Si vous suivez l’actualité électronique, vous avez surement entendu parler de Vessels cette année. Gordon, Ripperton et Alex Banks sont autant d’artistes qui leur ont fait l’honneur de remix très réussis. Pourtant, rien ne destinait ce rockband de formation à se faire entendre sur les dancefloors. Pour leur troisième album, « Dilate », sorti en début d’année, le groupe invite les synthétiseurs ronflants à s’insuffler dans leur post-rock. Le résultat est un savant mélange entre Nils Frahm et Godspeed You! Black Emperor.

Réputés pour leurs lives énergiques, ils entament cette semaine une tournée européenne qui sera à coup sûr un franc succès. Nous avons eu la chance de pouvoir aller les rencontrer dans leur studio à Leeds pour leur poser quelques questions. Chronique d’un entretien dans les friches industrielles d’une ville au dynamisme culturel impressionnant.

Je suis accueilli par Tom, un des cinq membres du groupe. Il s’excuse du désordre dans leur studio tandis qu’il essaye de m’expliquer tant bien que mal le fonctionnement de leur complexe live set-up. Les câbles midis sortent d’un peu partout, venant tapisser un studio rempli de guitares, de synthétiseurs et de batteries. C’est là l’une des particularités du groupe, d’avoir gardé l’exigence scénique du rock malgré leur virage électro.

C’est d’ailleurs en réalisant des covers de morceaux électro que le groupe s’est le plus exposé aux projecteurs ces dernières années. Leur reprise de « The Sky Was Pink » de Nathan Fake (remixé par James Holden) est envoûtante, tandis que celle de « Blue Clouds » par Modeselektor apporte une nouvelle fraîcheur au morceau, et avec un clip inventif.

Tom Vessels : Nous avons même envisagé sortir un EP de cinq reprises de morceaux techno mais nous n’étions pas satisfaits du résultat. On a notamment tenté une reprise de « Azure » de Paul Kalkbrenner mais ça ne marchait pas. On a préféré se concentrer sur Dilate qui nous a déjà pris trop de temps à finaliser.

 

Leur dernier album, « Dilate », est d’une maturité impressionnante malgré son positionnement hors des sentiers battus. Le mix et mastering, uniques, voguent entre l’énergie du rock et ses batteries et le groove des boîtes à rythmes au kick profond. Très souvent, des vapes de guitares distordues viennent créer le paysage sonore sur lequel les synthétiseurs et éléments rythmiques s’entrechoquent et s’embrassent. Tom me détaille le processus créatif.

Tom Vessels : C’est vraiment facile de se prendre au sérieux avec ce genre de son. Certains s’en sortent car ils assument cet aspect-là dans leur processus créatif, comme Godspeed You ! Black Emperor que tu as cité à juste titre un peu plus tôt. On fait de la musique depuis un moment donc nous aussi on la fait sérieusement, mais aujourd’hui on trouve notre premier album un peu trop sérieux.

Beyeah : Est-ce que c’est l’aspect électronique de votre musique qui permet d’en apporter sa légèreté ?

T : Oui c’est vrai. Surtout avec la dance music. L’émotion est bien entendue là, mais l’aspect dansant allège l’ensemble. Je pense que nous avons dû déboussoler une partie de nos fans métalleux par rapport à nos débuts, où les guitares étaient plus présentes. On a toujours voulu faire de la musique dansante, mais ce n’est que quand on a posé nos guitares que nous y sommes arrivés.

B : C’est quelque chose qui est venu de tous les membres du groupe ? Vous réalisez aussi de nombreux remix, c’est quelque chose que vous travaillez ensemble ?

T : Les remix sont essentiellement réalisés par Lee et moi. En ce qui concerne l’écriture, Lee joue un rôle central, c’est celui qui écrit le plus. Mais on était tous sur la même longueur d’onde, et cela depuis « Monoform », la track d’ouverture de notre précédent album « Helioscope » qui est aussi le dernier morceau que nous avions écrit. Il représentait l’amorce de notre évolution. À vrai dire, en écoutant à nos remix on savait depuis plusieurs années que l’on voulait pousser dans cette direction.

 

A la fin du mois sort un vinyl 12″ avec des remix de « Dilate ». Je leur demande si un format album est envisagé pour réunir tous les remix, mais rien ne semble être au programme. Tom me confirme cependant que plusieurs autres remix sont dans les disques durs et vont sortir d’ici la fin de l’année. Ensuite, le groupe s’attellera à finir leur prochain album.

T : On a déjà environ la moitié des morceaux écrits pour le prochain album. D’ailleurs on va en incorporer certains dans la tournée qui commence.

B : Vous continuez d’intégrer vos albums précédents dans vos tracklists ?

: Non, là ça ne sera que Dilate et quelques exclusifs qui du coup sont dans la même cohérence.

Nous en parlions dans un précédent article, les nineties anglaises font leur grand come-back. J’ai également abordé le sujet avec eux.

: Oui c’est marrant n’est-ce pas ? C’est comme un cycle culturel de vingt ans. Ça a surement quelque chose à voir avec la jeunesse de l’époque qui désormais a une certaine forme de pouvoir culturel, et les médias entretiennent ça. Moi-même j’ai grandi avec le premier album de Chemical Brothers.

B : Vous ne pensez pas que cela peut étouffer l’énergie créatrice d’aujourd’hui cette interpellation constante du passé ?

T : Je vois ce que tu veux dire. Je ne sais pas, je pense que les nouvelles idées existent, mais il faut qu’elles s’imposent. Il y a quelques années le grime ou le dubstep n’existaient pas et sont passés d’un coup sur le devant de la scène. Pour moi c’est une histoire de tendances.

Enfin, nous avons terminé notre discussion sur l’écosystème culturel local. Leur dernier album est sorti sous l’égide de Leaf Records, sûrement le label de musique le plus emblématique de Leeds, qui fut notamment la première maison de Caribou. Ils fêtent cette année leurs 20 ans d’existence et sont symptomatiques du dynamisme local.

: Il y a énormément de bonne musique à Leeds, on a trois conservatoires dans la ville et cela y contribue forcément. De nombreux musiciens viennent habiter ici. L’ambiance est également géniale, il n’y a pas de sentiment de compétition.

On vous recommande chaudement de passer voir Vessels lors de leur passage en France. Ils seront à Bordeaux le 5 novembre au I.Boat, et le 14 novembre à Lyon au Riddim Collision Festival. Malgré leur petite dizaine d’années d’existence, on vous garantit que vous êtes loin d’avoir fini d’entendre parler d’eux.