Vicente Sanfuentes est surement un nom qui ne vous dit pas grand chose. Et pour cause, l’homme est avant tout un producteur ayant réalisé ses faits d’armes dans l’ombre. Cofondateur de Cómeme avec Matias Aguayo, membre du duo Surtek Collective avec Atom TM, et désormais seul maître à bord de son projet Sanfuentes Records, il cherche à exporter une techno et une house latine dont il est surement le meilleur orchestrateur.

Car pour bien appréhender le personnage Sanfuentes, il faut le considérer d’abord comme un touche-à-tout et un entrepreneur musical – un producteur dans le sens old school – ce qui ne l’empêche pas de sortir de temps à autres ses propres morceaux. On l’a rencontré au cœur de son environnement, à Santiago durant le RBMA Bass Camp. Récit d’une longue discussion transversale et passionnante sur l’une des terrasses de la capitale chilienne.

On va commencer par remonter à tes origines musicales. Qu’est-ce qui as fait que tu as embrassé cette carrière musicale ? Quels ont été tes premiers pas avec la musique ?

C’était assez tard honnêtement. L’histoire cliché du « j’ai commencé le piano à 4 ans », ce n’est pas du tout moi. J’ai commencé par DJ un petit peu vers l’âge de douze ans, car dans les fêtes qu’on organisait avec des amis il fallait que quelqu’un sélectionne les cassettes. J’étais assez alternatif, en écoutant des choses allant des Beastie Boys à la techno industrielle en passant par Public Ennemy, Talking Heads ou The Orb. Je voulais tout connaître, mais de ce qui faisait partie de la culture ici au Chili, à cette époque. On parle de la fin de la dictature Pinochet, en 1990. Les albums étaient assez rares à trouver. Ma sœur travaillait aux Etats-Unis et m’a beaucoup aidé vis-à-vis de mon éducation musicale, en m’envoyant des albums de Jack Danger ou Prince. J’ai commencé à jouer en club autour de mes 16 ans, mais j’étais aussi intéressé par le graphisme. J’ai joué beaucoup de techno, qui était un mouvement assez important au Chili, jusqu’au début des années 2000.

Il y a eu plusieurs vagues électroniques au Chili ?

Oui, il y en a eu plusieurs tout au long des années 90. La première est venue des Etats-Unies, avec de la pop et la house de Chicago. On avait également nos figures pop locales, comme Jorge González et Dandy Jack. Ils ont fait quelques morceaux house-pop latins qui ont super bien marché, sous le nom de Gonzalo Martínez. La disco et la funk ont également été très importantes ici, donc évoluer vers la house c’était un processus naturel.

Pour revenir sur mon parcours, je me suis acheté un sampler au bout d’un moment. Puis, un moment décisif pour moi a été de faire un semestre au Japon. Un de mes professeurs était la moitié d’Underworld, car j’étudiais avec un groupe de graphistes anglais qui s’appellait “Tomato”. Et même si j’étais là pour des études graphiques, il était curieux de voir ce que je faisais avec mon sampler. Je n’étais pas encore sûr de moi, car je n’y avais jamais vraiment pensé. Il m’a conseillé de m’y mettre sérieusement. Du coup à 24 ans, quand je suis rentré au Chili, j’ai démissionné de mon travail en agence et je me suis lancé dans cette carrière musicale. J’ai fait une école de musique en plus de ce que j’avais déjà appris par moi-même. Assez rapidement, devenir un producteur est devenu un choix assez évident. J’ai produit quelques projets comme les Hermanos Brothers dont je faisais partie, puis j’ai rencontré Matias Aguayo en 2001, et on a concrétisé nos projets en 2006 en fondant Comeme. J’ai aussi pas mal travaillé avec Kompakt.

Mais ce qui est intéressant, c’est que tu es un producteur dans les deux sens du terme. A la fois dans la vieille définition, où le producteur est la personne qui est derrière la console de mixage et qui conseille ses artistes. Mais aussi dans le sens plus récent, de quelqu’un qui s’expose artistiquement, qui gère un label, qui sort ses propres morceaux.

Mon modèle en terme de producteur, c’est Quincy Jones. Mais c’est vrai que le terme peut prêter à confusion. Par exemple je trouve que Lil Louis est plus un artiste qu’un producteur. La production pour moi au début, c’était un mix de production musicale – dans le sens technique – et de production exécutive. Quand tu regardes Quincy Jones, c’est exactement ça : c’est un processus réflexif qui passe par “Quelle est la chanson ? Comment l’améliorer ? Comment écrire les arrangements ? Je ne suis pas bon en arrangement de trompettes donc je vais trouver quelqu’un pour ça”. C’est une définition très différente que celle que peut avoir Lil Louis quand il se dit producteur, ou quand je dis que je suis un producteur quand je parle de mes morceaux technos. Après Cómeme, j’ai essayé de faire la synthèse de tout ça, et c’est pour ça que j’habite désormais à Los Angeles. Même si la techno n’a pas besoin d’un mixer à 16 pistes, c’est bon de savoir comment amplifier son savoir musical et sa caisse à outil sonore. C’est aussi pour ça que j’avais fait cette école de musique, pour pouvoir parler avec un batteur, un bassiste, un trompettiste. Le fait d’avoir ce savoir m’incite à l’utiliser quand je participe à des projets technos et que j’utilise une MPC.

J’aime la disco, la techno assez violente, mais aussi Prince, Adèle. Je n’ai pas envie de me résumer à un genre ou à une méthode de concevoir la production musicale. J’aime autant produire oldschool que produire comme on l’entend aujourd’hui. Je peux voir le talent dans un album produit par Mark Ronson. Bien sûr tu es déconnecté émotionnellement avec ton travail, et c’est à la fois le gros point négatif et le gros point positif.

Et j’ai l’impression que cette façon old-school de concevoir la production, ça devient de plus en plus rare. On considère désormais qu’un producteur, c’est un artiste qui assure le travail que faisait avant un producteur, en assurant tous les éléments de la chaîne de la production musicale. Mais ce travail de recul qu’apportait le producteur, le regard de quelqu’un avec une connaissance musicale très rare, ce que tu viens de me décrire en fait, j’ai l’impression que c’est de plus en plus rare.

Regarde Modeselektor. On a commencé à peu près à la même époque. Je me rappelle de Gernot au début. C’était un archétype de la génération post-90, il voulait juste faire de la techno folle en ne savant se servir que d’une 909, mais ça l’a conduit à faire de la production avec Thom Yorke et Radiohead. Sa curiosité était son plus grand atout. Et il est capable de parler de production pendant des heures alors qu’il n’a pas de formation musicale classique, car sa connexion avec la musique est aussi profonde que celle de Thom Yorke. Cette connexion-là, c’est une forme de langage par essence. C’est pour ça que je ne pense pas qu’il devrait y avoir qu’une seule façon de voir la production, qu’un seul angle de lecture. Pour moi ce n’est pas quelque chose qui disparaît, simplement quelque chose qui évolue, et dont tu retrouve l’essence sous d’autres formes.

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Puisque l’on parle de production, on peut parler de Nigel Godrich, le producteur de Radiohead. Avec Jonny Greenwood, ils sont partis en Inde réaliser un album cross-culturel avec un collectif indien. Cela ne se ressens pas comme de l’exotisme, mais comme un vrai échange culturel. Car tu peux dire « cette partie vient d’une écriture occidentale, cette partie vient d’une écriture traditionelle », alors que le projet était très risqué et aurait pu tomber dans du colonialisme musical. J’aimerai parler avec toi de ce rapport avec l’exotisme, de la communication des cultures. Comment tu le ressens vis-à-vis du Chili et de l’occident ?

Tout d’abord, tu dois comprendre que même si le Chili est dans l’Amérique latine, notre sensibilité musicale n’est pas la même que celle que l’on peut sous-entendre en parlant d’Amérique Latine. On n’a pas le bongo latin coloré que l’on pourrait croire.

Les couleurs musicales sont très différentes en fonction des pays dans lesquels tu vas. La sensibilité chilienne n’a rien à voir avec la sensibilité argentine. Le brésil est un monde à part dans le continent. La vision colombienne est très différente de celle péruvienne, même si ça peut paraître similaire pour une personne qui n’a pas une culture très profonde. La cumbia péruvienne et la cumbia colombienne ont autant de différence que le rock originel et Muse pour moi.

Mais il y a certes un facteur unificateur, le rythme bien distinctif de la cumbia. Ainsi aujourd’hui on définit plus la cumbia par une rythmique plutôt qu’un style en lui-même, c’est dommage. Le Chili a aussi une certaine forme de Cumbia, mais l’influence de l’Angleterre et des Etats-Unis est beaucoup trop présente pour pouvoir faire un pont solide avec la cumbia que l’on retrouve au nord. Les chiliens s’amusent à se voir comme les anglais de l’Amérique latine. Le chili est un pays très marqué par le songwritting, car on est marqué historiquement par nos poètes, et c’est quelque chose que tu peux sentir même quand tu écoutes les radios populaires. C’est aussi quelque chose qui nous différencie des autres pays. Quand tu veux définir une scène généralement, tu la définis par un son, par des substances, par une vision du style, par des règles. A Los Angeles par exemple, le fait que tout doit fermer à 2 heures du matin conditionne la manière dont la scène évolue. Au Chili c’est ouvert beaucoup plus tard, et donc mon son est plus fait pour être jouer à 3 heures du matin.

Et ne penses-tu pas que l’on perd ces identités sonores locales justement ? A cause d’internet notamment, on ne peut plus vraiment parler d’un son britannique, d’un son qui viendrait de Sheffield ou Manchester. Les frontières musicales, que ce soit géographiques ou de genres, deviennent de plus en plus floues.

Oui je suis d’accord. J’étais en vacances avec ma filleule de 2 ans, qui adore la musique. Et je me suis posé la question de savoir ce qu’elle serait musicalement dans 15 ans. Elle pourrait être une post-post-post-post-punk, ce qui n’aurait aucun sens. Ses références seraient sans goût, édulcorées par une culture globale. Quand tu écoutes le son d’une 808, ça peut tout autant être du Miami bass, Afrika Bambaataa ou même Drake. C’est le même son, mais juste avec un hashtag différent. Donc oublie ça, ça n’a plus de sens.

Jusqu’il y a dix ans, l’histoire de la musique avait une taille appréciable, où tu pouvais dessiner des schémas, définir une histoire. Désormais, la réalité est beaucoup trop complexe pour que l’on puisse tout schématiser de la même manière. Si tu montres une 808 à un brésilien, il va penser à de la funk carioca. Si tu le montres à un américain, il pensera à de la drum r&b. Ce qui veut dire qu’il faut réécrire les hashtag pour réutiliser ces sons. Mais je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose, la musique a été plus intelligente que nous.

Si l’on est pessimiste, on peut aussi voir ça comme une perte d’humanité pour de l’esthétisme. On perd le sens derrière la musique, on ne transmet plus un message politique, social ou artistique.

On a pensé la musique comme un élément de communication pendant très longtemps. C’était de la communication et peut être que c’est en train de devenir quelque chose d’autre. Car ce n’est plus un médium très précis pour transmettre un message. On a tous des références trop différentes pour que cela puisse fonctionner. Pour que ce soit de la communication il faut qu’il y ait un langage admis. On a toujours un émetteur et un récepteur, mais on n’a plus ce langage commun. On doit parler désormais de couleurs, d’esthétique. Si tu écoutes Skrillex ou Matias Aguayo, ils sont super différents. Skrillex c’est purement de l’esthétique, je ne pense pas qu’il cherche à transmettre un message avec sa musique comme « renverser votre gouvernement » ou « liberez-vous », il cherche juste à jouer avec ta tête. Et c’est de la communication, dans un sens différent. Matias Aguayo, la manière dont il façonne ses rythmiques, il essaye de dire quelque chose à tes hanches, à tes épaules, à ta tête.

A la part plus instinctive de nous ? Moins intellectualisé ?

A la part physique au sein de nous. On perd certaines possibilités que l’on avait avant, mais je suis certains qu’on va les retrouver d’une manière différente. Je ne sais pas comment, mais je suis sûr qu’on va sur de nouveaux territoires.

Est-ce ici la nôtre source d’excitation de notre époque musicale ?

Oui c’est excitant. En 2006 j’ai réalisé un album avec Atom TM qui s’appelait « Surtek Collective ‎– The Birth Of Aciton: Acid Meets Reggaeton ». Il y avait l’idée de fantasmer nos différentes cultures. Atom TM à l’époque était un allemand qui avait une certaine idée de comment l’Amérique latine pouvait sonner. Du coup il a fait quelque chose qui sonnait encore plus latin que le son latin. On a inventé un monde, « qu’est-ce qui se passe si on invente une histoire qui n’a jamais existé sur des joueurs de Reggaeton qui réalise de l’acid-house ». On a essayé de mixer deux styles, mais ce n’est pas uniquement une histoire de mixer, mais de créer un univers crédible. On avait un morceau qui s’appelait « San Juan Atkins », qui est le jeu de mot le plus débile du monde. Mais l’idée était de clasher deux univers entre eux, et de produire quelque chose de nouveau. Si tu écoutes le dernier album de SoulWax, c’est pareil. C’est une fausse compilation de musique des années 80 au Belgique. Ils ont inventé des noms de groupe, ils ont créé un univers.

Mais à jouer sur le mélange de cultures, n’y a-t-il pas le risque d’être offensant pour les gens qui n’ont qu’une culture, et qui en sont fier ?

C’est marrant car les français sont des anthropologistes. Vous avez un rapport obsessionnel avec la vérité. On s’en fout que ce soit vrai ou pas. J’ai beaucoup d’amis français, ils ont une collection d’albums impressionnant. C’est comme des japonais, mais avec du style. « Tu veux écouter de l’acid-house ? » et ils te sortent un nombre de références hallucinantes, car il y a l’envie d’approcher ça comme un savoir scientifique. Si tu regardes la campagne présidentielle aux Etats-Unis, tu te rends compte que ce rapport à la vérité est de moins en moins important. Donald Trump peut dire n’importe quoi, jusqu’à changer des chiffres objectifs comme le nombre de morts du 11 septembre, et politiquement ça passe. Il crée la vérité.

Et c’est un processus qui est encore en cours de réalisation, ce désintéressement pour la vérité, et pas uniquement aux Etats-Unis. C’est le cas aussi en Europe, avec tout le sujet de la résurgence des extrêmes.

Et même ton mur de facebook, si tu regardes bien c’est un tissu de mensonges. Mais des mensonges qui sont beaux. C’est des mensonges, mais si tu ne cherches pas la vérité tu peux trouver quelque chose en leur sein. Peut-être que la musique prend un chemin similaire, quelque chose de … pas complètement attaché à ce monde.

Fantasmé ?

Oui ça peut être fantasmé, mais déguisé comme vrai. Ou tout du moins quelque chose de cohérent, de compréhensible, de crédible. En 1985, ta seule chance de sortir un album c’était de sonner comme 1985. De nos jours, tu peux sonner 1985 ou 2016 et sortir un album tout aussi cohérent. Je ne sais pas si c’est le cas de l’art en général, mais je pense que cette idée d’être de plus en plus physique, et moins avec une approche de documentation, est plus intéressante. Cette idée de jouer avec soi-même, avec ses perceptions. La documentation est années 90 voir début 2000. Si tu regardes le label Soul Jazz Records, ils ont sorti des centaines de compilations. Il n’y a plus grand-chose à compiler désormais.

Tu penses qu’en quelque sorte on a réalisé une cartographie musicale des idées, et que désormais on a besoin de s’amuser avec, de la raturer ?

Mais je pense que ce n’est plus possible de cartographier le monde musical, car c’est devenu trop compliqué. C’est quelque chose que je ressens avec mon projet de label.

Je sens et je sais que si je demande à mes artistes de sonner plus latins, j’aurai plus de presse. Car c’est ce que la presse et le public veulent, une histoire.

Avec des titres d’articles comme « le renouveau de la scène chilienne ».

Exactement, je l’imagine parfaitement. Mais en réalité, les artistes d’ici ne veulent pas ça. Ils veulent quelque chose qui demeure rétroactivement classifiable. Quand j’écoute Mijo, qui est surement l’artiste techno le plus représentatif de l’Amérique latine à l’heure actuelle, musicalement il sonne comme Jimmy Edgar, mais au niveau rythmique et au niveau des structures c’est très différent. Il ne va pas vers la structure chanson, mais quelque chose de très physique et de très exigeant.

Quelque chose de moins artificiel ?

Oui, quelque chose de très organique. Mais ça vient de ses expériences de jouer 4 fois par semaine depuis plusieurs années. Il fait des morceaux de plus de 7 minutes qui sont toujours à deux doigts d’exploser, mais qui ne le font jamais vraiment. Il ne fait pas des morceaux que tu pourrais écouter à la radio, il réalise de la musique qui est destinée à être écoutée cette année précise, dans un club. Il n’a pas la prétention de créer quelque chose qui vivra à jamais, qui va influencer les générations à venir. Son héritage, ça va être des fichiers dans un nuage infini de fichiers, d’albums, d’artistes.

Penses-tu que l’on perd l’idéalisation qui entoure le monde de la musique et ses figures iconiques, à la manière dont on a fait des Beatles ou de Radiohead des légendes ?

Bien sûr. On est combien sur Terre actuellement, 7 milliards ? On était 4 milliards quand je suis né. La probabilité pour que je devienne quelqu’un dont on se souviendra dans 30 ans alors que l’on sera encore le double sur terre, est minuscule. On vit dans un monde surpeuplé. Et cela s’explique aussi par un fait économique simple, par l’offre et la demande. Car on est dans une situation d’abondance, la musique perd de sa valeur. Il y a beaucoup plus de musique que ce dont on a besoin.

Car tout le monde peut produire désormais, à partir du moment où tu as un ordinateur. Tu peux pirater un logiciel de MAO et faire de la musique.

Tu peux même te faire masteriser gratuitement sur internet avec certains logiciels, pour avoir des tracks club-ready. La deep-house c’est ça au final, un son très simple qui est mastérisé d’une certaine façon, et qui va faire danser les gens pendant des heures dans les clubs. C’est une sensation physique, une décoration musicale, un papier-peint pour les clubs. Très peu de gens qui ont une vraie proposition de son, qui ont leur vrai pâte, percent dans les réseaux mainstream.

Mais puisque l’on est dans une situation d’abondance, on est aussi plus exigeant sur ce que l’on écoute. Ça pousse les artistes plus loin sur leur recherche d’identité non ?

Oui, c’est un processus personnel qui dépend de tes objectifs. Si tu le fais pour percer, peut-être que tu n’es pas au bon endroit. Mais je ne sais pas ce que ça veut dire « d’être quelqu’un ». J’ai le sentiment que je suis quelqu’un quand je me balade dans la rue. J’ai une famille, ça m’identifie et ça me suffit. La relation qu’on a avec la reconnaissance peut être différente. Pour ma part, j’ai besoin d’un budget pour réaliser les projets que je veux réaliser. Mais je ne pousse pas les choses que je fais dans l’objectif de la reconnaissance, uniquement dans l’objectif de la qualité. Et la qualité, je ne l’évalue qu’en comparaison avec ce que j’admire.

Je pense aussi qu’il y a une certaine beauté dans l’environnement que je côtoie, celui des clubs. La beauté du vendredi soir, de se laisser aller en face de ces ondes musicales. Je crois que mon cerveau a réellement commencé à fonctionner quand j’y étais exposé la première fois. Ce devait être autour de 1991 que je me suis rendu compte que mon cerveau fonctionnait aussi pour des choses créatives. Cette sensation, je la visualise très clairement. Celle d’un fonctionnement différent, de perspectives élargies. Et j’ai envie de recréer ça pour les gamins d’aujourd’hui.

Cette sensation qui te dit « waouh, je n’ai pas besoin de devenir un avocat, je n’ai pas besoin de suivre complètement les règles ». Toutes nos préoccupations c’est de trouver un modèle de vie viable au sein de cette industrie, notamment à une époque où les gens n’achètent plus la musique. L’avantage de notre époque et de ses outils, c’est que l’on est capable de répondre à la demande de musique plus rapidement, et que l’on a plus de temps pour la partager ou pour avoir un job à côté. Qui sait ? Le temps nous le dira. Mais je peux te garantir que cette connexion, cette sensation, je la ressens quand je joue.

C’est quelque chose qui m’a l’air assez proche de la manière britannique de faire la fête. Dans une rave anglaise, tu te rends compte qu’il y a une différence de mentalité avec le reste du continent, les gens à l’intérieur n’intellectualisent pas leur présence, ou ce qu’ils écoutent. Tout tourne autour de cette connexion simple, de ce laisser-aller général. Des artistes anglais comme James Holden soulignent l’idée que l’art, la musique, devraient avoir pour finalité de présenter un chemin différent.

Bien sûr. Je peux complètement comprendre la démarche de James Holden, qui a pour objectif final la liberté et la créativité, selon une trajectoire très spécifique. C’est fantastique, mais parfois je n’apprécie pas sa musique car je ne suis pas en état pour l’écouter. Mais certaines de ses tracks, si tu les écoutes au bon moment, tu peux sentir la connexion. Tu peux sentir les gens respirer dans ses tracks. C’est un astronaute, vraiment, il arrive à créer un univers si puissant, si mystérieux. Il y a aussi un côté religieux dans ce qu’un producteur fait, mais dans un aspect anticlérical.

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Une manière très libérale.

Ouais. Je ne pense pas que tu puisses croire en Jésus Christ et Lil Louis en même temps. Ton esprit ne peut pas les raccorder car c’est complètement contradictoire. L’idée que la musique et que ces artistes puissent montrer ces portes sur d’autres choses, sur l’art du mystère, c’est incroyable. Cela dépend de toi d’ouvrir cette porte, et d’explorer ces territoires et ses secrets. Et c’est directement en relation avec les drogues, le sexe, et les problématiques sociales.

James Holden m’a aussi raconté son aventure avec des musiciens gnawa. Il m’a décrit la musique occidentale comme quelque chose de très centré sur l’idée de climax. Que plus tu t’éloignes de l’occident justement, plus tu te rends compte que la musique peut être centré sur des choses différentes. Comment tu peux relier cette idée avec la musique latine ?

L’Amérique latine est relativement déconnectée de l’idée de climax. Pour moi justement, cette idée de climax c’est quelque chose qui est très Amérique du nord, des Etats-Unis. Je pense que c’est aussi connectée avec l’arc narratif anglo-saxon. Un modèle d’écriture basé sur un déroulement introduction – premier acte – section intermédiaire – climax – outro. Et c’est un modèle que tu retrouves dans la littérature, dans le cinéma, dans la musique. Quand tu écoutes la musique latine, notamment celle qui a certaines racines en Afrique, il y a un début, puis une section sustain qui peut durer jusqu’à 7 ou 12 minutes, et ça finit sur un fade-out. On ne travaille pas tant que ça avec cette idée d’arc.

Je peux le sentir avec Mijo par exemple. Je remarque aussi que certains producteurs latins sont exposés à cette problématique et réagissent de manières différentes. Certains choisissent un son latin mais avec un arc international, d’autres sont purement latins, et même certains ont des tessitures internationales mais une écriture latine. C’est désorientant bien sûr. Je pense que à un certain point, on va arriver à disséquer d’autres formes d’arc narratifs. C’est aussi quelque chose que j’essaye de faire en tant que producteur, analyser ces arcs et essayer de choisir celui qui correspond le plus au projet sur lequel je suis en train de travailler.

N’est-ce pas principalement pour cette différence d’arc narratif que les européens et les nord-américains ont autant de problème à comprendre la musique latine ? Car ils attendent des sons latins mais avec une structure internationale, la leur, qu’ils croient hégémonique.

Je vais retourner ton raisonnement. Je pense que si certains artistes technos latins fonctionnent, c’est car il y a une certaine forme de son post-punk old school. Quand tu écoutes Alejandro Paz, tu retrouves des influences de New York des années 80.

Cabaret Voltaire également.

Absolument. Mais je ne pense pas que c’est ce qu’il veut dire. Je pense qu’il essaye de dire qu’il peut faire une chanson avec trois sons. Mais ça a déjà été fait, ça s’appelle les années 80. Puisqu’ils n’avaient pas beaucoup de mémoires sur leurs samplers, ils ne pouvaient être que minimalistes, et puiser l’intérêt dans l’énergie. Ce qu’essaye de faire Alejandro, c’est une forme de déclaration. Il essaye de dire « on peut faire de la musique avec très peu d’argent, et c’est notre médium pour renverser des gouvernements ». C’est un message très politique. Il parle de créativité au cœur de classes sociales défavorisés. Il utilise Ableton Live, donc il peut utiliser des arrangements orchestraux très complexes, mais il ne le fait pas car il y a cette idée de défavorisés. Nous, chiliens, on le voit comme un message politique. Les occidentaux voient ça comme un hommage à leur scène punk des années 80. C’est sur ce point qu’il y a un clash entre occident et monde latin.


A découvrir prochainement sur Beyeah : interview fleuve avec Alejandro Paz dans les studios Red Bull de Santiago, entre obsessions artistiques et jeunesse politisée du Chili.

On ne voit pas la même chose derrière les mêmes codes.

Et ça rejoint ce que l’on disait tout à l’heure sur ces « hashtag » musicaux qui prennent un sens totalement différent en fonction de leur environnement géo-culturel. Si tu regardes la vidéo d’Alejandro pour « Vayanse », il n’utilise pas les codes punks dans une optique d’esthétique, de style. Il l’utilise comme arme contre les choses qu’il n’aime pas aujourd’hui. Je ne veux pas donner de nom mais il ne le fait pas dans la manière de certains artistes, qui le font uniquement pour l’attrait du style. Cette différence est fondamentale. Personnellement, je n’ai pas un son politique ou une déclaration à faire, mais je veux faire quelque chose qui ait un attrait physique puissant, partout dans le monde. Et le langage que je connais, c’est celui de l’Amérique du sud, et je pense que c’est un bon langage pour ça. Je ne pense pas que je devrais sauter sur une tendance mélodique ou je ne sais pas quoi. Je n’ai pas un drapeau sud-américain sur moi, mais actuellement mes goûts et mon message sont en cohérence avec le son latin.

Et c’est un processus que tu intellectualises en studio, ou tu te laisses complètement aller ?

C’est partout, même quand tu achètes ton matériel. Si tu regardes Alejandro, il devient un excellent producteur, il peut sonner très street ou ghetto. Si tu écoutes Paranoid London, tu te dis « waouh c’est super cool, moi aussi je peux le faire, il y a trois sons dans ce qu’ils font », mais c’est tellement compliqué pour avoir la même efficacité. La relation de distorsion entre les éléments, le groove, c’est incroyablement compliqué à trouver. Ça demande de l’investigation, ça demande de dire non à pleins de choses, et il y a quelque chose de politique derrière ça. Ils pourraient faire beaucoup plus d’argent, mais ils restent complètement cohérents avec leurs lignes : anonymes, pas d’interviews, etc …

C’est l’idée de mantra derrière ça. Ce que j’essayais de demander, quand tu travailles en studio, tu utilises plus la partie mathématique de ton cerveau, ou plutôt la partie instinctive ? En général les artistes que je rencontre arrivent à se profiler.

Je pense qu’il y a des moments pour chacun. A certains points dans ta carrière tu as besoin d’être très analytique, et prendre du recul. Mais tu dois aussi pouvoir les équilibrer. Si tu es très bon au niveau rythmique mais que tu n’as pas beaucoup de sens mélodique, ça peut être intéressant de faire une collaboration, je ne sais pas. Ce que j’ai réalisé, c’est que personnellement je suis surtout une personne très rythmique. Ma première approche est de faire une track rythmique qui peut tenir toute seule. C’est quelque chose que j’ai appris en écoutant Masters At Work, spécialement Kenny Dope. Tu dois pouvoir jouer la version dub, ou la version beat, ou encore la version complète avec tous les arrangements. Et toutes les versions doivent pouvoir tenir indépendamment.

C’est marrant car c’est une démarche d’écriture très proche de la musique classique. Les compositeurs classiques dissocient les différentes pistes et sections de ce qu’ils écrivent et s’assurent qu’elles puissent être cohérentes et jolies toutes seules.

Il y a tellement de choses que j’ai à l’esprit quand je produis. Je dois voir ce qu’il faut retirer, ce qu’il faut laisser, ce qu’il faut modifier, et ça doit toujours fonctionner. Ce n’est pas que je switch de mon aspect mathématique à mon aspect instinctif, mais je switch plutôt entre artiste et public. C’est important de se mettre dans la position dans laquelle ta track va être reçu. Si tu surcharges ta musique, il n’y a plus de place pour un autre élément. Et tu vas être « waouh waouh, qu’est-ce que cette bassline essaye de dire ? » et que derrière tu essayes encore d’ajouter des choses, ça devient un cirque. Ça devient des acrobaties de jazziste. Se mettre dans la position du public, ça permet de se recentrer sur le groove, même si personnellement ces acrobaties peuvent me parler, car je les apprécie esthétiquement.

En fait, le switch dont tu parles, c’est être dans l’œuvre artistique, ou regarder l’œuvre artistique.

Et les deux sont très valides. Mais en tant qu’artiste, tu dois comprendre comment ça marche, pour que ça fonctionne à ta manière. Tu dois switcher sur la perspective du public très souvent, pour réussir à communiquer les sensations que tu veux communiquer.

J’ai également remarqué avec certains artistes que j’ai rencontré, qu’à un certain moment dans leur vie artistique il y avait le fantasme de réaliser quelque chose de très complexe techniquement, mais accessible et simple à comprendre pour le public.

Tu connais Squarepusher ? C’est un artiste qui a poussé les possibilités d’editing a un autre level. Je n’ai aucune idée de ce qu’il fait maintenant, mais il y a 15 ans il était le meilleur au monde pour ça, c’était révolutionnaire, ça sonnait impossible. C’était dans le contexte de 1997 à 2004. Mais désormais, on a plusieurs douzaines de manières de sonner comme Squarepusher. La raison d’existence de sa musique s’est un peu édulcorée. C’était nécessaire à ce moment, qu’un artiste explore avec une torche les limites de l’édition musicale par ordinateur.

N’est-ce pas la même chose avec le mouvement IDM ? Cela a presque disparu mais au début des années 2000 c’était le dernier genre en liste. C’était réaliser la musique la plus complexe possible.

Et maintenant tout tourne autour du loudness, ou du plus gros drop. Aujourd’hui on fait de la pyrotechnique, c’est l’état actuel de notre scène. Mais je pense que tu peux avoir une relation différente avec la musique. Celle de voir la musique non pas comme des montagnes russes, mais comme quelque chose de mystérieux, de mystique.

Comme une aventure.

Oui, c’est une aventure. Mais j’aime l’adjectif mystérieux, car il y a pleins d’autres sensations et images que tu peux avoir à l’esprit qui peuvent être super intéressantes. Ça peut déclencher quelque chose sur le public, quelque chose d’inattendu, qui peut avoir des conséquences extraordinaires. À chaque fois que tu parles à quelqu’un qui a fait quelque chose d’unique de sa vie, il pourra te parler d’un moment clé.

Pour Richie Hawtin par exemple, il te parlera de la techno à Detroit, et chez lui c’est ce qui a fait le déclic. C’est ce qui lui a permis de réaliser Sheet One, Recycled Plastic, ou tout ce qu’il a réalisé à l’époque et qui était incroyable. Comme gamin dans le public, il a été bouleversé par un mystère, par une image. Il était suffisamment curieux pour creuser, et découvrir les choses qu’il a découvert. Et d’autres gens, tout autant curieux, trouveront des choses radicalement différentes à l’intérieur de ça.

Je pense que c’est la base de notre fonctionnement en tant qu’artistes. J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec des personnes comme Matias. J’ai eu besoin de pouvoir m’investir dans leurs univers tout en gardant ma perspective. De voir autant d’univers tellement intéressants, c’est fantastique, c’est une des facettes passionnantes du métier de producteur. Pour mon label, j’ai reçu des morceaux incroyables de mes amis artistes latins. Certains d’entre eux marcheraient vraiment, seraient bons pour le business, mais je ne pense pas qu’il y ait cet aspect mystérieux.

Je pense qu’il y a des projets transcendants, et des projets suiveurs. Il n’y a pas de problème à avoir des projets suiveurs pour avoir une ligne cohérente, mais tu as besoin de ces projets transcendants pour pouvoir dire quelque chose de différent. Sinon tu n’es ni plus ni moins qu’un magasin de musique.

Tu prévoies d’explorer d’autres formats sur ton label ? Tu n’as sorti que des EP pour l’instant, penses-tu explorer des formats qui laissent plus de place au storytelling ?

Oui complètement. Ça fait trois ans qu’on a lancé le label, et je pense que notre phase d’exploration est terminée, parfaitement réalisée. Maintenant que j’en sais plus, on peut bouger sur de nouvelles choses. L’air de rien, cela m’a pris presque un an et demi pour comprendre ce que je voulais faire. J’avais beaucoup de musique à disposition dès le début, mais je ne savais pas où aller avec. Mais je savais que j’allais le découvrir petit à petit. Grace au label, j’ai beaucoup voyagé au Mexique, au Pérou, en Argentine, et à chaque voyage je comprenais un peu plus ce que je faisais. Je comprends mieux les publics, j’ai de meilleures relations avec les autres artistes dans notre environnement, je comprends mieux comment mes artistes résonnent. Je commence à pouvoir sentir où est-ce que l’on peut aller avec notre musique. Mijo marche très bien en France et en Angleterre, pourquoi pas en Corée ?

Il y a l’idée de créer des ponts ?

Oui bien sûr. Je pense que notre musique fonctionne très bien sur un dancefloor. Mais tu ne pas jouer juste une track, il faut créer un contexte. Après 3 ans d’expérience, je me rends compte que tu peux jouer 7 tracks d’Amérique du sud et ça va donner une saveur à ton mix. Si tu prends certains mix de Maceo Plex ou de Jennifer Cardini, ils jouent jusqu’à 3 ou 4 tracks du label. Donc il y a quelque chose qui fonctionne. Tu dois être sensible, pas trop détaché de l’industrie. Il faut porter une idée, mais ne pas en être trop fier non plus. Et dans cette scène club internationale, j’ai envie de mettre l’Amérique latine comme un son disponible.

Vicente Sanfuentes @ Barrio Mio, Santiago du Chile, Feb2016, © Gary Go
© Gary Go. Vicente Sanfuentes en train d’enflammer le Loreto Club durant le RBMA Bass Camp.

Et Los Angeles, c’est le bon endroit pour réussir ça ?

Non pas du tout, c’est pourri.

Pourquoi t’es-tu exilé là-bas alors ?

Car je voulais en apprendre plus sur la production, et c’est le meilleur endroit au monde pour apprendre sur la production pop. Au Chili, c’est une industrie très indépendante, qui a appris toute seule de ses erreurs. Ici il n’y a pas tellement de gens très inspirants, il n’y a pas tellement de maestro de la production. Je voulais être dans un environnement où c’est plus facile de rencontrer ces personnes. Et je voulais aussi vivre dans un endroit où les gays peuvent se marier, où tu peux fumer de la marijuana librement. Mais la vie nocturne est ennuyante pour moi. Je dois jouer peut-être deux fois par ans. Mais ce n’est pas très loin du Mexique, et je peux être connecté à beaucoup de projets. J’ai un studio à Los Angeles et j’ai un studio ici au Chili. Je viens très souvent à Santiago, jusqu’à 4 fois par ans pour des durées de plusieurs semaines.

Il y a des projets qui vont sortir prochainement ?

Oui, il y a un EP de Mijo, et trois EP de moi cette année. On a également un projet secret qui vient du Pérou qui va sortir prochainement. On a également un projet Sanfuentes Nights à Los Angeles. On va refaire une tournée au Mexique également. On veut insister sur ce que l’on a fait, du coup on va peut-être faire une compilation.

Des projets pour investir l’Europe ?

Pas à l’heure actuelle. J’ai beaucoup tourné en Europe il y a quelques années, avec différents projets, dont Cómeme et Matias. Programmer quelques gigs ici et là c’est facile, mais exporter l’ensemble du projet sur place est beaucoup plus compliqué, il faut des ambassadeurs musicaux. En ce moment, je trouve que cet investissement ne serait pas très rentable. Je préfère utiliser notre argent pour faire venir des groupes en studios et avancer plutôt sur ce terrain. Et puis les soundsystem européens, surtout les soundsystem anglais, sont très différents des soundsystem qu’on utilise ici. Quand je joue en Angleterre, et quand je vois des artistes anglais jouer, je me rends compte que je peux pousser ces engins plus loin.

C’est marrant car pour avoir écumer un peu l’Angleterre ces derniers mois, toutes les raves utilisent le même système son Void, qu’on retrouve pratiquement que là-bas.

Ici, les sub-bass sont moins importantes qu’en Angleterre. Il y a 5 ans, certaines soirées se faisaient avec des systèmes sons sans sub-bass. Et tu dois considérer ça si tu veux faire de la musique qui peut se jouer ici. Un morceau complètement orienté vers les sub-bass, ici les gens ne comprendront pas, c’est aussi quelque chose de culturel. Quand je joue à Los Angeles, je sens que les attentes sont différentes, que les codes sont différents.

Avec plus de drop et de climax justement ?

Oui, ça c’est la scène EDM qui est très présente. Mais il y a aussi tout une scène de jour qui tourne autour de la disco.

Ils veulent juste du clap, du dub avec des vocales. Ils veulent ça car ça va très bien avec le champagne et les clubs fancy. Tu n’a pas besoin de danser sur cette musique, tu peux juste te mouvoir et sourire. Personnellement, je ne fais pas de musique pour ces fêtes de jour. Je fais de la musique pour un environnement très spécifique, qui est la discothèque, les clubs. Ces lieux où tu te défonces. Et parfois je joue face à un public de jeunes de 17 ans. C’est un vrai challenge car tu dois à la fois être vrai vis-à-vis de toi, et les faire danser. Si je suis convaincu que j’ai un langage international je dois le parler, je dois être assez brave pour le jouer en toutes situations, je ne vais pas leur jouer du Skrillex.

Car il n’y a pas que les éléments qui sont importants, mais la manière dont tu les joues. Donc pour Lollapalooza par exemple, j’ai fait un pool de tracks que j’avais envie de jouer et qui avait une énergie compatible pour raconter une histoire dans cet environnement. Et en le faisant tu te rends compte que c’est complètement possible. Certains sont maîtres dans cette catégorie, comme Green Velvet. Il joue partout, passe partout, et est aimé par tout le monde.

Est-ce là la ligne rouge de Sanfuentes Records ? Parler à tout le monde avec un son latin ?

Ce n’est pas évident de parler à tout le monde, mais je pense que si tu es assez malin tu peux le faire. J’ai joué Primavera il y a 6 mois, et je devais jouer avant Felix Da Housecat. J’ai joué mes sons, très techno, et ça a marché. Felix a senti que ce que je faisais était en train de marcher, de connecter. Il est venu me voir et m’a donné 20 minutes supplémentaires pour finir ce que j’étais en train de faire. S’il était arrivé à ce moment-là, la continuité aurait été cassé, on aurait perdu cette connexion. Il avait 1h30 et m’a donné 20 minutes de son set. Malgré le fait que l’on soit très différents, on s’est retrouvé sur cette idée de connexion. Et j’aimerai pouvoir faire le même si l’opportunité arrive.

Cette idée de connexion est très intéressante. Car on vit dans un monde musical globalisé, avec internet, où l’on a accès à tout partout n’importe quand ; on perd cette notion de connexion. Les connexions sont plus difficiles à faire, artistes entre artistes, et artistes entre public. La plupart des artistes que j’ai rencontrés ont souligné que si le live revient autant de nos jours, c’est pour permettre de retrouver cette connexion.

Exactement. Mon voisin à Los Angeles est un screenwriter, et le mot qu’il a le plus à la bouche c’est « honnêteté ». Si tu regardes « The Revenant », le personnage principal ne s’en sort pas d’une manière magique, d’une manière fantastique, il s’en sort amoché d’une manière honnête. On a tellement de bullshit de partout dans ces industries culturelles, que l’on préfère voir quelque chose de plus humble mais que l’on peut ressentir comme honnête.

Et c’est complètement en rapport avec ce que l’on a dit avant. Parce que la vérité est de moins quelque chose de valorisé et de commun, de voir quelque chose de vrai c’est créer une connexion, créer une intimité. Et c’est ça que les gens recherchent sur scène.

Oui je suis d’accord. Je pense que ça va devenir le nouveau Graal. D’une certaine manière, l’honnêteté va devenir le nouveau « loud ».

Pour en lire plus sur Sanfuentes Records : Découvrez le nouvel EP des chiliens de Roman & Castro.
Pour en écouter plus : Découvrez le podcast d’Alejandro Paz pour Beyeah.