Electrisation de la nuit lyonnaise. La ville semble connaître un nouveau souffle cette année, de grands changements s’étant opérés dans le spectre nocturne. L’offre de clubs et le nombre d’organisateurs de soirées semble ne jamais arriver à maturité, les lieux se métamorphosent et se diversifient, les organisateurs cherchent de nouveaux terrains de jeu. Les soirées Immersions, organisées par Koud’Pokr font parties de ces évènements éphémères et uniques, où le nombre ne fait pas la force. Capacité limitée, ambiance intimiste, un artiste qui hésite pas à y rallonger son set d’une ou deux heures… Le charme a vite opéré. On a rencontré Tristan et Victor, les fondateurs de ce nouveau collectif lyonnais.

La naissance des soirées Immersions

“On sort depuis longtemps, on a participé à plein de soirées, évènements, festivals en France et à l’étranger. L’envie d’organiser notre propre événement a toujours été là. Victor a contacté le propriétaire du Menestrel, un club de musique afrobeat juste en dessous de chez lui, pour envisager la naissance d’une soirée. Le club venait d’être rénové avec un système son de bonne qualité. »

Un club tout neuf avec une capacité de 100 personnes, idéal pour se lancer dans l’organisation d’évènements sans prendre trop de risques. La première Immersion restera dans un cadre familial puisque les DJs n’étaient autres que leurs cousins, et le public une majorité de copains : “Quand on s’est rendu compte que même du monde en dehors de notre réseau est venu, cela nous a donné envie de recommencer avec un vrai guest. » Le ton est donné, la machine Immersion lancée.

Le package Koud’Pokr : Air Bnb, Côtes du Rhône et plus si affinités

“On voulait se faire plaisir: on a proposé des artistes qu’on a chinés nous-mêmes en regardant des Boiler Room ou des sets de festivals, on a pas prétention à faire de l’argent, on veut juste arriver à se rembourser et passer une bonne soirée. »

Les soirées s’alternent entre set house et set techno. Tristan et Victor ne lâchent rien et prônent la proximité avec l’artiste. Ils ont commencé par contacter les DJs directement sur Facebook, comme Danny Fontana, premier guest des Immersions. Bien souvent, leur accueil personnalisé et leurs petites attentions ont permis de créer un lien privilégié avec l’artiste. C’est le cas notamment de L’Atelier, qui a fait sa première date en France à leurs côtés.

À défaut d’avoir la renommée, Tristan et Victor jouent sur une approche très directe et amicale : “On se présente sans prétention, on donne un petit cachet mais on leur offre un service, une découverte de Lyon. Quand on présentait le concept, les DJs étaient toujours partants. Leur emploi du temps était la seule raison de leur indisponibilité. On a pas envie de faire des events à la chaîne en mode usine, il faut que ça reste un plaisir. »

Et c’est ainsi que les deux copains ont convaincu Phutek, le protégé de Carl Cox ou encore SE62 du label My Love is Underground.

Sauter le grand pas et organiser un festival

Avec le réseau qu’on s’est fait sur Immersion, on a été contacté par Charles du Distrikt 12. Il est à l’origine du projet Evasion, un festival qui a eu lieu cet été à Miribel» Le festival Evasion, avec ses airs de beach party façon Dimensions, était une grande première à Lyon. Le lieu ? Une plage privée en plein milieu du parc de Miribel. Un cadre idéal pour les photos, mais un casse-tête logistique complet.

“On s’est regroupé en 4 associations : Topapéro, Distrikt, Konnectik et nous, Koud’Pokr. On avait quatre mois pour monter le festival Evasion, c’était de la folie. Avec une moyenne d’âge très jeune, et peu d’expérience dans le domaine c’était un vrai défi. L’appui d’un des barons de la nuit lyonnaise, Nicolas Laborderie (co-gérant du Terminal), fut précieux. »

Le festival a fait preuve d’un professionnalisme accru et d’une gestion dernière minute sans relâche. Evasion rappelle un peu la démarche du Macki Music Festival : des organisateurs locaux, un lieu de détente avec transats et foodtruck, un format de jour 14h-2h, un line-up au style large et progressif. Le pari est gagné pour nos amateurs de poker. La deuxième édition est d’ailleurs déjà en préparation, avec une patte artistique plus marquée, mais toujours éclectique : “On aime la musique parce qu’elle est bonne, on a pas vraiment de genre artistique. On aime à la fois la techno industrielle qu’on peut écouter lors des OFF dans les hangars, la trans au château perché à 6h du matin, la house disco… À l’image de Laurent Garnier qui joue des sets très divers, on aime jouer toutes nos cartes. »

Essayer d’apporter du renouveau dans l’évènementiel

Si le style de musique semble diversifié, les soirées Koud’Pokr se différencient sur un point précis, le sens du détail : “On se démarque par l’ambiance, le décor, on veut mettre l’accent sur l’aspect convivial et qualitatif.  Par exemple, au Ménestrel on refaisait toute la carte du bar, on créait nos shooters et un cocktail signature ‘Koud’Pokr’. On a inventé le concept du 5 à 7 : de 5 à 7 heures du matin tous les prix sont divisés par deux ! »

Leur imagination débordante s’exporte là où on ne les attend pas. À l’image du festival Château Perché qui offre une vraie expérience artistique, Victor et Tristan veulent surprendre et« tourner la page des soirées autoroutes où tu arrives, tu rentres dans la salle, tu écoutes le son, tu bois ta bière, tu sors fumer, tu re-rentres… Le souvenir est le même tous les week-ends. On essaye d’apporter du renouveau dans l’évènementiel. »

Le renouveau passe aussi par les lieux, le choix du jour et de l’heure de la soirée. Là où Paris pullule de collectif alternatifs qui envahissent squats, warehouses et parcs banlieusards, la soirée lyonnaise semble piétiner un peu.

La nuit se réinvente avec des formats nouveaux et de l’anti-clubbing

“On avait un projet pour organiser un format d’évènement le samedi après-midi de 14h à 2h vers l’île Barbe. On a pas donné suite car c’était compliqué à organiser, c’était trop tôt encore. Pour le moment on continue sur le format de nuit, mais c’est vrai que des changements sont en train de s’opérer : les autorités sont plus ouvertes, on a plus de possibilités.”

On constate en effet des mutations dans le format de soirée qui peu à peu devient diurne, et les lieux qui sortent du club traditionnel. Les soirées Seveso d’Uncivil Prod en sont un bon exemple : elles se font dans un lieu atypique, un théâtre dont la capacité est limitée à 200 personnes, avec une interdiction aux moins de 21 ans, à l’image d’Elektro System. Une mini rave a aussi vu le jour cet été : Beatigny, qui s’est organisée à la campagne avec une farandole de DJs lyonnais programmés. La qualité de la soirée commence à primer sur la quantité de préventes vendues. On peut aussi citer l’after TCL dans une friche industrielle, le Beats and Boat ou le Grrrnd Zero.

À Paris, les soirées en banlieue sont devenues la norme, avec une multiplication de lieux et d’évènements alternatifs. À Lyon, les soirées alternatives ont du mal à émerger. Pourquoi n’y a t-il pas le même état d’esprit ? “Organiser des soirées dans des lieux autre qu’un club, comme une warehouse, c’est risqué. On a eu le cas d’un festival parisien dans ancienne usine PSA annulé la veille par les autorités locales, ou encore une fête dans un parking souterrain annulé aussi. L’organisateur a beaucoup à perdre. Les gens sont frileux, ça ne rapporte pas beaucoup. »

“Notre génération commence à se délaisser des clubs, mais cela ne représente pas la majorité du public lyonnais. Un club offre une sécurité, que ce soit pour l’organisateur ou pour le public. À Lyon, il est difficile de pouvoir sortir de la ville car la banlieue est mal desservie. »

En effet, aller au Grrrnd Zero à Vaux-en-Velin,c’est aussi choisir d’attendre le premier métro de 5h ou de prendre un taxi qui va coûter cher. Pour beaucoup, c’est déjà un argument de non-retour. Mais tout est aussi une question de timing. Quand on prend l’exemple du Pearl, club-péniche sur les quais de Soane qui a été contrait de mettre la clé sous la porte, on s’en rend bien compte. Le club affichait des soirées différentes, des “Girls only” – un concept repris aujourd’hui, notamment par le Sucre – des têtes d’affiches comme Masomenos, Adam Port…  La boîte avait un format d’after et fermait tard, ce qui lui a valu d’être mis à mal par le voisinage, et fatalement contrainte de fermer. Aucun soutien des associations ou de l’industrie locale n’a été donné à ce lieu pourtant novateur. En 2011, la musique électronique n’avait pas autant de soutien et le terrain de jeu était bien plus étroit.

“En contrepartie, les clubs à Lyon se renouvellent régulièrement : la Plateforme revient sur le devant de la scène avec nous et le 01046. L’Ayers Boat propose des soirées électro avec Atypik, le NH Club et l’Annexe ont ouvert, l’ancien Box boys devient Lupercale et se reconvertit totalement pour des programmations électro, le Tata Mona réinvite des DJs. ». La soirée électro devient la majorité, se généralise et convertit des clubs qui avaient un tout autre public.

“Les clubs cela permet de faire vivre, de se faire une notoriété. On est quand même à l’affut de warehouse en friche, on a cherché des lieux un peu perdus comme ça. En se baladant dans des quartiers, on est tombé sur un site dingue, on a contacté le bailleur mais il ne nous a pas donné de nouvelles. Puis les Nuits Sonores ont annoncé leur futur lieu, et c’était celui-là ! »

Bulle économique et inflation de la vie nocturne

Le prix des soirées continue d’augmenter, parfois sans raison. “Le problème vient aussi des bookers, il est normal de payer une prestation de service auprès d’un DJ, mais parfois c’est démesuré. » Les artistes demandent des cachets de plus en plus élevés, ce qui contribue à une bulle économique de l’industrie de la musique électronique, où seuls quelques organisateurs peuvent se permettre d’inviter des têtes d’affiche. Le milieu ne s’avère rentable que pour ces quelques privilégiés.

Les prix des cachets d’artistes ne sont pas les mêmes quand t’es pas connu. En fonction de qui demande, le prix peut être complètement différent. La négociation avec les bookers est difficile, ils demandent la capacité du lieu, le prix des préventes, ils calculent vite notre budget et connaissent leur marge de manoeuvre. »

On constate également une élévation du prix des soirées en club. Il paraît presque impossible de dépenser moins de 10 euros aujourd’hui pour voir un artiste électronique. On pense notamment à la Jacob XXL à 31 euros, à la soirée Hors Série à 45 euros… Malgré tout, ces évènements sont sold-out car ils présentent un concept nouveau. Quid de Koud’Pokr ? “Nous on essaye de garder des prix corrects. Notre soirée avec Kenny Larkin à la Plateforme est à 10 euros en earlybirds.”

Le soucis de rentabilité empêche la diversification des têtes d’affiches

“On avait contacté deux artistes de labels pointus, deux frères qui jouaient ensemble. Le promoteur n’a pas voulu car ils avaient été bookés à Lyon il y a deux ans dans une soirée qui n’avait pas marché. Il est resté sur un échec donc il a mis son véto.”

La plupart des associations attendent que des artistes marchent pour les booker, elles ne veulent pas prendre de risque et restent d’abord dans une logique de rentabilité. Lorsqu’un artiste ou un style de soirées fonctionne, elles le reproduisent. Le public est parfois plus demandeur d’artistes emblématiques que de nouveautés – on pense notamment aux nombreuses venues de Laurent Garnier au Sucre, qui font toujours sold-out.

“Le fait de chiner des artistes, ça se récompense ensuite. On l’a vu avec L’Atelier : ils sont reconnaissants, ils essaient d’en faire plus avec nous. Ils veulent enregistrer un set sur une radio à Lyon, on leur a donné des contacts. On collabore avec eux dans les deux sens.”

l'atelier

La première soirée High & Dry a eu lieu à la Plateforme ce vendredi 28 octobre avec Kenny Larkin, L’Atelier et Jason du duo César & Jason. Retrouvez les prochains événements de Koud’Pokr sur leur page Facebook. On leur souhaite un bel avenir !