Naviguant dans le hip-hop depuis une poignée d’années, alignant les prods sans jamais vraiment sortir de projet – alors qu’il a déjà plusieurs Boiler Room derrière lui -, Kutmah a enfin remédié au problème en dévoilant TROBBB!. Sorti en août dernier, TROBBB! est un album de 26 titres tumultueux, s’enchaînant à la manière d’un étourdissant voyage pysché, sombre et abstrait.

L’histoire de Justin McNulty aka Kutmah est des plus singulières et lui a fournie de la matière pour ce premier long-format officiel. Né à Brighton d’une mère égyptienne et d’un père écossais, il déménage aux USA à 12 ans et grandit à L.A., où il fera face à un certain nombre de discriminations. À l’école, ses camarades le surnomment « Black Belly Button » en référence à sa couleur de peau lorsqu’il revient de ses vacances d’été, où il rend visite à sa famille en Egypte. Un surnom raciste qui lui collera à la peau, au point de le réutiliser plus tard pour l’exorciser à travers ses productions.

En 2004, il commence à travailler derrière les platines et anime des soirées assez inédites à L.A. à cette époque, avec des battles de hip-hop et une jolie ribambelle de beatmakers talentueux. Mais en 2010 l’artiste est expulsé des Etats-Unis après avoir passé trois mois dans un centre de détention au Nouveau-Mexique. Il arrive au Royaume-Uni, séjourne à Manchester et Londres, avant de s’envoler vers Berlin où il réside encore à ce jour.

Récit de ses voyages faits de gré ou de force, de son passé et de ses différentes expériences comme curateur, DJ et producteur, ce disque est également la B.O d’un film, celui de sa propre histoire. Derrière TROBBB!, cette abréviation obscure qui nomme l’album, se cache en effet le titre revanchard « The Revenge Of Black Belly Button! », en référence à son surnom de jeunesse tant détesté.

Une chose est sûre, ses nouveaux camarades de jeu ne viennent pas du même terrain et s’intègrent à merveille dans l’album, notamment pour ses collaborations avec Gonsajufi, Jonwayne, Sach et Jeremiah Jae. Les morceaux s’articulent entre eux dans une sorte de spirale psychédélique, tribale et aérienne, avec de véritables fulgurances comme L.A Memories, Bury Me By The River ou encore Scorch 4 The Pheonix. À de nombreuses reprises mais plus particulièrement sur la deuxième partie de l’album, Kutmah s’autorise des saillies expérimentales, comme le jazz mystique de E2 7RW ou le drone hanté de Strangetown.

Le disque est à la fois très complet et dense, ce qui le rend difficile à aborder en quelques lignes. Les titres s’enchaînent et dessinent les contours d’un seul et même paysage sonore, riche et homogène, qu’il convient d’écouter sans coupure, afin de pénétrer de plein pied dans l’imaginaire de Kutmah. Et dès lors qu’on apprécie l’univers de l’artiste, la variété des instrus permettra forcément de trouver des morceaux qui collent à la peau, même si l’ensemble manifeste parfois quelques faiblesses.

L’album est paru chez Big Data, écurie où l’on trouve les Young Fathers, Roots Manuva ou encore Run The Jewels. Sa pochette est une photographie ayant survécu à un incendie de sa maison en 2007, détruisant la plupart de ses biens. Elle est le souvenir d’une amie de lycée (et plus si affinités) et l’un des seuls biens à avoir survécu aux flammes. L’afficher sur son premier album résonne pour Kutmah comme le testament d’une époque révolue, qui hante les notes de ce disque. Personnel et introspectif, sincère et inventif, on pourra accoler de nombreux adjectifs à cet album, qui retentit comme la plus réussie des vengeances.