A l’occasion de la sortie de son nouvel EP en vinyle chez Unsold Family, nous avons posé quelques questions à Roman Delore. Il y a quelques mois seulement sortait, sur son propre label Aperçu Records et sous ce même alias, l’EP Stara Zagora, composé avec Metshka. Certain d’entre vous connaissent déjà Roman Delore sous l’alias Morfine, dont l’EP AOTH – pour Affairs Of The Heartest paru l’année dernière chez Goldmin Music.

Alors que le soleil pointe doucement le bout de son nez, les quatre morceaux nous ramènent un peu en arrière, dans les nuits froides et belles de Paris à moitié endormie, à moitié agitée. “Entropic Force » lance doucement la cadence avec un kick galopant, mais adouci par les caresses de claviers, tantôt rassurantes, tantôt intrigantes, et des voix qui semblent avalées par le siphon d’un lavabo. Les percussions presque dubstep – le vrai, l’original, l’anglais – introduisent l’atmosphère de “Jesus Bread ». Dans la première partie, les nappes sont toujours aussi douces, percées par une basse presque dub. Au delà des six minutes, les violons dissonants viennent troubler la fête et incitent à penser plutôt qu’à taper du pied.

En face B, “IH9 » dévoile un dub techno moins confondant mais d’une jolie finesse, assez long pour qu’on puisse s’y perdre et se prendre à rêver de longues nuits de trance en danse. Le disque se termine sur “Man Moon », qui aurait pu être un single si cette pratique se faisait encore. On croit entendre un violoncelle dont les accords auraient été étirés jusqu’à la dernière note, avant que ces fameuses voix aspirées n’ouvrent le thème principal. Les nombreuses phases du plus court titre du disque en font un grand morceau, LE morceau qu’aurait pu, qu’aurait du, sortir Burial cet hiver, au moment où nous avions tant besoin de cette beauté noire pour comprendre le monde dans son entièreté.

La richesse de la techno en particulier, qu’elle soit dub, house ou dark, c’est de faire jaillir la beauté, l’émotion, la douceur, au creux d’une musique qui parait parfois dure, abrupte, violente, impitoyable, tant d’adjectifs qu’on utilise souvent pour décrire cette chienne de vie. Ce que parvient exactement à faire Roman Delore.

Pareidolia vient donc véritablement compléter les deux autres sorties de Roman Delore, plus dansante pour sa collaboration avec Metshka, plus joyeuse voire pop pour sa parution chez Goldmin Music. Le phénomène de la paréidolie consiste à voir dans une forme informe un élément clair et identifiable, par exemple en regardant un nuage ou une pierre. Au regard de la pochette et à l’écoute des morceaux, on peut effectivement y voir chacun une forme différente, mouvante, troublante, mais certainement pas inerte. Quelques questions à l’intéressée permettront, peut-être, d’y voir plus clair.

Les deux sorties coup sur coup, c’est un hasard de calendrier, ou c’est pour lancer ton alter ego Roman Delore ?

Un pur hasard de calendrier, Metshka et moi avons pris du retard avec le précédent Stara Zagora EP qui devait sortir au tout début 2016. On a voulu sérigraphier les pochettes à la main, c’est très beau in fine mais ça a pris un temps fou. L’envie d’avoir un imprint sur lequel sortir librement ses productions m’a poussée à fonder Aperçu Records. Et puis élaborer les artworks, j’y tenais beaucoup. D’où le petit télescopage des deux sorties. Mais ça me motive à finir des morceaux pour l’après, histoire de sortir quelque chose d’autre en 2016… J’ai déjà un troisième EP dans les tiroirs et j’en attaque un quatrième.

Pourquoi avoir choisi un nouvel alias, alors qu’il est déjà dur de se faire connaître avec un seul nom ?

Je trouvais qu’il était difficile de combiner les deux. C’est l’éternelle question, segmenter son identité musicale ou pas, certains préfèrent tout regrouper sous un même alias, moi je trouve ça plus clair comme ça. Et puis j’aime bien l’idée d’avoir plusieurs projets, différentes esthétiques. Je pense prendre un autre aka pour les tracks expérimentaux sur lesquelles je travaille en ce moment. Et puis, la finalité n’est pas de se faire connaître mais d’arriver à aboutir des projets qui ont du sens !

Comment s’est passée la collaboration avec Metshka ?

Paul (Metshka) est celui qui m’a vraiment mise au mix vinyle. De mon côté, je lui ai apporté mes connaissances en prod. On a une amitié basée sur des tempéraments très complémentaires, et ça se répercute de la même façon dans notre collaboration musicale. Et surtout, on vise à peu de choses près le même but, du coup tout se passe très bien. J’adore composer toute seule aussi, même si ça me fait partir dans toutes les directions et parfois allez plus lentement. Au niveau du matos, on achète chacun nos machines, en se concertant pour qu’on puisse avoir un set-up intéressant à deux, et on commence à se pencher sur la question du live.

Pour ton EP sous ton autre alias Morfine, tu t’es inspirée de tes histoires d’amour, qu’est ce qui t’a inspirée pour celui-ci ?

Des moments plus sombres peut-être ? J’ai toujours ce besoin irrépressible de déverser mes humeurs envahissantes quelque part.

Que veux-tu traduire avec ces sons très urbains, presque violents parfois, mais en même temps inclus dans des nappes plus douces, avec des voix, etc. ?

Je pense que rien n’est à 100% violent ou 100% doux, les deux sont indissociables et fonctionnent ensemble. Un peu comme dans la vie. On te malmène, on te caresse. Même dans les moments les plus durs il y a toujours une lueur plus claire à laquelle se raccrocher. Je pense que Paris m’a pas mal marquée, c’est une ville difficile parfois et c’est sans doute ce côté « son urbain, presque violent » qui transparaît.

Comment jongles-tu entre tes différents projets ?

Quand je rentre chez moi le soir, je sais d’avance sur quoi je vais bosser. En général, quand j’ai passé une journée pourrie, j’enfile mon costume de Roman Delore et je me défoule.

Comment te situes-tu dans la scène parisienne ?

Je ne sais pas vraiment. Mais ce que je vois, c’est qu’il y a beaucoup de mouvement en ce moment, et c’est positif, ça ouvre le champ des possibles. Et mine de rien, il y a pas mal de femmes qui s’imposent dans le milieu (j’avais envie de dire qui ont des couilles). Go girls !!

Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?

En ce moment ? Christian Zanesi (que je viens de voir en live), Milton Bradley (le nouvel album), ERP (nouvel EP et il est passé au Rex récemment), la discographie de Raster-Noton (le label fête ses 20 ans). Et Heltah Skeltah, que je viens de découvrir… Les années 90 c’était vraiment de la balle.

Dernière question, pourquoi Unsold Family ?

Ce sont des amis, ils m’ont proposé de sortir cet EP et je suis très touchée qu’ils aient cru en ce projet !

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Profitant de cette première sortie pour Unsold Family, voici également quelques réponses de Benoua, l’une des têtes pensantes de ce nouveau micro-label parisien.

Quel est le but de la création d’Unsold Family ?

Partager nos influences et prendre du plaisir à partager une scène avec des artistes qu’on admire et qui pourtant se font rares en France. Faire venir le génial Lord of the Isles pour la première fois à Paris en janvier dernier s’inscrit dans cette logique.

Qu’est ce qui vous pousse à créer un label, avec la profusion de labels existants à Paris ?

Faire toujours mieux ! C’est une super chose qu’il y ait profusion de labels à Paris en ce moment, avec autant de créativité et de projets variés, qui ont tous un public. Ça nous pousse à aller rechercher plus que de qualité dans les projets : la sincérité, l’originalité. Voilà ce qu’on veut apporter avec Unsold Family.

Qui fait partie du label ?

Un groupe de potes : Émile, Arthur et Benoit. On a tous les trois des liens de parenté avec le sud de la France, entre Nice et Aix. Le soir venu, on se transforme en superhéros sous les petits noms de Milgram, Benoua et Kickout.

Comment choisissez vous les artistes, comme Roman Delore ?

On a un faible pour les projets intimistes, ceux qui racontent une histoire inédite. Ça nous pousse à nous aventurer sur d’autres chemins, à faire des paris sur des artistes et des projets inattendus, comme celui de notre première sortie, avec l’EP Pareidolia de Roman Delore : un disque qui parle à la fois à la tête et aux jambes, qui fonctionne aussi bien dans un salon que sur un dancefloor. C’est aussi pour cette raison qu’on ne va pas s’enfermer dans un style particulier et rester très ouverts dans notre sélection d’artistes.

Pourquoi sortir un vinyle ?

Pour se faire plaisir et pour faire plaisir avec un bel objet. Parce que c’est ce qu’on écoute et que notre lecteur K7 est tombé en rade.

Merci à Roman “Morfine” Delore et Benoît “Benoua” pour leurs réponses.

Retrouvez l’EP Pareidolia sur Deejay, et par ici, plus d’informations sur les petites et chouettes fêtes d’Unsold Family.