Une productrice pour le moins mystérieuse fait depuis quelques temps son chemin dans le paysage sonore new-yorkais. Avec son pseudonyme à consonances à la fois asiatique et germanique, Emma Olson aka UMFANG (qui signifie « ampleur », en allemand) est désarmante. Si de prime abord, son univers visuel nous apparaît doux, sa musique explore des contrées qui le sont parfois beaucoup moins. Entre techno en clair-obscur et distorsions para-musicales issues de bruits du quotidien, sa palette sonore est sans fin. D’un morceau à l’autre, elle est capable de s’approprier et de faire siennes des loops produites sur une machine 909, pincement de cordes, ou bien des bruits semblables à celui d’un moteur branché à différentes vitesses.

Il n’aura pas fallu beaucoup de temps pour qu’UMFANG tombe amoureuse du genre musical qu’elle produit et partage aujourd’hui dans le monde entier. Ses influences, nombreuses, ont pour point de départ les soirées qu’elle fréquente dès ses 19 ans à Kansas City, aux Etats-Unis. De là, UMFANG développe une soif d’apprendre et perfectionne rapidement son style, déclarant même lors d’une interview à Mixmag : « Je veux que les gens sachent que la production est accessible, j’ai réussi à l’apprendre donc ça veut dire que vous en êtes aussi capable ».

Olson ne produit pas simplement de la musique pour faire danser des foules d’inconnus. Elle voit plus loin, prenant la musique comme un véritable moyen de faire grandir, réfléchir, changer la façon de penser de ceux qui l’écoutent. Chacun de ses morceaux, de ses sets ou des actions qui visent à promouvoir un.e artiste a un sens, et répond à une façon de penser qu’elle souhaite diffuser au plus grand nombre. Elle l’affirme en tranchant que lorsque la musique ne dessert pas de message, elle ne s’y reconnaît pas.

C’est de cette manière, en plus de ses productions personnelles, qu’UMFANG en est arrivée à dédier une partie de son temps à la promotion d’artistes féminines sur la scène électronique, au travers du collectif new-yorkais Discwoman, dont elle est la co- fondatrice. De nombreuses polémiques ont récemment vu le jour concernant la place des femmes dans le milieu : alors que certains artistes tel que Konstantin continuent de perpétuer les clichés d’un milieu au final tout aussi patriarcal que le reste de la société, certaines femmes défendent corps et âme leur légitimité dans l’électronique en plaidant pour plus d’égalité. Plusieurs ont démarré avec un pseudonyme à consonance soit masculine soit androgyne (Raving George pour Charlotte de Witte, Renée pour Amelie Lens…), avant d’affirmer haut et fort que leur genre ne définit pas leur talent. UMFANG, elle, a d’emblée affirmé qu’elle est une femme, et qu’elle souhaite mettre en avant ces dernières.

Crée en 2014 à Brooklyn, Discwoman a été et est encore le vecteur de cette ambition. Et si ce collectif a été pendant un temps son emploi principal, c’est aujourd’hui la production musicale qui a pris le dessus. On peut difficilement lui jeter la pierre : sa dernière sortie en date, l’album Symbolic Use Of Light sur le label cadet de Ninja Tune, Technicolor, présente en neuf titres de longueurs variées une véritable galaxie de sonorités, d’influences, d’atmosphères et de sensations.

L’album est introduit par Full 1, titre dont la dominante se veut organique : avec la harpe pour matière première, ce sont les quelques notes de cette dernière qui font tout le morceau. Elles se voient secondées, en arrière-plan, par un timide rythme synthétique, juste assez perceptible pour donner une autre couleur au titre. Si Full 1 rappelle l’introduction du dernière album d’NSDOS, les titres suivants prennent une tout autre forme. Weight explore des nappes électroniques qui frisent les infrasons, hauteur de ton que l’on retrouve de manière plus franche, moins timide, dans Symbolic Use Of Light, qui donne son nom à l’album.

On poursuit avec Where Is She, qui comme le dit UMFANG, n’est produit qu’à partir d’un loop issu d’une 909. Seuls quelques sons épars viennent diversifier le morceau, nous donnant la fausse impression que le motif change. Path a moins vocation à faire danser que le titre précédent : il vogue sur des sons plus doux, vagues marines électroniques. Pop nous réveille par son agencement de courts motifs répétitifs et saccadés, avant de considérablement ralentir le rythme avec Sweep, morceau qui explore les bruits d’une sirène d’alarme torturée, distendue. Et avant de clore l’album sur Full 2, Wingless Victory apparaît comme une synthèse de ce qu’on a pu entendre auparavant : sonorités douces et organiques, aux tons froids contrastant sérieusement avec un rythme rapide, secondé de piques métalliques particulièrement cinglants. Rares sont les albums qui étudient autant de variations musicales.

Le talent de la productrice commence à être reconnu dans le monde entier. Presque aucun pays ne lui échappe : le cultissime Berghain l’a accueillie bras ouverts en septembre dernier, à peine un an après la sortie de son premier album Ok. Rares aujourd’hui restent les artistes à avoir connu un lancement aussi fulgurant. De l’Europe à l’Amérique du Sud en passant par l’emblématique Détroit,, la jeune DJ a parcouru la planète, défendant seule sa musique ou parfois accompagnée des DJ qui lui tiennent le plus à coeur. On vous laisse sur un de ses nombreux sets qui a marqué les esprits : une Boiler Room tenue dans un club new-yorkais. Et en vinyl only, s’il vous plaît.