La musique ambient fait figure de style musical à part. Dépouillé de toute structure rythmique, ce genre musical est en général particulièrement planant. Pour certains d’entre vous, l’ambient c’est un peu chiant et ça permet juste de faire office d’introduction à des albums ou des mix. Si c’est ce que vous pensez, vous êtes surement passés à côté de quelque chose – ou peut-être êtes-vous juste incompatibles avec cette forme d’introspection musicale.

La musique ambient est un produit culturel particulier dans le sens où elle a un mode de consommation particulier. De la même manière que certaines chansons peuvent vous rappeler certains épisodes amoureux, l’ambient a cette capacité de marquer au fer rouge certains moments singuliers de votre vie. La musique n’est plus un produit qui fonctionne en soit, mais prend pleinement son rôle de fabrique à sensations.

Le maestro du genre en occident s’appelle Tim Hecker. Après plus de 15 ans de carrière, le canadien continue d’expérimenter avec la sortie prochaine de son 11ème album, Love Streams.  Sa musique est une merveille de sound-design et d’ingéniosité, tout en reliefs abruptes et distordus. On reproche souvent aux artistes d’ambient de s’endormir sur leur synthé, impossible de porter cette critique ici.

Mais le plus important pour réellement apprécier un morceau ou un album d’ambient, c’est de vous l’approprier dans une situation qui vous est propre. Le genre ne se prête pas forcément au partage mais plus à l’introspection, ce qui en fait quelque chose de difficilement accessible et, disons-le, carrément égoïste. Malgré tout, voici trois situations dans lesquels l’ambient m’a particulièrement touché, avec une singularité qu’aucun autre genre musical n’aurait pu me procurer.

 

Marcher dans les rues de Buenos Aires

Buenos Aires est une ville particulièrement propice à la balade. Toutes les nationalités d’Amérique Latine se croisent et se mélangent dans ce brasier de cultures. L’idée m’est venu un peu au hasard, avec des écouteurs qui ont la particularité d’être ouvert – et donc de faire un mix équilibré entre votre fichier audio et les bruits extérieurs. Dans mes derniers téléchargements, Moby qui vient tout juste de sortir gratuitement 4 heures d’ambient. Les morceaux sont répétitifs et tout en longueur. Mais derrière ce minimalisme, Moby nous propose une certaine puissance émotionnelle, également facilement accessible.

La longueur des morceaux ne se fait pas sentir quand votre attention est déjà captivée par vos sens. Au coin de la rue, une violente dispute de couple, plus loin la sirène d’un passage à niveau, et le déferlement du train. Les rues en ébullition, pleines de street-art, un parc avec des manèges pour enfants, une ferria avec sa fanfare rythmique traditionnelle, et enfin les retentissements du clocher d’une église. L’ambient tel qu’il est consommé ici permet de prendre du recul sur le monde qui nous entoure, pour recentrer son attention. On retrouve une fascination pour les choses qui nous font sentir vivant.

 

Bivouaquer au milieu des montagnes alpines

De retour avec Tim Hecker pour une expérience d’ambient beaucoup plus classique = dans l’usage courant de ce genre, on écoute de l’ambient pour s’endormir. Rien de particulièrement transcendant ici, si ce n’est que vous pouvez essayer d’en écouter durant vos voyages. La réécoute de ces morceaux vous transportera immédiatement  dans vos souvenirs. Pour moi, cet album de Tim Hecker évoque immédiatement l’immensité des montagnes alpines où je l’ai écouté pour la première fois, en mangeant un plat de pâtes près d’un glacier.

Toujours avec cet album, mais dans la catégorie des expériences moins facilement avouables : celle d’en écouter après avoir mangé des bonbons. Au lieu de vous transformer en zombie désinhibé faisant des moues de singes – un art que les clubbeurs anglais maîtrisent à merveille – vous pouvez canaliser ce flux d’énergie pour réfléchir vite, bien et beaucoup.

 

Mais aussi, au milieu de votre routine métro-boulot-dodo

Pas besoin de cadres extraordinaires, ou d’une envie de cinématographier sa vie pour apprécier l’ambient. Ce qui pourrait faussement s’interpréter comme un goût malsain pour la mise en scène, est avant tout un moment de repli sur soi-même. Dans une société où l’on vous invite rarement à vous écouter, il peut être bon de prendre un moment pour s’isoler du barouf ambiant des grandes villes. Andy Stott est un des artistes caractéristiques de Manchester. Sa musique, sombre, noir, retranscrit l’état de pauvreté du nord de l’Angleterre.

La saleté des usines désaffectées et des paysages industriels meurtris imprègne sa dub lourde et lente. Si le mancunien n’a jamais sorti à proprement parler un album d’ambient, sa musique s’en inspire largement. La plage d’introduction de son dernier album est d’un minimalisme subtile, efficace et introspectif. Comme écouter un stéthoscope pointé sur votre propre poitrine.

En conclusion, le genre ambient et ses artistes sont tant introspectifs qu’il faut trouver sa propre façon de se les approprier. Il n’y a pas de honte à dépouiller la musique de son essence pour en faire un médium consumériste de sensations. A l’opposé de la musique “feel good” – votre petite sélection de morceaux pour mettre de l’ambiance dans votre before – l’ambient brille de part sa simplicité et sa sincérité.