Depuis les premières lueurs de la Concrète à sa collaboration avec Laurent Garnier, S3A s’est fait un nom au sein de la scène house française. Il représente cette nouvelle vague d’artistes collectionneurs de vinyles, animés par l’envie de mettre au goût du jour les tracks aux origines de la house en les samplant sur les bases électroniques actuelles. Il a récemment investi les studios Red Bull à Paris, où il a enregistré une ribambelle de morceaux acoustiques à la frontière du classique et du jazz. L’occasion pour nous de le rencontrer.

On attaque avec la question évidente : pour se faire l’avocat du diable, dire que « Sampling is an art » peut sembler grossier lorsqu’on n’est pas à l’origine des sons samplés, qu’on en fait juste l’assemblage. N’est-ce pas trompeur, et où se trouve la limite de la création originale ? “Je pense que c’est un débat complètement obsolète, le hip-hop nous a montré que prendre à droite ou à gauche peut aboutir à un résultat et une émotion totalement différente. Pour moi, c’est de la création à part entière” commence par nous affirmer S3A – aka Maxime. Mais il prend aussi soin de différencier certaines pratiques qui consistent à faire deux-trois loops sur un morceau de celles qui vont bien au delà du simple copié-collé : “faire une pauvre boucle avec un pied électronique pendant six minutes, ce n’est pas ma démarche. Je prends des passages ou des éléments que j’aime pour les dénaturer et/ou les emmener autre part.”

Si l’on prend l’exemple de The Life of Pablo de Kanye West dont les tracks sont construites avec une succession de samples parfois sans connexions, on perd le fil d’une mélodie, d’une harmonie musicale. On pense notamment au titre Part. 2, qui ressemble plus à un zap télé qu’une composition musicale. Le sampling peut avoir ses limites et ses abus, et certaines règles sous-jacentes et implicites semblent guider ce mode de production : “C’est un exercice que je fais souvent. Je prends régulièrement des disques dans ma collection et je pioche au hasard. Seul les thèmes et la couleur sont fidèles au projet S3A.”

“C’est bien ça le concept : Prendre des choses qui n’ont pas souvent grand chose à voir entre elles, et en faire quelque chose de cohérent sur plusieurs années. Comme pour un dessinateur : observer, ingérer, et recréer avec sa signature, sa vision.”

Une track qui est une succession de loops ou qui n’utilise qu’un sample de voix, par exemple  If Only de Liem réduit l’usage de la méthode du sampling et baisse le niveau de créativité et d’originalité d’un track. “Je ne connais pas ce titre. Mais on en voit souvent, en tout cas ils ne retiennent pas mon attention, sauf si le sample est vraiment parfait et se suffit.” répondra Maxime. Cette technique reste aussi la plus simple et la plus utilisée par les DJs car elle ne demande pas beaucoup de connaissance technique. “Pour moi le sample ne doit pas être un palliatif au manque de créativité comme pour tous les FX qu’on retrouve sur les tracks tools. Il doit ajouter, décupler la composition.” 

Lors d’une discussion avec Coyu le directeur de Suara Records (à lire bientôt dans nos colonnes), on est tombé sur l’opinion d’un persuadé, pour qui un DJ doit être un producteur pour se faire connaître et surtout jouer où il veut. S3A, comme beaucoup d’artistes, a commencé par mixer avant de produire, son premier EP Holdin On étant sorti en 2012. Il rejoint cette pensée et ajoute qu’avec la croissance constante de personnes dans ce métier, la tâche devient de plus en plus difficile.

“Tout le monde est DJ, donc pour exister, il faut composer. C’est là que tout se complique car c’est l’épreuve du feu. À part refaire des tools ou des styles facilement reproductibles comme une recette, c’est là que tout se joue : exister par soi-même, se positionner d’un point de vue artistique ou business.”

Avoir une identité donc. Une ligne directrice qui peut s’exprimer évidemment à travers un style musical ou, comme il le précise, à travers une démarche marketing. Se placer là où le public attend, avec les formes, c’est une stratégie business imparable pour se faire connaître, qui induit cependant de mettre en avant autre chose que sa créativité.

Max a vu (re)naître la scène house française, et a observé la capitale entrer en effervescence créative pour la musique électronique. “Clairement c’est très excitant. J’ai vu plein de groupes naître au début des années 2010, et maintenant ils rentrent en maturité et propose des choses hyper intéressantes, et surtout chez les français, pourvu que ca dure !”. S3A soutient d’ailleurs des projets Made in France comme le label collaboratif La Chinerie, avec lequel il a produit un titre exclusif pour leur première sortie vinyle Nation House.  Né à la base d’un groupe Facebook de social digging, La Chinerie s’est propagée dans tout l’Hexagone à travers les membres dévoués de la communauté. Toutes les branches de la musique sont représentées, la plus populaire et la plus active restant la House, entité de S3A. “J’aime les gars, ils travaillent très bien, sont très gentils et pro. Le projet est une bonne idée, et j’ai vraiment aimé y être présent.” nous confirme t-il.

Il a, dès son lancement, été résident de la Concrète, a vu et participé à l’ascension du Weather et du label. Les soirées sont toujours pleines à craquer, c’est dire, il y a même un groupe Facebook pour connaître la taille de la file d’attente devant la barge. Après cinq ans, le public a bien changé. Leurs heures de gloires seraient-elles déjà derrières eux ? “Je pense qu’on n’a pas fini d’entendre parler d’eux. C’est un peu rapide de dire que c’est en déclin. Ils en ont tellement sous le pied en terme d’idées, de challenge. Ils ont en partie ramené la fête a Paris, innové avec des fêtes de qualité dans des lieux spéciaux, et ont réussi à resserrer les liens avec les ministères. Je suis tellement fier de faire partie de cette famille ! On n’a pas fini d’en entendre parler les amis.”

La popularité de la Concrète et de la musique électronique en générale a conduit à un certain clivage entre les amateurs et les connaisseurs. Un schisme de la musique électronique est en train de se former, et l’on est pas sûr de savoir quel en sera le résultat. En tant qu’artiste qu’on pourrait qualifier d’original et de connaisseur, S3A souhaite rallier les troupes et prend la responsabilité de dépoussiérer les disques originaux, de proposer de l’underground aux oreilles populaires. “La meilleure réponse est la signature de FCOM : « Bring back the underground to the overground » .”

“Ce n’est marqué nulle part que la musique pop, dans le sens populaire et de masse doit être de la merde. C’est de notre responsabilité de proposer.”

Max a été invité à jouer dans les studios Redbull, l’occasion unique de profiter d’un son de grande qualité, d’un large choix d’instruments et de collaborations avec différents artistes. Tout à sa créativité, il a même composé un EP suite à ce passage : “C’était une expérience exceptionnelle et je remercie tout le monde au Red Bull Studios Paris et tous les musiciens qui m’ont permis de concrétiser ce « challenge ». Ça m’a permis de travailler sur un vieux rêve : faire de l’acoustique, et sampler à la source.”

Cette année encore, on va se rendre aux Nuits Sonores où S3A se produira pour la deuxième fois. Il paraît que lorsqu’on y joue une fois, on y revient toujours. Notre chauvinisme nous pousserait à dire que c’est une exception lyonnaise, et il se pourrait bien que le cadre du festival attise en effet ce sentiment chez les artistes : “J’avoue que j’aime l’ambiance des festivals, c’est un peu moins « arty farty » et on fait la fête avec des structures démentielles. Les Nuits Sonores sont un maillon fort de la culture en France pour moi. Ce sont des amis, et il y a une simplicité, une spontanéité et une émotion qui feront que je ne pourrais plus rater une année !” Bref, une énergie qui déverse sur la ville une sorte de champ magnétique de tous les possibles.

Maxime possède également un label axé vinyles, Sampling As An Art Records, et nous confie quelques projets de développement de ce côté : “Nous sommes en train d’organiser la sortie du label en digital, et nous allons faire ça de la bonne manière : compilation avec exclues, unreleases, et un mix offert. J’ai vraiment hâte de proposer le label au plus grand nombre ! Un projet d’album est aussi dans les tuyaux pour le deuxième semestre de l’année.”

Pour ne rien rater de ces annonces alléchantes, on vous conseille de suivre Max sur sa page Facebook.