans le genre. Sans trop savoir à quoi m’attendre, ma souris a semblé prendre son indépendance, a ripé, puis cliqué sur le bouton play.

Et là, coup de boule émotionnel comme on n’en a que trop peu. La tronche de Hyacinthe se détache sur fond de bitume, éclairée au néon. Dégaine de je m’en foutiste à l’odeur de clopes et de bières à bas prix, voix rauque et traits tirés, le rappeur assène ses rimes sans prendre de gants avec l’auditeur. “Sur La Route De L’Ammour : auréolé d’une belle faute d’orthographe – qui a son importance -, le titre annonce la couleur de la musique du parisien.

Romantisme brisé par le monde, par le poids du réel et du lucide. La mort est, plus qu’une finalité, un but; internet, une porte de sortie artificielle ne menant à rien; la religion, un mirage. Perte de foi, perte d’espoir sont ensemble convoquées dans ce ciel où les étoiles pissent et pleurent, sur cette terre où un garçon appelle à l’aide sa mère : “Maman, où est passée mon âme ?”. Et la gorge que l’on sent serrée, de débiter conneries sur conneries, pour oublier. Ne nous reste plus qu’à aller baiser dans un parking, évacuer toute cette gangrène, ce sentiment de finitude qui n’en finit plus de nous bouffer.

Et puis dans les clips et la promotion de Hyacinthe, le second degré semble toujours de mise. Comme s’il avait besoin d’un masque d’auto-dérision pour masquer sa tristesse, le parisien se barbouille de stick à lèvres rose dans le clip de “Meurs A La Fin”, monté sur Windows Movie Maker (ceci reste une hypothèse) par son compagnon Krampf. Krampf justement, également membre du collectif DFHDGB et que l’on retrouve sur la plupart des prods du rappeur, soutient la voix grave de ce dernier d’une bien belle manière. Avec très peu de faux pas, ses beats traps se marient à la perfection avec des instrus mélancoliques, voire carrément dépressives.

Toujours dans l’entourage du sujet de cet article, impossible de ne pas citer LOAS, qui en dehors de très bons albums en solo, est un complément parfait à la voix de Hyacinthe. Quand ce dernier vocifère et lâche ses cordes vocales rauques et rageuses, l’autre y appose sa patte déchirante et aigüe. Et ces deux là ne sont jamais meilleurs que lorsqu’ils rappent ensemble : en témoigne ce titre magnifique qu’est “Le Milliard Et Une Vie”.

Mais revenons à Hyacinthe. Le rappeur est le pur produit d’une génération que l’on appelle trop tôt à être responsable, capable de choix. Une génération qui se traine sans but, les yeux rougis par les écrans et/ou les joints (entre autres drogues plus dures, que ne se gêne pas de citer le rappeur). Bien sur, certains s’en sortent. Mais d’autres, parfois plus bêtes ou plus sensibles que la moyenne, “s’éloignent du rivage”, restent sur la touche et serrent les poings.

Hyacinthe semble faire partie de ceux-là. Celui qui s’auto-détruit pour que la légende l’aime a sans doute le même but qu’un certain groupe français, Fauve : se faire le porte-parole des laissés-pour-compte. A la différence près qu’un fossé les sépare : la crédibilité. Quand les seconds, au sortir d’une école de droit, de commerce ou qu’importe, clament des slogans à l’optimisme lourdingue, le premier oppose au monde actuel la violence qu’il engendre. Fruit d’une génération de bêtes blessées, le rappeur, tous crocs dehors, cherche en vain une porte de sortie, un moyen d’échapper à la perte d’espoir. Ainsi sont convoqués étoiles, drogues, sexe, mort.

Et puis, l’impossibilité d’aimer ou de rêver. Puisque ces deux notions, désormais, sont l’apanage des faibles, des puceaux (“J’veux m’délivrer de mes rêves / Sinon j’ai l’impression de rester imberbe”), il faut être un homme, serrer les dents et encaisser le poids du réel. Ou bien fuir, à grands renforts de cames en tout genre, d’alcool, de sexe sale et d’abrutissement virtuel. Tout pour arrêter les pensées d’affluer, pour briser les deux jambes de Dame Introspection. Parce que celle-là, on la connait bien : c’est l’ennemi ultime, celui à abattre. Dans un monde où tout semble contrefait et artificiel, des artistes en quête de likes aux médias cokés et corrompus, seule la douleur parait réelle. Alors creusons, en constante recherche de vérité sur nous-mêmes, d’une pureté impossible à atteindre, et invectivons le ciel en lui balançant un tas d’insultes à la gueule.

Il s’agit donc là d’une évidence : Hyacinthe est une créature moderne. Il y avait les anti-héros, notre époque pourrait être celle des anti-icônes. Entendez par là quelques mecs on ne peut plus normaux qui, à partir de leur chambre surement un peu sale et pas très bien rangée, réussissent à pondre des petits chefs d’oeuvre de sincérité. Le rappeur fait partie de ceux-là et, on l’espère, sera un jour reconnu comme un artiste – notion aujourd’hui galvaudée – au sens premier du terme.

A noter que Hyacinthe sortira son deuxième album “SLRA2 / Mémoires de mes putains tristes le 16 Novembre, et qu’il a récemment sorti un featuring avec Russ le Chauve et L.O.A.S, “Kagemusha”.

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