Artiste solidement reconnu et respecté dans le milieu, et pour autant illustre inconnu auprès du grand public, Paul White propose depuis près d’une dizaine d’années des productions sonores d’une profonde qualité, qu’elles soient destinées à la grande famille du hip-hop ou à ses propres fantasmes expérimentaux. Il était donc temps de mettre en lumière ce beatmaker britannique à l’allure modeste, mais dont l’engagement musical demeure actuellement l’un des plus passionnants.

D’origine londonienne, adoubé par de nombreux artistes, l’homme marche d’un pas sûr et engagé sur les traces d’un certain Madlib, tant par la qualité de ses beats, de son sampling, que par la richesse des sons choisis. Véritable créateur d’univers, il expérimente à souhaits sans pour autant devenir élitiste. Paul White ne souhaite en aucun cas s’adresser à une niche, bien au contraire. Humble et éclectique, il semblerait que son leitmotiv soit plutôt d’insuffler du fun et de la découverte dans sa musique, et de rendre le tout simple d’accès en incroyablement attractif. Pour le constater, il suffit d’aller jeter un œil sur ses quelques rares apparitions Youtube, comme sa session Rhythm Roulette pour Mass Appeal ou encore son live trop méconnu pour Boiler Room.

Son aventure musicale ? Paul White la débute assez tôt en bidouillant des premiers EP instrumentaux, dont certains feront d’ailleurs échos dans les pages de quelques médias britannique tels que The Quietus ou encore The Telegraph. Mais ce sont trois moments-clés qui vont en réalité permettre à l’anglais de grimper les échelons assez rapidement. En 2011, il sort Rapping with Paul White et affiche ses premières collaborations notables avec des rappeurs parmi lesquels Moe Pope ou encore Homeboy Sandman et Guilty Simpson du label Stones Throw (Madlib, J Dilla). Cette première expérience brisera les frontières et lui permettra de mettre un pied dans le monde du Beatmaking international. Suivront ensuite d’autres collaborations, telles que son projet Golden Rules aux cotés d’Eric Biddines ou encore l’album Hella Personal Film Festival élaboré avec Open Mike Eagle l’an dernier.

Le deuxième tournant, plus personnel, reste son dernier album solo publié en 2014, intitulé Shaker Notes. Principalement instrumental, on y entend clairement ses premières performances vocales. A mi-chemin entre pop, musique électronique, free jazz et psychédélisme, on y croise les fantômes de Caribou, Bibio, Animal Collective, Gold Panda, voire même de Can, le tout dans une parfaite symbiose et une production chaleureuse. C’est son œuvre personnelle la plus poussée à ce jour, et sa première signature sur le label R&S Records (James Blake, Nicolas Jaar, Vondelpark).

Troisième et dernier facteur important dans l’ascension du londonien : sa rencontre avec l’américain Danny Brown. Le rappeur de Détroit a découvert en Paul White son arme secrète : son Georges Martin, son Phil Spector, celui qui allait confectionner toute la matière sonore en adéquation avec la folie de ses textes. Les deux comparses collaborent ensemble depuis des années maintenant, White prenant de plus en plus d’importance à chaque album. Trois productions sur l’album XXX en 2011, cinq sur Old en 2013, et dix sur le dernier en date, Atrocity Exhibition, publié sur le prestigieux label Warp (Aphex Twin, Flying Lotus, Clark). Tous ces disques ont reçu un très bon accueil, qu’il soit critique ou public, c’est dire combien la complémentarité des deux garçons fonctionne. White a d’ailleurs réussi un coup de maître avec Atrocity Exhibition en proposant un disque riche, hors du commun et des sentiers battus, où chaque parcelle de musique devient quasi obsessionnelle dès la première écoute. Un réel travail d’orfèvre, et un disque largement sous-estimé encore à ce jour.

Une question se pose néanmoins. Dans une époque où de nouvelles voix du hip-hop sont en constante ébullition (Run The Jewels) et de nouvelles sonorités apparaissent (Death Grips, Shabazz Palaces, et bien d’autres), Paul White est-il en phase avec son temps ? En réalité, l’anglais semble très loin de ce genre de préoccupations. En comparaison avec les productions actuelles souvent froides et identiques pour bon nombre de rappeurs (notamment les plus mainstream), Paul White joue lui sur les deux tableaux que sont le old-school et le moderne, avec l’inventivité et le savoir-faire d’un Kanye West, le soucis du tube planétaire et la mégalomanie en moins. Sa discrétion fascine d’ailleurs à tous points de vue. Malgré plusieurs œuvres en solo et autres albums collaboratifs marquants, l’ambition affichée par sa musique demeure clairement aux antipodes de sa reconnaissance médiatique. Ce n’est d’ailleurs que fin 2016 et début 2017 que l’on aura le plus entendu parler de lui, principalement en tant qu’architecte d’Atrocity Exhibition, ainsi que d’un autre EP commun avec Danny Brown, intitulé Accelerator et publié il y a quelques semaines. Les deux personnages s’étant bien trouvé, gageons que ce duo prometteur soit destiné aux plus belles réjouissances sonores de ces prochaines années.

Et si vous avez encore un doute sur l’importance capitale de Paul White dans le paysage musical actuel et dans les années à venir, on ne saurait trop vous conseiller d’aller jeter une oreille à sa dernière beat tape intitulée Everything You’ve Forgotten, dévoilée en début d’année et en téléchargement libre via sa page Bandcamp. Cette beat tape n’étant que le teaser d’un nouvel album solo à paraître avant la fin de l’année.