De la noise à la bedroom pop, le Syndicat des Scorpions sublime le penchant du Nord-Est de la France pour les synthés lo-fi et les sons métalliques.

Quand, au détour d’une errance sur les ondes de LYL Radio, on tombe sur ce nom, le réflexe est de s’y arrêter et d’essayer d’en comprendre le sens caché. Tentative de réhabilitation d’un signe astro ? Révolte des arachnides piquants ? Rien de tout ça. Il s’agit en réalité d’un label de Metz qui, en plus de remporter la palme du nom le plus cool qui soit, fait la part belle aux groupes undergrounds de l’Est de la France. Et ce nom qui interpelle se trouve être une référence au court-métrage 2084 de Chris Marker :

« L’hypothèse grise, c’est l’hypothèse crise. Une crise dont on ne sort pas … Quand on a besoin de toute son énergie pour se maintenir à flot, il n’en reste guère pour inventer l’avenir … Il y aura peut-être un Syndicat des Scorpions puisqu’on prétend qu’ils survivront à la bombe. »

« L’hypothèse grise ». Dans un monde qui flaire bon l’apocalypse, le Syndicat des Scorpions affiche la couleur. Fondé et géré par Nicolas Niziolek, le label s’inscrit dans la tradition des années post-punk du Grand Est – une région peu soulignée pour son attrait pour les musiques souterraines, mais qui regorge pourtant d’initiatives locales dans le domaine. À commencer par le spectre de la scène de Nancy des années 80 et de groupes comme Kas Product, mais aussi de lieux comme le confidentiel Diamant d’Or (dont l’emplacement se situerait quelque part dans les confins de Strasbourg) et de projets comme La Grande Triple Alliance Internationale de l’Est, le pacte avec le diable noué entre Metz (Noir Boy George, Scorpion Violente, Plastobéton) et Strasbourg (Delacave, Le Chômage).

Le Syndicat des Scorpions verse donc dans cette nébuleuse de musiques à synthés difficiles à cloisonner en genres, mais dont on pourrait pointer les extrêmes au shoegaze doux et à la noise hurlante.

Mais là où l’exubérance de la culture populaire des 80’s a crée le pendant sombre qui influence le label aujourd’hui, le lugubre des années 10-20 semble donner lieu à un besoin d’éclaircie. C’est la ligne de funambule sur laquelle tangue le Syndicat, oscillant entre le noir de ses influences et la lumière que l’époque cherche à retrouver. L’hypothèse grise, ce serait peut-être aussi celle de ne pas choisir.

Le côté noir, on le retrouve en tout cas explicitement sur la devanture : des albums aux noms comme La Mort en Vue Subjective d’ASS, Valse à Satan de TAENIA, On Va Crever de Christophe Clébart mais aussi les noms des groupes Violent Quand On Aime et Désir de Mort. Pour ce qui est de la lumière, elle va se loger dans la candeur très 80’s des synthés, dans leurs notes les plus juvéniles chez Regis Turner, ou dans leurs mélodies douces chez Capelo et Chambre. Bref en 2020, le nihilisme sent fort la nostalgie du temps passé, et choisit de sortir les synthés plutôt que les violons pour nous le faire savoir.

Et puisqu’on parle de candeur, abordons-en une chère aux artistes cold/new/no wave indistinctement : celles de paroles tellement à vifs ou naïves qu’elles détonnent et détournent la brutalité du premier degré énoncé par les mots. Là aussi le label fait honneur à la tradition : on pourra citer pour exemple Suicide de Désir de Mort (Suicide x6 / Pourquoi m’as-tu fait mal / Pourquoi m’as tu abandonné / Alors que tu me disais que tu m’aimais / J’ai envie de crever), ou tout l’album Mimosa de Scarlatine.

Mais contrairement aux apparences, on trouve aussi de la mélanine chez certains artistes qui renvoient de prime abord une toute autre image. Le chant exalté de TAENIA sur Morgen, l’envolée de guitares de TG Gondard sur Où êtes-vous mes chéris, et même certains passages de La Mort en Vue Subjective d’ASS semblent tous lever la tête vers le ciel pour essayer d’y trouver un résidu de divin.

Parmi les autre sorties notables du Syndicat, on relève le second EP des Violent Quand On Aime qui s’envoleront ensuite au nord chez les hollandais de Knekelhuis, et on coche la case lo-fi crasseuse avec un album live de Charnier enregistré à l’Embobineuse à Marseille. Mais les sorties les plus emblématiques du label restent celles du duo Nina Harker, groupe totem qui à lui seul résume tout la palette des possibles du Syndicat des Scorpions : des dissonances, de l’expérimentation, partir de l’ancien pour créer du nouveau.

Les mixes du Syndicat qui sortent chaque mois sur LYL Radio oscillent de la même manière entre douceur et tension, avec comme fil conducteur ce penchant de rêveur libertaire nageant dans la dystopie du présent. Mais ils opèrent avec une prise de vue plus distanciée, une grippe moins ferme sur le réel : il y a une nostalgie dans ces mixes qui touche au temps perdu, à un certain état de léthargie. Comme une forme d’abandon qui tient ce constat de la défaite, celui d’un effondrement résigné. Avec une légère étincelle d’espoir et un besoin de continuer de rêver d’impossible, le mix se déroule en laissant la place au corps instrumental qui déploie tout son contemplatif.

Et pour illustrer cette musique qui s’écrit au passé, on pourrait bien laisser le dernier mot à l’hypothèse grise de Chris Marker : « Parce que la nostalgie du passé est bien pratique pour occuper la place de cette nostalgie de l’avenir, qu’en d’autres temps on baptisait révolution. »

Retrouvez toutes les sorties du Syndicat des Scorpions sur leur Bandcamp.

À lire aussi : Champ Döner est mort, vive Champ Döner