Le 23 septembre sortait l’album Recto Verso de Paradis. Un long format dans lequel se dévoile le duo formé par Pierre et Simon dans un style plus personnel qu’à leurs débuts. À travers un univers musical toujours aussi intimiste, Paradis joue sur cet album avec les frontières de la chanson, entre fiction et témoignage.
Nous les avions rencontrés en mars dernier au détour d’un DJ set à Lyon, pour une interview qu’on a arrangée en mots-clés, afin de dévoiler « l’envers du décors à l’endroit » de Paradis.
Esthétique
Pierre : L’approche des mots est pour nous une approche assez esthétique. J’ai l’impression qu’on part vraiment de choses qu’on trouve belles, comme des morceaux de puzzles. Il y a dix mots qu’on trouve beaux et sur ces dix mots-là, y’en a la moitié qui saute. Comment est-ce qu’on construit une phrase et où mène-t-elle ensuite ? On n’a jamais en tête un grand thème, une grande histoire à raconter. On écrit le texte une première fois et après c’est une question d’équilibre, de bidouillages et de réarrangements. Il faut que ça soit beau à regarder, à écouter, mais il faut que ça veuille dire quelque chose.
Au final votre intention c’est plus de créer beaucoup de mystère et une ambiance un peu mystique que de vouloir raconter une histoire avec des paroles.
Simon : En fait on part vraiment de la musique. Notre rencontre à nous s’est faite par la musique. L’écriture, c’est quelque chose qui est venu se greffer après. On peut dire que les points de départ sont souvent des esthétiques soniques. On assemble des sons, ça nous amène quelque part et puis à un moment on sent qu’il y a une ambiance, on a envie d’apporter une voix, on a envie de raconter quelque chose. Mais en général, l’impulsion de départ c’est souvent…
Un son, un arpeggio ?
S : Ça peut être des points de départs très différents en fonction des morceaux, ça peut être une séquence rythmique, ou un instrument qu’on a envie d’utiliser.
Est-ce que vous vous êtes posés la question d’écrire une histoire, de tisser une cohérence entre les morceaux ou est-ce que vous avez produit les morceaux un à un et fabriqué une histoire à posteriori ?
S: Assez tôt, on s’est mis en tête l’idée du processus de faire un album. On avait pleins d’idées de projets un peu éparpillées, qu’on avait commencés dans des contextes assez différents et assez éloignés dans le temps. Comme c’est notre premier album, il y a des idées qu’on avait effectivement en tête depuis un moment. Mais très tôt on a essayé de penser à ça comme un ensemble, raconter quelque chose de cohérent.
P: Là où c’est particulier, c’est que jusqu’à maintenant on a toujours eu une espèce de temporalité où on sortait des choses unes à unes et avec pas mal d’espace. On s’est lancé dans l’album car c’était assez excitant de proposer quelque chose de long, c’est un défi. Pour répondre à ta question, on a fait les morceaux un par un, mais en se posant la question de s’ils étaient cohérents entre eux. Il y a pas mal de matière du disque qu’on a commencé il y a presque trois ans, comme il y a des titres qui sont venus s’ajouter à la dernière seconde. Le morceau qui ouvre le disque est le plus ancien et c’est aussi celui qu’on a le plus retravaillé, jusqu’à la toute dernière minute. On voulait que tout ça soit cohérent sans être trop similaire.
Le fait d’être passé d’un label indépendant à une structure plus grosse, c’est aussi apprendre à gérer une nouvelle forme de calendrier ?
P: C’est surtout une question de culture. Nous on vient de la musique électronique, d’un petit label de musique électronique aux US qui est Beats In Space, pour qui le fait de faire de la musique électronique avec du chant français avait quelque chose d’exotique, de pas forcément interprété comme une démarche pop. Alors que pour nous la démarche pop, c’est quelque chose qu’on a eu en tête très tôt. Et ici la compréhension de notre projet est très différente, on a cette espèce de double culture où ailleurs dans le monde, les gens voient notre projet comme de la musique électronique un peu bizarre avec du chant français. En France, les gens l’interprètent de manière plus classique.
P: On s’est rendu compte que pour nous la musique électronique, purement la production, les sons, tout ça, ça n’arrivait pas vraiment à être une fin en soi pour nous. La musique électronique c’est notre culture, c’est quelque chose qu’on maitrise et c’est notre moyen de mettre en valeurs, mettre en musique nos chansons.
Être dans un endroit inqualifiable, c’est ce que vous recherchez ?
P: C’est à la fois hyper excitant et une zone de confort énorme car tu fais ce que tu veux. On parlait de chanson, le concept de chanson est un territoire de liberté absolue, à partir du moment où on a commencé à faire des chansons, que ça chante, on fait vraiment ce qu’on veut en terme de musique. Si on était cantonné à un type de production, de style, ce serait beaucoup plus compliqué.
Vous pourriez explorer d’autres genres un peu à la frontière du vôtre, par exemple tenter des chansons sur de l’ambient ?
P: C’est un de nos styles de musique préféré. C’est marrant, il n’y a pas longtemps on parlait avec des gens qui nous disaient ressentir l’influence de l’ambient dans notre son. C’est un truc qui nous touche là-dedans, c’est le fait que les suites harmoniques prennent vraiment leur temps. Nos accords ne sont pas très saccadés, c’est un truc qui prend son temps… Dans l’ascenseur on se disait tout à l’heure qu’il faut pas qu’on oublie le mariage qui a fait aussi que les gens s’intéressent à nous, et qu’on aime aussi. Il faut trouver des équilibres.
C’est vrai qu’harmoniquement vous êtes surtout du coup sur des accords en mineur.
P: Là on est en train de faire des morceaux qui sont un peu plus rouges. J’ai ce truc où je divise la musique en bleu et rouge. Bleu au sens traditionnel, « feeling blue », la mélancolie qui penche du côté de la tristesse, et après tu as la mélancolie qui penche du côté de « va falloir vivre avec ».
Maintenant que vous avez fini l’album, est-ce que vous êtes dans l’angoisse de l’après ?
S: Ce qui est sûr c’est qu’après avoir vu tout ce que ça demandait de faire un album, on va avoir envie de s’éparpiller sur d’autres petites choses. Des projets, des morceaux qui vont sortir juste comme ça, mais on prendra le temps d’essayer de conceptualiser une autre idée, différente.
P: Ce disque, c’est une capsule de Paradis du jour zéro à maintenant, avec un univers assez ciblé. C’est une période de notre vie avec le parcours qu’on a eu. Pour faire un autre disque il faudra d’abord vivre d’autres trucs.
Intimité
S : La principale motivation, c’est de réussir à faire un morceau qui arrive à nous plaire à tous les deux, et c’est très compliqué.
P: Et qui arrive à nous plaire longtemps aussi ! Mais déjà quelque chose qui arrive à nous plaire à tous les deux, c’est sport.
S: Initialement c’était la première motivation, de faire un truc qui nous plaise vraiment. Je pense qu’il ne faut pas le perdre.
P: S’il y a un thème que l’album aborde, c’est la question de la dualité. On s’est rendu compte avec le temps qu’on n’avait pas les mêmes approches et les mêmes visions de la musique.
C’est de là que naissent les choses plus improbables. Il y a ce moment où quand on tombe d’accord avec Simon, on se dit qu’on tient quelque chose de fort.
Du coup dans le travail en studio c’est quelque chose qui s’accorde facilement ?
P: Ça dépend, il y a des mois où ça peut être très dur, et d’autres où c’est génial, super facile.
Est-ce que ça ressemble à une relation de couple ?
P: Complètement ! (rires) Mais dans laquelle t’as aussi mis ton boulot ! Donc c’est un peu particulier. C’est hyper fort, je suis hyper heureux de vivre un truc comme ça dans ma vie.
S: Non pour moi c’est plutôt relou (rires)
Est-ce qu’avec ce projet, vous ressentez parfois un sentiment de mise à nu ?
S: On est très pudique.
P: Mais dans la pudeur il y a un truc un peu égoïste, un peu individualiste. On se crée un truc pour nous, et quand il faut le partager avec les autres ça devient compliqué. Quand j’étais ado ce que j’aimais le plus dans les soirées, c’était de ne pas avoir à danser ni draguer des meufs, juste être avec un câble jack et mon iPod à passer des morceaux. J’aime bien le moment où ce truc-là devient un partage.
Le public
P : Ce qu’on aime, c’est la capacité des gens à avoir leur propre interprétation des choses. Je sais que c’est peut-être une approche assez banale, mais on aime bien qu’une phrase puisse avoir plusieurs interprétations possibles, que ce ne soit pas super clair, qu’on puisse à la fois parler d’une personne, d’un sentiment…
S : D’un homme ou d’une femme.
P : Les paroles du disque ne sont jamais genrées. C’est toujours du « tu/je », pas du « il/elle ». On a essayé de faire un disque qui est très identifiable, que les gens peuvent s’approprier.
Vous n’avez pas peur qu’en France les gens vous mettent dans la case chanson française ?
P: Je pense que c’est normal que les gens aient leurs filtres, leurs cultures, et qu’ils interprètent comme ils veulent. Pour nous, le principal c’est qu’il y ait des gens à qui ça plaise. Qu’ils le voient comme un truc spécialisé ou un truc pop, c’est vraiment ouvert.
Du coup quand vous allez défendre le live en France, vous allez le défendre en tant que chanson pop française ?
P: Je pense qu’on le défendra partout pareil. Ce sera un live de musique électronique et plus.
S: C’est un live de chanson électronique. L’idée ça va être de présenter le projet tel qu’on le voit, de le partager exactement de la même façon.
La scène
Comment vous avez organisé votre set-up sur scène ?
P: En fait, on emmène tous nos synthés avec nous. On est trois maintenant sur scène, on a un copain qui joue avec nous les parties harmoniques. Au début, on a commencé avec un live qui était hyper improvisé, où on faisait tout au feeling.
La raison pour laquelle le live met du temps à se conceptualiser, c’est qu’en studio on a ce truc où on peut retoucher jusqu’à la dernière minute. Une fois que c’est prêt ça ne bougera plus, les morceaux qu’on a sortis seront toujours les mêmes. Alors qu’avec le live, il y a une espèce d’éternelle insatisfaction…
S: Délivrer instantanément…
P: C’est une situation où tu dois partager le moment avec le public.
Vous sentez que vous arrivez de plus en plus à entrer en connexion avec le public et à créer une intimité ?
P: C’était très particulier au début, parce que cette connexion est en fait complément fantasmée : on fait de la musique, les gens prennent leurs kifs tout seuls ou entre eux.
C’est un peu tôt pour avoir ce genre de pensées, mais est-ce que vos premiers lives commencent à affecter votre façon d’écrire et d’être en studio ?
S: Ça a beaucoup apporté à la production. Il y a des choses dans le chant qu’on faisait dans des conditions de studio mais qui sont très difficiles à reproduire en live. Ça fait réfléchir à la façon d’écrire et de donner du rythme dans nos chansons.
P: Pour que tout soit le plus organique et le plus naturel possible.
Vous vous sentez complètement libres ?
P: Il y a quelque chose d’hyper dur qui tient de la confiance en soi. Quand on a commencé à faire de la musique et qu’on a fait nos premiers morceaux, il n’y avait pas de public, on les a fait parce que ça nous plaisait, et c’est hyper important de garder cette idée à l’esprit. C’est un peu horrible de dire ça, désolé le public ! Mais sinon tu ne fais pas les choses pour les bonnes raisons. Le seul truc qu’on se dit de temps en temps c’est « est-ce que c’est Paradis ? ».
Vous avez peur de vous planter littéralement ?
S: On est tellement parti d’un truc improvisé avec des machines qui n’étaient pas fiable du tout, on a pris des risques au début.
P: Parfois tu dois faire une croix sur certains trucs techniques ou esthétiques pour que le résultat soit bon. Sur les boîtes à rythmes, quand la 909 peut se vider après 10 minutes de concert avec tous tes morceaux dedans, tu ne peux pas te permettre. Donc tu la re-samples pour faire les choses biens.
S: On a eu des machines qui se sont vidées juste avant des concerts, donc on commence à faire gaffe à ça. Mais l’idée c’est de construire quelque chose sur lequel on peut arriver sur scène et se dire qu’on peut juste s’exprimer et que le reste va tourner.
Vous êtes dans quel état d’esprit dans vos DJ sets ?
P: La fête.
S: Freestyle !
P: « Fiesta freestyle » (rires). Au début on se prenait pas mal la tête, maintenant on se rend compte que les DJs sets c’est vraiment pour rigoler, ça doit rester marrant. Donc on se permet de jouer vraiment tout ce qu’on veut et…
S: Et de mélanger pleins de genres.
Est-ce que vous vous sentez obligés de jouer vos morceaux ?
S: Voilà un moment auquel on pense à l’attente des fans.
P: Et là le public, il est devant toi. Tu ne peux pas ne pas y penser. Il est là en train de te dire : « Joue ton morceau ! » (tapant du poing sur la table). C’est ça qui nous a donné envie de faire du live.
Vous allez chercher une énergie différente entre le DJ set et le live ?
S : Quand on joue en DJ on a tendance à taper un peu plus. Quand on joue notre musique en live, on a envie d’étirer un peu plus du côté mélodieux.
P: Pour nous la musique est une histoire de contexte. Quand on fait un morceau, l’idéal c’est que les gens puissent se l’approprier dans des contextes différents, que ce soit seuls chez eux ou en club. Le live, c’est pour nous un moment plus tendu.
Le DJ set, c’est plus relaxant car tu passes les disques et il faut “juste” que ça fasse sens. Il faut que ce soit cool et cohérent, mais ce n’est pas ta musique.
Je suppose que vous avez une grosse culture musicale, est-ce que vous continuez à digger ?
S: C’est un puits sans fond !
P: C’est génial. Je ne vais pas le cacher, tous les deux on n’a pas tellement peur de la panne d’inspiration. Il y a des moments où c’est plus compliqué, mais dans l’absolu, on n’a pas peur de ça. Le fait qu’il y ait des milliards de morceaux qu’on a jamais entendus, c’est un terrain de jeu plus que kiffant pour nous.
Vous entendez un album ou une idée qui vous marque, et vous essayez de transposer ?
P: C’est plutôt des démarches dont on essaie de s’inspirer. Pas vraiment du son. On ne va jamais se dire « on veut ce son-là». Par exemple pour les guitares, ce sera toute la scène des Connan Mockasin et affiliés, ou un groupe un peu plus ancien des années 80, qui s’appelle Durutti Column et qui était sur Factory Records, le label de New Order. New Order aussi tiens, pour les guitares. Parfois ça peut être cool d’avoir une référence hyper abusée dans un morceau.