Si on parle beaucoup de l’émancipation de la nouvelle scène musicale du monde arabe en général, la scène hip hop a souvent été omise de l’argumentation. Or, depuis deux ans au Maroc, le phénomène est en plein ébullition, avec le boom de la trap marocaine.
Le rappeur Shayfeen est un des précurseurs qui y a apporté le phénomène trap, cette nébuleuse autotunée et à vocation d’expansion internationale. Il a beaucoup contribué à l’acceptation du mouvement dans le pays et ailleurs, notamment en faisant un featuring avec Lacrim en 2015. Plus récemment est sorti le tube Money Call, avec Laylow et produit par Ezy Dew – une consécration.
Autre figure du genre, Madd n’est autre que le frère de Shayfeen. Il fait partie de la nouvelle génération comme il l’explique dans son interview pour le média Naar. Cette génération assume totalement ce qu’elle est, et revendique un style plutôt que des paroles engagées. Si on regarde le récent clip de 7liwa, c’est une image sensiblement similaire au rap US et français qu’on découvre : portée aux nues de la bande de potes, des armes à feu, de la marijuana. Les combats et le style de vie semblent se retrouver sous l’égide de la trap, bien que celle-ci demeure moins visible au Maroc. 7liwa a repris aussi le concept des Mixtape, les WF (wald fatema) avec déjà neuf mixtapes à son actif depuis deux ans. La dernière, Mimi, récolte déjà plus de 13 millions de vues.
Le rap conscient semble appartenir au passé chez les amateurs de trap. Les combats sont certes toujours là, mais désormais plus sous-entendus que revendiqués : la condition des jeunes n’est pas forcément meilleure, mais cette génération préfère vivre dans le rêve que dans la révolte, cherchant à s’émanciper tous seuls, par la musique et grâce à Youtube et Instagram. Ils veulent véhiculer une musique positive, sur laquelle on danse plutôt qu’on se morfond. Mais la réflexion reste la même et, si l’on lit entre les lignes, on constate la même détresse.
La rebellion par la musique fonctionnera toujours, mais encore faut-il qu’elle soit organisée. C’est pourquoi Shayfeen a créé le WDS – ou Wadrari Squad, pour donner un espace de création aux futurs trappeurs du pays. Un boost nécessaire pour la production, car il n’y a pas d’industrie au Maroc pour gagner de l’argent avec la trap. Et se sont joints à lui Xcep, West, Yo Asel, Madd. Le langage n’est pas une barrière pour qui écoute de la trap marocaine, les vibes parlant d’elles-mêmes. Preuve en est avec le rap US : qui n’a jamais chanté à tue-tête des morceaux de Asap Rocky ou Young Thug sans jamais comprendre ce qu’ils disent – ou du moins en faisant semblant avec du yaourt fermenté ?
Un autre crew, le 777 production, s’est aussi développé en parallèle. Autre bande de potes, tout aussi fructueuse, avec un flow plus codéiné, dans des nappes plus aériennes que le WDS. On reconnaît chez eux les tiques de langages de la scène US, les rythmes saccadés, et les refrains en anglais qui facilitent l’identification.
Et les femmes dans tous ça ? Comme ailleurs, plus difficile de trouver des présences féminines sur cette scène, parfois pour des featuring plus pop mainstream comme Shayfeen avec Manal. On est quand même tombée sur une reine de la trap marocaine, Psychoqueen, qui affiche fièrement ses tatouages, pourtant très mal vus, ou encore Zineb Said, qui a sorti un clip il y a deux mois 9AWADTOHA, et que certains appellent déjà la Cardi B du Maroc.
Bref, ça bouillonne de l’autre côté de la Méditerranée, et de nombreux featuring avec les rappeurs français sont déjà en studio. On attend le featuring avec des rappeurs US avec impatience, paraît-il que French Montana est déjà sur le coup.
Pour les plus curieux, l’émission I-D sur Rinse France avec le créateur de Naar ou l’interview de Radio Nova donnent les clés de compréhension sur l’essor de cette scène.