Autant prévenir tout de suite, cette chronique ne sera objective en aucun point.

Il est de ces artistes dont chaque note vous touche et vous transporte, en qui vous avez une confiance aveugle où qu’ils aillent. Apollo Brown est de ceux là pour moi. Après avoir multiplié les collaborations ces dernières années avec notamment le légendaire O.C (Trophies/2012), Ghostface Killah (12 reasons to die/2013), Guilty Simpson (Dice Game/2013) ou encore, plus récemment, Red Pill et Verbal Kent avec qui il forme le groupe Ugly Heroes (que certains d’entre vous on peut être eu la chance de voir lors de leurs quelques dates récentes en France), voici Thirty Eight, son premier projet instrumental depuis l’excellent Clouds paru en 2011.

« Thirty Eight à le son du Détroit passant de l’héroïne au crack entre la fin des années 1970 et le début des années 1980 »

Comme s’il était le spectre de la musique afro américaine (au sein de laquelle Détroit a joué et joue encore un rôle proéminant), Apollo Brown nous aspire 40 ans plus tôt au cœur d’une ville en pleine mutation. Délaissée par la population blanche suit aux émeutes raciales de 1967, le centre se remplit d’une population majoritairement noire et fortement touchée par la pauvreté et la misère sociale. C’est la fin de la Blackxploitation et de l’âge d’or de la Motown. C’est l’heure du béton des beats et du bruit. Le premier craquement de vinyle nous plonge dans une histoire sans mots mais à l’atmosphère palpable, prenante. Avec cette touche si spéciale qui lui donne un son unique en son genre, Apollo Brown raconte une « gangster tragedy » à sa manière : épique, profonde et sincère. La beauté brute d’une histoire dans la pénombre d’une pièce miteuse où l’ampoule qui grésille révèle le brouillard des cigares et des canons encore fumants. Une histoire d’argent sale et d’amour propre, parfois d’amour tout court. Happé par le bruit sourd du boom bap, on se laisse tour à tour porter par les cuivres, bercer par la douceur du piano et le blues de la guitare, et brassé par les voix dont les samples courts semblent pourtant pleins de mots. Avec autant de retenue que d’émotion, l’album oscille entre action et suspens, entre peine et délivrance (quelle qu’elle soit).

Avec Thirty Eight, le producteur de Détroit livre un hymne à sa ville. Une ville qu’il a toujours aussi bien revendiquée que défendue, sans jamais en voiler la réalité. À la manière d’autres grands artistes noirs avant lui, il transcende la douleur et la misère pour en extraire une beauté à la fois sombre et pleine d’espoir. Ce nouveau projet entièrement instrumental place définitivement Apollo Brown parmi les artistes majeurs de la ville. Un artiste qui, sans frasques ni artifices porte haut l’étendard du hip hop underground en écrivant une très belle page de l’histoire musicale de la Motor City.

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