Octavian, Loud, Myth Syzer, Lolo Zouaï, Krisy ou DUCKWRTH. Signe distinctif : le hip-hop & le rap comme étendard. Localisation : Bruxelles, New York, Lille, Londres, Paris, Montréal. Entre concerts, conférences et installations, la nouvelle édition du festival des Inrocks réunit tous ces artistes le temps d’un week-end pour une internationale du hip-hop, gommant les frontières d’une pop totale.
Une internationale du hip-hop
Inutile de remonter toute la chronologie du hip-hop ou de sonder toutes ses facettes pour y déceler les éléments qui en font, en 2018, une musique globale. Bien plus que les autres genres, le hip-hop et le rap sont les moteurs d’une industrie rarement avare en tubes et jamais rassasiée en storytelling : éternels jeunes premiers, superstars en devenir, percées délirantes ou succès d’estime… Tous se côtoient dans une gigantesque arène où les influences, les idées, les envies et les obsessions de chacun ne sont plus uniques.
De Paris à New York, de Bruxelles à Montréal, les beatmakers / rappeurs / producteurs créent, non plus pour mettre sur la carte leur hood, dans un soucis de représentation ou de mise en lumière. Ils ne transforment plus leur quotidien en étendard pour leurs communauté seulement, mais diffusent bien au-delà des frontières. Et parviennent à toucher des personnes totalement étrangères à leurs références.
La faute non pas à une globalisation à marche forcée, mais plutôt une internationalisation du hip-hop. Loud, Octavian, Krisy, Lolo Zouaï, Myth Syzer ou DUCKWRTH : ils revendiquent tous une musique décomplexée, un hip-hop mutant où chacun infuse ses influences et ses fixettes. Mais de Paris à Londres, les sensations déployées sont les mêmes, si bien que les frontières sont peu de choses. Sur High Highs to Low Lows, Lolo Zouaï nous chante, en français et en anglais, son désespoir de réussir à vivre de sa musique. Dans le même temps, Loud savoure (enfin) son succès sur 56k, lui aussi dans les deux langues, après dix années de bons et loyaux services dans l’underground local.
Preuve s’il en fallait que le rap outre-atlantique n’a pas besoin de nous pour briller – « Paris, c’est loin sauf en 747 » nous lance Loud, pas rancunier mais référence à l’appui – atomisant tout les records pour un rappeur québécois. Quand à Lolo Zouaï, après quelques tracks auto-produites glanées sur YouTube, son featuring avec Myth Syzer, Austin Powers puis, son braquage du Blue d’Eiffel 65 ont fini de la mettre sur (notre) orbite.
Deux artistes avec un léger penchant pour une mélancolie douce : on décèle une inclinaison pour les mélodies entêtantes malgré elles, un goût pour l’auto-tune et pour la construction d’un personnage. Les deux semblent jouer à cache-cache avec leur véritable identité, reprenant ainsi les codes d’un underground connecté qui lorgne sur le succès. Brouiller les pistes entre ces deux mondes, entre mystère & m’as-tu vu, pour deux artistes que tout oppose – du moins, au premier coup d’oeil.
DUCKWRTH, Octavian et Krisy, seconds couteaux devenus grands
L’underground, DUCKWRTH en est sorti bien vite. Après deux mixtapes déjà respectées, Ducktape & Taxfree V1, il triomphe en 2016 avec son premier LP, I’M UUGLY. Très marqué par Odd Future et les productions californiennes d’alors, son projet jète tout de même des ponts vers le rock, une certaine attitude punk, mais aussi vers la soul et le groove. Énergie qu’il utilise avec plus de subtilité sur son projet suivant, an XTRA UUGLY Mixtape : compilation hétéroclite de démos érigée en album à part entière, il y démontre tout son talent, aussi brut que solaire.
Un talent éclaté et éclatant que l’on retrouve chez Octavian, un anglais officiellement validé par Drake – cela ne court pas les rues. Son dernier LP, SPACEMAN (ndlr: il va falloir arrêter avec les majuscules, c’est épuisant) –tape dans toutes les directions. R&B 3.0, future beats que ne renierait pas Lone, trap douceâtre et longues plages vaporeuses, il coche toutes les cases avec brio. Sur un flow anglais pur jus, entre un Wiley apaisé et un Stormzy au réveil, Octavian se paie même un remix par Ross From Friends.
Nous sommes en 2018 : comment ignorer Bruxelles, ses scènes, ses rappeurs, ses producteurs dans un hip-hop global ? Nouveau poncif musical, parler de BX est devenu obligatoire, pour le meilleur et pour le pire. Heureusement, Krisy l’évite sans peine, le pire. Également producteur sous le nom de De La Fuentes pour entre autres Damso, et avec trois EP et un LP à son actif : il est sur la brèche, prêt à bondir sur les Caballero et JeanJass pour leur ravir leur place. Tour à tour romantique sur sa session Colors avec Julio et Sa Gogo Danseuse et rentre-dedans sur Nice ou Je Roule, Lord Krisy n’a pas volé son titre. Un hip-hop lui aussi hors-frontière, que l’on pourra découvrir sur scène avec tous les autres, comme une grande famille qui ne se serait jamais croisée.
Crédit photo © Antoine Laurent