Juste avant que ne commence le tourbillon du Dour festival, on a rencontré son programmateur Alex pour parler du positionnement particulier de ce festival, son contexte et son public.

Cette année a été un peu un tollé pour les festivals en France, on commence à sentir que le secteur a aujourd’hui tant d’offres qu’il arrive un peu à saturation et que les festivals sont obligés d’évoluer dans un marché toujours plus concurrentiel. Est ce que vous ressentez aussi ce phénomène en Belgique ?

C’est vrai qu’il y a beaucoup de gros festivals et plus tellement de nouveaux qui se lancent, on est dans un secteur très concurrentiel. Maintenant notre force à Dour c’est de ne pas avoir mis la main dans l’engrenage, d’être tenus d’avoir de grosses têtes d’affiches pour faire marcher le festival. On essaye d’avoir un concept à part, d’innover en continu. Quand tu es une grosse machine, c’est difficile de garder un côté innovant. Nous on continue d’expérimenter avec de nouvelles scènes, de nouveaux essais, et grâce à ces choix-là on arrive à “passer sous la tempête”.

Face à ces énormes machines festivalières qui domine le marché Outre-Atlantique et en Europe, est-ce que tu penses que l’évolution vers laquelle on se dirige est celle de la spécialisation, d’avoir des festivals aux lignes de programmation très précises et travaillées pour réussir à remplir les jauges ?

Pour moi il a deux types de festivals: ceux dits de producteurs où on mise tout sur les artistes qui ont le plus fort “rendement”, et puis il y a tous les autres festivals où là on trouve une direction artistique forte, un concept cohérent. On peut parler de succès comme celui du Hellfest, qui certes est devenu une grosse machine mais en même temps garde un concept fort, ou dans le genre électronique les Nuits Sonores et Villette Sonique.

Si on observe le panorama festivalier global, surtout chez les anglo-saxons, on est assez frappé la diversité des activités offertes. Qu’est-ce que tu penses de cette idée du festival-village, où c’est “l’expérience” qui prime et ou la musique semble devenir une activité de plus parmi toutes les expériences que le festival offre ?

Je pense que la musique prime toujours, même pour les gros festivals. Peut-être du côté du public, c’est vrai qu’il y a une partie qui devient centrée sur autre chose, mais en même temps on ne vendrait pas de tickets si l’affiche n‘avait pas de la gueule. Nous on peut capitaliser sur quelque chose comme 40% ou 50% de public “d’habitués” et sur ce côté “Dour faut le faire au moins une fois”, mais tout dépend toujours de l’affiche qu’on présente. Il faut savoir faire un bon festival sur tous les plans, que ce soit la programmation, l’accueil, l’ambiance, la bouffe. Aujourd’hui les gens sont aussi de plus en plus exigeants sur la production, la qualité du son, des lumières, etc.

Est-ce que vous avez déjà pensé à exporter le concept de Dour ailleurs ? Bon votre nom vient certes de la ville où vous êtes implantés, mais est-ce que tu pourrais envisager d’organiser une ‘sous-édition’ ou ‘micro-édition’ de Dour, comme on l’observe aujourd’hui pour nombre de festivals qui s’étendent et s’exportent ?

C’est vrai que si on veut prendre des termes marketing, Dour est une “marque forte” qui a su se faire un nom. Mais notre spécificité reste justement d’être situés à Dour en particulier, dans cette région assez isolée et pas vraiment touristique. C’est plus facile d’organiser un évènement dans une capitale pour ensuite le démultiplier dans d’autres. Et comme on a un line-up très varié qui couvre beaucoup de styles musicaux, ça devient difficile d’exporter le concept sans perdre une partie de notre identité au change. On ne veut pas perdre cette magie du festival qui tient dans le fait que c’est un évènement éphémère.

Le line-up a chaque année l’air de perdre un peu de ses artistes rock pour gagner en électro. Un manque de renouveau dans le style ou une décision délibérée de se tourner vers l’électro ?

Sans faire de comparatifs entre les deux, on garde quand même pas mal de noms rock, l’impression vient peut-être du fait qu’on a pas beaucoup de grosses têtes d’affiche en rock cette années. Pas parce qu’on veut pas, mais parce qu’en Belgique ils sont souvent bookés en exclusivité par le Werchter ou le Pukkelpop. En rock indé, on a quand même des groupes comme Suuns, Palma Violets, Timber Timbre, Deerhoof.. Mais ça vient aussi d’un changement de mentalité: on a un public assez jeune, qui aujourd’hui perçoit l’indé comme Caribou, Nils Frahm ou Jon Hopkins, alors qu’il y a quelques années ça aurait plutôt été Animal Collective.

Dans ta logique de programmation, comment construis-tu le line-up en termes d’horaires et de partage des scènes ? Il y a t-il des styles réservés au jour et d’autres à la nuit ?

Déjà il y a des scènes qui font du non-stop comme la Battle avec de la musique électro de 15h à 3h, sur laquelle on construit un line-up progressif, avec une ambiance ‘Sonar By Day’. Pour le Dub Corner, c’est du dub en non-stop aussi. En ce qui concerne le Labo, la Canibal Stage, le Dancehall et la Petite Maison dans la Prairie, c’est du live en journée qui passe vers quelque chose de plus ‘dansant’ la nuit. En fait on découpe surtout le programme par ambiance: la Grande Scène reste le lieu rassembleur, donc en début de soirée on démarre souvent là-bas avec un concert assez festif. Pour les autres scènes on choisit une couleur et on développe le line-up le plus cohérent possible à partir de cette idée-là: par exemple le Labo jeudi sera très electronica avec Romare, Dream Koala, FKJ, Evian Christ.

En tant que programmateur d’un festival qui présente autant de styles musicaux en un seul évènement, comment tu t’adresses au public, aux médias, en sachant qu’ils sont parfois complètement à l’opposé les uns des autres ?

En termes de communication, j’ai différents cas de figure à envisager: d’abord si l’artiste qu’on est sur le point d’annoncer est déjà assez connu du public mais pas encore des médias dits “traditionnels” – ce qui arrive souvent -, on insiste plutôt sur les réseaux sociaux pour annoncer la date. Pour ce qui des publics très spécifiques comme notre public métal mais aussi le public reggae-dub, on fait une annonce séparée et on crée un flyer spécifique pour eux.

Si on envisage les choses de la manière inverse, il y a aussi quelques artistes qui nous permettent d’élargir notre public et de s’adresser à d’autres personnes que notre coeur de cible. Le live commun de Tony Allen, Damon Albarn et Oxmo Puccino ça parle aussi bien à un public plus ‘trentenaire’ qui connaît bien les deux premiers qu’aux jeunes qui sont fans d’Oxmo. En fait pour chaque annonce, il faut savoir à qui tu t’adresses et trouver le bon canal pour le faire.

Comment vous mettez en valeur la scène locale au sein du line-up ? Est-ce que vous préférez les tremplins, ou inclure directement les artistes dans une prog qui se construit par étape, avec la tête d’affiche qui mettra en valeur le reste ?

On a plusieurs cas: il y a a des groupes sur lesquels on mise et qu’on met du coup sur un super spot, comme La Smala qu’on a mis sur la Main Stage l’année dernière, le premier soir à 20h. On organise aussi un tremplin local avec des groupes très émergents qui n’ont encore rien sorti et qui font l’ouverture du Labo. Ces artistes-là, on tente de les inclure dans des plateaux cohérents avec leur style pour qu’ils se sentent en phase. Sur Le Labo du vendredi ou le Dub Corner du jeudi, on présente nos coups de coeur belges sans pour autant cataloguer le programme en tant que tel, en le présentant comme un ‘package belge’. La Belgique est un petit pays et on a parfois tendance à ne pas être assez fière de ce qu’on fait, alors qu’il y a de très bonnes choses chez nous aussi.

Dour a aussi la particularité de toucher une tranche de public assez jeune. Comment penses-tu que les envies de ce public évolueront avec le temps ? En d’autres mots, comment est-ce que tu vois le festival en 2030 ?

On tente toujours de redémarrer d’une feuille blanche chaque année et réenvisager les choses sous un autre angle, partir dans une autre direction. Moi l’idée que j’aimerais garder, c’est celle de rajeunir tout le temps le public parce que ça permet de renouveler le festival, ne pas laisser le programme s’enterrer dans un style. Peut-être qu’un jour je devrais laisser la main à cause de ça, si je vois que je n’y arrive plus. Parfois on me dit que la prog n’est plus assez ci ou ça, mais la réalité c’est que le public évolue et qu’on tente d’évoluer avec.

Parfois on est tenté par l’idée de supprimer les têtes d’affiche aussi, mais on voit que c’est ça qui rassure le public, et qui lui fait sauter le pas de venir à Dour: tant qu’on a pas annoncé un Jungle, Mark Ronson, Flume, C2C ou Snoop Dogg, les gens hésitent encore avec la concurrence. Les gens ne retiennent souvent que les grands noms, ce qui en soit est normal quand ton affiche présente autant d’artistes.