Le rappeur et producteur irlandais vient, après des mois d’attente et quelques retard, de délivrer son premier album, Dear Annie. L’attente en valait-elle la peine ? L’attente en valait la peine, oui.

Rejjie Snow vient de passer un cap. D’abord symbolique avec le passage au long format ; on ne sait que trop bien que cette étape peut être un véritable révélateur de talents, immortalisant enfin les ambitions et les envies (de l’artiste) et les attentes (les nôtres) dans un espace plus large, plus imposant qu’un EP. Évidemment et bien trop souvent, notre amour est douché par la qualité du produit qui circule entre nos écouteurs : c’est mou, fade, ça sent le réchauffé et le remplissage entre les tubes – bref, on s’ennuie ferme. Difficile en effet de retrouver les formules – si on peut les appeler ainsi – qui ont fonctionné auparavant tout au long d’un album. Ici, point de tout ceci : Rejjie nous a conquit.

Le disque s’ouvre avec Hello, court instrumental vaporeux qui nous enveloppe avec douceur : le ton est déjà donné, ce Rejjie-là sera smooth. La suite est l’entêtant Rainbows et son refrain en forme de comptine, faussement mièvre et sucré, répété jusqu’à saturation : on sent poindre la noirceur que sous-tend ce morceau, un ego-trip tournant autour de la couleur – et condition – noire.

S’en suit un interlude, The Wonderful World of Annie, où l’on entend le rappeur discuter et expliquer sur un faux plateau (TV, radio ?) du même nom le morceau qu’il s’apprête à jouer. Il y raconte l’histoire de cette composition et détaille sa création. Il est question d’une rencontre avec une fille à L.A., avec qui il a passé du bon temps, qui était cute mais qu’il n’arrêtait pas de lui balancer des méchancetés. Méta, comme procédé ? Certainement, mais aussi et plus sûrement touchant : Rejjie nous fait entrer dans l’antichambre de son procédé créatif et nous prend par la main à travers tout l’album – ce type d’interlude est répété plus loin – comme s’il tenait à ce que ne l’on manque aucun indice, clé ou porte d’entrée vers Dear Annie.

Car la genèse d’un LP est un processus long, laborieux, fastidieux et artistiquement complexe – du moins si l’on souhaite bien le faire. Snow a mis tout son coeur dans ses compositions, et il s’en voudrait si nous ne les saisissons pas dans toutes leurs mesures. Personnellement, je trouve ça extrêmement mignon.

L’une des (nombreuses) choses marquantes de cet album, c’est aussi l’utilisation assez récurrente du français. Mon Amour et Désolé, deux morceaux dans la langue de Molière où le rappeur s’essaye – avec pas mal de succès – au parlé et chanté. “Mon amour / Approches-toi de moi / Je suis ton secret / Dans mon hôtel glacé” nous susurre-t’il ; une (petite mais sincère) déclaration à notre pays, ou peut être serait-ce à une fille en particulier. Car quelques morceaux plus loin, il déclare toute sa tristesse à la même fille, jusqu’au point de non-retour : “I wanna be the saddest n*gga no one ever likes / I wanna sell your soul or wanna fucking die“.

Ces fulgurances dans la noirceur se retrouve tout au long du disque, du triste et douceâtre The Ends au déchirant The Rain, où un double à la voix maléfique l’accompagne dans sa douleur. Et c’est dans ces moments, entre chien et loup, où tout le génie de sa production sublime les textes : un hip-hop aux beats ancrés dans leur époque mais résolument tournés vers les 90’s, sans fausse nostalgie ou passéisme. Tout l’album est un bijou poli en ce sens, lustré jusqu’au moindre détail.

Oh, des tubes et des moments d’euphorie, il y en a aussi. Egyptian Luvr, Spaceships – bizarrement mis à la suite l’un de l’autre, comme pour encadrer un interlude joyeux au sein du LP – et le délirant LMFAO où, sur un groove froid à la Talking Heads, Rejjie Snow découpes des lettres, sons et onomatopées, en anglais ou en français, sans queue ni tête et répétés à l’envie.

Et Annie dans tout ça ? Son nom apparait à l’avant-dernière position, sur un track plus testostéroné que le reste ou Oh Dear Annie est scandé comme un mantra. Qui est-elle vraiment ? Rien n’est sûr, peut-être un amour perdu, un idéal de fille à la Melody Nelson, dont le rappeur serait à la recherche depuis des années. Ou bien une amie. Pour nous, Annie restera le premier album de Rejjie Snow, et il nous aura fait fondre.

Dear Annie est disponible sur toutes les plateformes d’écoutes et d’achats.