Nuits Sonores, ce festival défricheur, détonateur, métamorphose la ville de Lyon pendant cinq jours à chaque pont de l’Ascension. Cette année, le festival s’est étendu encore plus loin et plus fort dans la ville, développant ses tentacules dans ses lieux ambassadeurs, la Sucrière et les Usines Fagor-Brant mais aussi ses nouvelles institutions, la Piscine et le H7.
Sans chauffeur privé à chaque coin de rue, il était difficile d’être présent sur chaque événement du festival qui s’étale aujourd’hui partout, on s’est donc octroyé quelques pauses pour se concentrer sur ce qui fait son ADN globale. Chaque scène avait son style bien précis d’artistes, et on a vite compris quels étaient nos dancefloors préférés.Qui veut un Sucre ?
Aux Days, c’est au Sucre qu’on pouvait écouter du live, se reposer les tympans et défouler les corps sainement. On s’est laissé surprendre par un Djrum romantique qui s’est octroyé le luxe d’un assemblage violon et voix, par le concert énergique et transchamanique de Nu Guinea et celui du Mauskovic Dance Band.
L’esplanade extérieure s’est refaite une beauté, la scène a pris de l’ampleur et devient plus supportable sous cette chaleur, pour notre plus grand bonheur. La sélection s’est aussi surélevée pour proposer des artistes aux sacs de vinyles toujours bien fournis, qui ont ravi nos déhanchés boogies : Geolo-gy, Glenn Underground et Alexander Nut.
À l’intérieur de la Sucrière, la salle 1930 descend d’un étage par rapport à l’année dernière, moins de puissance mais plus d’équilibre sur l’ensemble du lieu. Les curateurs y clôturent leur journée en beauté : Bonobo avec un set funky et Peggy Gou sur une note techno. Surprenant pour la productrice qui nous a habitué à des balades de house joyeuses et légères, mais bien amené après le set de Ben UFO toujours aussi efficace.C’est EXTRA
Tout lyonnais qui se respecte ne passe pas à côté des Extras du festival, et notre place préférée fut transformée en terrain de baby foot géant le temps d’une journée : Place Sathonay, lieu incontournable des lyonnais; débordante de gens, de chaleur et de bière. Un petit détour chez le disquaire Chez Émile pour y voir Jennifer Cardini pour un set intimiste en vitrine nous a aussi fait le plus grand bien. Samedi, c’était le plateau du Gros Caillou qui était aux couleurs de la global beat, avec la leadeuse du collectif Wicked Girls Dj Carie et les Voilaaa Soundsystem, une mise au vert nécessaire quand les acouphènes résonnent encore à 16h. Enfin, les copains des Halles Faubourg ont inauguré leur scène extérieure montée spécialement pour l’occasion dimanche, avec un line up très déjanté, entre limbo session de Limbololo Soundsystem et dark dancehall de Beurette Sentimentale.Halle inclusive : la chaîne nationale
Le coeur du festival reste bien sûr les nuits, dans le décor de warehouse tant apprécié des raveurs. Et la rave était bien au rendez-vous sur les quatre nuits, il n’y avait de disco que la boule réfléchissante, qui pouvait aussi facilement donner la nausée aux raveurs un peu trop chargés.
La Halle 1 a fait son défilé de têtes d’affiches, entre déception, confirmation et surtout beaucoup d’humains compactés. Le concert très attendu de James Blake était un écrin de beauté et de volupté, on était déjà fan de son nouvel album, et c’est une invitation au replay qu’on a reçu. Le live de Richie Hawtin toujours aussi excellent, déjà vu aux Eurockeennes l’année dernière, a pris une autre intensité ici, comme renouvelé et plus aiguisé. Le très attendu Mall Grab nous a valu une déception, son virage dark assez brouillon ne lui réussissant pas.
On a vu pour la première fois Sama, la complexité de son set est intéressante mais la puissance prend le dessus et nous perd. Jon Hopkins a mal vieilli et s’est cru à Coachella avec des danseurs aux LED enflammées sur scène, tandis que même Laurent Garnier a perdu en saveur après 15 années de fidèle service sur le festival lyonnais. Le dernier soir, on constate que Charlotte Gainsbourg n’a toujours pas trouvé sa voix/e, tandis que Jayda G arbore fièrement sa funk imbibée de gospel. Elle passe ensuite la main à Black Madonna pour un show musicalement rincé mais avec un bel hommage à la scène queer, invitant les Garçons Sauvages sur scène pour des performances de danse et une revendication de liberté des corps et des genres.
Halle inclusive : la chaîne Youtube
La scénographie de la scène Boiler Room était épatante, des tiges de lumières nous tombaient sur la tête, telle une pluie de néons s’abbatant sur la terre. Un décor magique pour des sets énergiques. La première nuit était très sombre, avec un live habité par les démons de 3Phaz suivis par Mala, violence pour le meilleur et pour le pire. Vendredi, c’est le Camion Bazar qui fait planer l’amour en ballon, avec le jeu de drums impeccable de Romain, la foule est transportée, comme surélevée. La justesse du set de Barbara Boeing nous intrigue mais manque un peu d’énergie pour un closing. C’est samedi que cette scène nous fera un bel effet, avec le duo de coldwave new generation Nova Materia et le B2B de très haut niveau techno-disco entre Jennifer Cardini et Lokier.
Halle inclusive : la chaîne censurée
La meilleure scène musicalement chaque nuit, selon nous, c’était la Halle 2. À chaque passage, on était comblé, emporté dans un élan de musique comme on les aime, intense, puissant, enivrant… Mais pourtant ce fut un peu la scène oubliée. Aucune scénographie présente, les lights clignotaient de façon si insupportable qu’il était impossible de garder la tête haute, et enfin, elle était quasi tout le temps vide. Un constat un peu triste qui souligne le déséquilibre de la programmation des Nuits, et/ou un changement sur la population qui les fréquente.
On en gardera pourtant un souvenir démentiel lors du closing de la Nuit 1 avec I Hate Models. Le français s’avère toujours très efficace, maniant les transitions à la perfection, et maîtrisant sa montée en puissance. On se souviendra aussi du retour inattendu de Marcel Dettman, un set de grande classe, explorant la richesse et la diversité de la techno allemande. Le duo Volvox et Umfang aura fini de nous convaincre dans leur épopée interstellaire, un échange généreux et audacieux, un peu plus près des étoiles.
Enfin, samedi, on a repris des points de vie devant le concert afro-disiaque de Nihiloxica, une explosion d’énergie et de saveur rythmée par les percussions en trans. Puis c’est un set hybride entre modulaire et digital que Palmbomen II et Betonkust nous offrent généreusement, un océan de synthétiseurs malmené par deux sosies blond aux cheveux longs et au head bang démentiel. Enfin, on finit avec l’australienne Haai, maîtrisant ses kicks et ses claps avec dextérité. Et on a eu raison de rester. Clôturer la Nuit 4 avec 50 personnes autour de soi, c’est bien la première fois que ca nous arrive, mais on ne regrette vraiment pas notre choix.
Plus de soleil humain, moins de zombies
Nuits Sonores assoie sa place de plus grand festival de musique électronique français cette année, avec un élargissement de la fréquentation notable, de la programmation, des lieux, et des scènes. Il étend ses tentacules dans la ville de Lyon, empreignant le moindre passant d’un sac ou d’un gobelet à son effigie. Et si l’éloignement des lieux et les horaires chevauchés peuvent nous empêcher de profiter pleinement, la magie opère parfois sur les scènes les moins attendues là où des déceptions se font sur les plus évidentes.
L’année prochaine on privilégiera les rayons de soleil humains et la découverte, la scène locale qui se démène pour offrir des extras terribles et décalés, parfois plus appréciables que les DJs superstars dépassant les honoraires de l’acceptable.
Crédit photos : Benjamin Puddu