Belgica est le nouveau film de Félix van Groeningen, qui a réalisé La Merditude des choses ou Alabama Monroe, lauréat du César du Meilleur Film Étranger en 2014. La Bande Originale du film a été composée par le duo belge Soulwax.

AlabamaMonroe-2

 

L’un contre l’autre musique

La musique était déjà au centre du propos d’Alabama Monroe – qui ne se passait pas du tout en Alabama mais bien en Flandres belge. Élise et Didier tombaient amoureux, avaient une petite fille qu’on découvrait sérieusement malade.

La musique, au fil de scènes tire-larmes, venait tour à tour adoucir ou soutenir les émotions avec une justesse parfaite. Deux ou trois scènes de concert de l’orchestre de bluegrass, dont faisaient partie les deux héros, The Broken Circle Breakdown, montrait déjà l’appétence de Félix Van Groeningen pour la musique vivante. La première scène aurait d’ailleurs pu s’être déroulée dans un endroit semblable au Belgica.

La musique ouvre aussi le sixième film du réalisateur dans un plan séquence classique : un diamant se pose sur un vinyle, avant que la caméra ne parcourt un appartement en lendemain de fête, une fille cherchant ses vêtements pour partir discrètement. Comme si le film durait le temps d’un album, ce qui est – presque – le cas, puisque Soulwax a composé seize morceaux, joué par seize groupes fictifs pour seize ambiances différentes.

La musique clôture également le film, sur un plan magnifique où une jeune femme chante a cappella pour les balances de son concert, avant qu’un beat ouvre le générique de fin.

La musique, donc, au centre de Belgica. Et la fête, dans son ensemble.

belgica thomas dhanens

 

Monter un lieu

Pour reprendre le synopsis officiel du film, le Belgica est un café que monte Jo – magnifique Stef Aerts, avant d’être rejoint par son frère Frank – Tom Vermeir, concessionnaire automobile magouilleur qui cherche un nouveau souffle à sa vie rangée. A l’origine un vieux café où se croisent vieux buveurs et jeunes habitués, le lieu devient un club quand les deux frères découvrent une grande salle avec mezzanine derrière le mur du fond.

Le film excelle, nous allons y venir, à retranscrire les ambiances de nuit et de fête du bientôt fameux café Belgica. Mais n’oublie pas par autant de documenter, plutôt précisément, la vie concrète du lieu : déroulement des travaux, obtention des autorisations, stratégie, management d’équipe et comptabilité. Tant de questions qui conditionnent la fête et l’espace de liberté créé. N’en déplaise aux libertaires, la liberté n’existe qu’avec certaines règles, ou tout du moins un cadre pour qu’elle puisse s’épanouir.

belgica thomas dhanens

L’art de faire la fête

L’ouverture du Belgica, version club, en plus d’être une des scènes les plus fortes du film, agit comme un postulat : dans ce lieu, point de portier pour sélectionner le public à l’entrée, et écarter les “noirs”, les “marocains”, les “marginaux”. Et dans ce lieu, point de frontières musicales : une fanfare succède à un groupe de punk et précède un duo électronique expérimental. Déjà la première bagarre éclate, mais au milieu de la fumée des cigarettes, personne ne semble vouloir s’arrêter de danser.

Les personnages, aux caractères variés et complexes, dessinent une palette aussi large que les gens que nous croisons chaque week-end dans les innombrables fêtes qui agitent les villes et les campagnes. Le film semble être à la fois un hommage aux gens qui créent la fête comme à ceux qui la font et la vivent.

Le tout dans cette atmosphère délicieuse de la Belgique, où ont été tournés nombre de films incroyables de vérité sur le genre humain: Bullhead, Je suis Mort mais j’ai des amis, Le Grand’ Tour, Eldorado, Les Géants ou même C’est arrivé près de chez vous. Le tout en flamand, cette langue dont on se moque souvent par chez nous, principalement parce qu’on n’en comprend pas un mot, mais qui dans les films belges donne tant de corps aux dialogues, tant de force dans les émotions, douces comme violentes.

belgica thomas dhanens

 

Trouble-fête

Très vite pourtant les limites du succès se font sentir : l’argent qui semble facile mais ne correspond pas à la trésorerie, l’alcool, qui coule à flot des deux côtés du bar, la drogue, qu’on dédaigne au début mais qui prend vite beaucoup de place, et l’entourage, qui ne suit pas ce rythme infernal de vie nocturne – et feint d’ignorer les conquêtes d’un soir.

Toute la force du film réside ici. Au contraire des films faciles sur la nuit, qui démarrent sur la magie de la nuit avant de sombrer brutalement dans la gueule de bois, ici, tout est mêlé du début à la fin, rien n’est trop beau ni trop laid, ni trop réaliste ni trop rêveur.

En deux heures et sans longueur, Félix Van Groeningen montre à la fois la beauté, les dangers et la difficulté de maintenir la fête dans son plus bel état. L’amie du héros déclare au milieu du film : “Parfois, je danse en attendant que tu finisses de travailler, je regarde les gens autour de moi, et je me demande: pourquoi est-ce qu’ils ne s’arrêtent pas“. Dans une scène suivante, elle affirme le contraire : “J’ai décidé de m’amuser“.

Criant de justesse, le film n’est pas une leçon mais une histoire comme il y en a eu des centaines dans l’histoire de la fête : celle de deux rêveurs, désireux de créer un espace de liberté pour un public qui veut s’évader de son quotidien pas toujours rose; celle d’être humains, imparfaits, bancals, mais qui ne se laissent jamais abattre et suivent leurs convictions avec passion, au risque de s’y perdre.

Pour notre part, pas question d’arrêter de regarder du cinéma belge, encore moins les films de Félix Van Groeningen. Et en attendant le DVD, nous allons écouter en boucle la bande originale de Soulwax.

Plus d’informations sur le film par ici.