Duo synthétique et global, Ko Shin Moon applique à sa musique un métissage des genres, des époques et des envies qui sonne comme une discothèque idéale et sans frontière. Sur leur dernier EP Miniatures, ils invitent des musicien.nes et artistes d’horizons qui semblent différents pour certains mais qui, à bien y regarder, ont bien des choses en commun.

Jazz libanais, psyché turque, funk indien, disco ghanéenne… Comment classer ces musiques d’ailleurs, qui sonnent pourtant presque comme les nôtres mais pas tout à fait ? Comment s’approcher de ces territoires musicaux ? Comment se les approprier aussi, lorsqu’ils nous parlent et que ces musiques nous font vibrer ? Est-ce même possible ? La réponse à la dernière question est oui et pour les autres, on vous laisse Ko Shin Moon, duo psyché-folk, y répondre. 

Pourquoi « Miniatures », pourquoi ce terme ?

C’est un jeu avec le mot. C’est d’abord une référence aux miniatures perso-mongoles, ces peintures miniatures typiques de cet art que l’on retrouve dans l’artwork de l’album. C’est ensuite une référence à l’exploration d’un territoire pour en rendre une miniature, c’est-à-dire une courte et petite expression. De rendre hommage aux artistes et aux musiques qui nous ont inspirés. L’idée est d’avoir un extrait, une miniature de ce territoire. 

Comment cette idée vous est venue, de travailler sur une série ?

Il y avait plusieurs choses, notamment la contrainte de faire un EP dans le cadre du Prix Ricard Live remporté cette année. Il y avait aussi cette envie de faire des collaborations avec des musiciens avec lesquels on avait déjà travaillé, en Égypte notamment.

C’était le moment de sortir ces sessions et on s’est demandé dans quel contexte les intégrer à un EP. Un peu comme un hommage : faire une série où l’on puisse rendre hommage à ces musiques et collaborer avec des territoires musicaux qui nous ont inspirés. 

Il y a eu d’abord une résidence à l’Institut Français du Caire en 2018 où l’on a rencontré des musiciens du centre culturel MAKAN, qui vise à la préservation du patrimoine musical traditionnel égyptien et des formes en voie de disparition. L’idée était de faire un échange, de travailler avec eux à des morceaux pendant une semaine et enregistrer le tout à la fin. On avait ces pistes-là qui traînaient sur un disque dur et on s’est dit qu’il fallait en faire quelque chose.

Puis il y a eu la rencontre avec Mouna (Hawa), une chanteuse et actrice palestienne que l’on a rencontrée suite à une tournée en Israël et Palestine, en 2018 aussi. On avait joué sur des lieux un peu mythiques de la scène électronique palestienne – des lieux mixtes, mélangés, en territoire israélien. On a pu jouer dans un club qui s’appelle Anna Loulou, un lieu mythique tenu par des Palestiniens dans un territoire israélien donc et qui brassait les gens et les cultures. On a rencontré Mouna là-bas et on a échangé à distance. C’est le fruit d’une rencontre et d’un voyage sur le territoire à chaque fois. 

C’était la première fois que vous étiez en studio avec des invités ?

On avait carrément trimballé un mini-studio avec nous et c’était la première fois que l’on collaborait avec des gens. On aimerait en faire plus ! L’idée du projet était de pouvoir collaborer. On en amorce des nouvelles, plus dans un concept de remixes avec des DJs et producteurs électroniques. 

J’imagine que l’exercice de la collaboration vous plait ; comment on passe d’un travail à deux à plusieurs ?

On a des habitudes de travail à deux, en duo, presque en couple. On connait bien nos outils et notre manière de travailler mais c’était l’idée du projet : avoir un format où l’on est presque des musiciens de studio et de pouvoir l’amener dans différentes directions, avec des collaborations notamment. C’est ce que l’on est en train de faire là, avec des musiciens traditionnels, en live, ou des musiciens électroniques. D’en amener sur du live aussi, avec une formule électronique et une autre plus « groupe ». 

Jusqu’ici c’était à deux ?

À deux oui, avec un aspect plus électronique mais toujours beaucoup de jeu. L’idée est d’amener le projet vers d’autres couleurs, d’autres formes. Que l’on sache (un peu) ce que l’on va écouter grâce à l’univers derrière mais qu’il y ait des formes différentes. Une idée du mouvement. 

De métisser votre formule, et elle l’est déjà. Pour revenir sur le live, comment s’est passée votre expérience du prix Ricard Live ?

On ne s’y attendait pas du tout avec notre format plus « underground », c’était une surprise. On n’avait pas l’impression de rentrer dans le cadre des groupes choisis auparavant et de l’image du prix. On a été étonné, positivement ! Cette année a été bizarre, forcément. Sans le prix, on ne continuerait peut-être pas l’aventure, ça serait beaucoup plus compliqué pour nous. Ça a été un soutien financier et de production, d’accompagnement aussi pour sortir cet EP hors-label, on a toujours tout fait en autoproduction. Cela crée une vie, alors que tout était éteint. 

Par rapport aux autres années, il y a des choses dont a pas pu bénéficier – une tournée, des accompagnements en studio notamment qui n’ont pas pu être faits. De leur côté, j’imagine qu’il doit y avoir des contraintes de calendrier et une obligation de passer à un autre groupe l’année suivante. Il y a une image assez indie du prix mais ils nous laissent faire ce que l’on veut artistiquement, ils aident surtout financièrement et techniquement sur les projets. 

C’est cool qu’ils aient parié sur vous et qu’à travers vous, ils aident à mettre en lumière une autre scène et d’autres musiques.

C’est hyper étonnant oui, on ne s’y attendait pas du tout. Je pense que ce sont les lives qui ont aidé – plein de gens nous ont découverts, nous ont suivis et ont apprécié notre musique après. C’est positif pour les gens qui font cette musique et sont sur cette scène-là. Le prix n’a pas dégradé notre propos. 

Si je reviens beaucoup plus en arrière, c’était quand votre découverte de ces musiques dites « extra-occidentales », faute d’un meilleur mot ? J’ai pas dit « world music ».

Je pense que le vocabulaire et les termes que l’on utilise sont amenés à changer. Certains ont eu une réalité à un moment, je ne le prends pas mal (rires)

Vous avez eu des retours presse notamment où vous étiez labellisés « world music » ?

Quelquefois oui, mais c’était plus le côté « old school » du terme, sans l’idée de dénigrer. C’est un terme qui avait une signification et qui représentait quelque chose pour beaucoup de gens. Il y a des termes qui sont apparus depuis – extra-occidentales, global beat… C’est amené à changer. 

J’ai commencé en écoutant du rock psyché et il y a eu un pont qui s’est fait depuis ces groupes vers des musiques traditionnelles indiennes (Ravi Shankar et les Beatles) ou moyen-orientales. Je me souviens d’avoir écouté des collaborations de Led Zeppelin avec des groupes marocains. J’ai pas de références directes en tête mais c’était pas mal de musiques indiennes, classiques. J’écoutais aussi beaucoup un album qui s’appelait Chants Of India, produit par George Harrison et composé par Ravi Shankar. Je me souviens que ça me rendait ouf, j’adorais. Je suis parti en Inde pour y apprendre la musique classique indienne ensuite. 

C’était un premier pont – le psyché, les musiques indiennes. J’ai découvert après des labels comme Ocora, j’écoutais beaucoup de musiques traditionnelles mais je commençais à trouver des musiques un peu plus pop, folk, électronisantes aussi. Le véritable changement a été à mon retour d’Inde, d’essayer de reproduire toute cette musique via des logiciels. J’ai découvert d’autres musiciens, j’ai rencontré Fabrice du label (Akuphone, ndr) qui était là-dedans. Je lui ai fait écouter ce que je faisais à l’époque et il m’a dirigé vers d’autres artistes. J’ai découvert toute la culture cassette – des groupes et formations qui ont émergé dans les 80’s, autoproduits pour la plupart, avec un répertoire traditionnel, pop-folk et des inspirations de différentes choses. Ça m’a fasciné, c’est ce que je recherchais musicalement.

Quand tu écoutes ces musiciens dits « de mariage » qui vont intégrer à leur musique des éléments complètement divers – un musicien turc qui va intégrer du Bollywood, des musiques arabes, des éléments funk et pop occidentaux, le tout sur un répertoire local, je trouve ça hyper cool. 

Tout ce mélange a été fait par des gens partout dans le monde, un processus d’incorporation musical. Ce qui est naturel. Il y a des ponts partout. 

J’ai l’impression que c’est un parcours connu – on tombe plus facilement sur des musiques traditionnelles folkloriques que sur du rock psyché turque par exemple.

C’est le terme de world music justement : c’était de faire venir des musiciens traditionnels jouer leur répertoire local. Puis on s’est rendu compte que l’on peut faire du jazz ou du disco en Éthiopie, il y a eu l’afrobeat… Le label « world music » a éclaté en de multiples genres et styles. C’est un peu la même chose que ce qu’il y a eu en France dans les années 40 avec le jazz, puis la bossa : on a incorporé des choses à un répertoire. C’est l’histoire de la musique enregistrée. 

Je suis d’accord avec toi, même si ça bouscule un peu l’histoire de la musique telle qu’on nous l’a présentée. C’est super logique que l’on puisse faire du punk ailleurs qu’en Europe.

Cela donne d’autres sources d’inspirations pour des musiciens d’aujourd’hui. Tu découvres qu’il y a d’autres manières d’aborder certains styles via d’autres angles. De le jouer ou de l’exprimer. 

C’est ce qui ressort de votre musique et du projet « Miniatures ».

Oui carrément. C’est essayer de faire ce que l’on aime et ce que l’on écoute, qui est surement plus varié que les musiciens d’il y a vingt-trente ans en France. C’est un parcours presque naturel de la scène actuelle, et de vouloir s’en approcher nous inspire.

Comment on approche justement un territoire musical qui n’est pas le nôtre tout en le respectant ?

C’est une chose simple et complexe à la fois. Ça a été fait dans toute l’histoire musicale récente – si l’on pense aux musiciens qui ont développé le rock, c’était une musique qui venait du blues, du jazz avec les mêmes problématiques.  Tu ne peux pas reproduire exactement la même chose que quelqu’un d’autre. Quand tu crées, à moins de vraiment copier, tu as toujours une approche unique je pense, un peu différente. C’est ce qui est intéressant : essayer de connaitre le plus possible, de faire le mieux possible mais cela sera toujours un peu différent. Ton parcours musical et ce qui t’intéresse sont différents d’un autre. 

La question du respect, je pense qu’elle repose principalement sur la connaissance. Essayer de connaitre un maximum de choses sur ce que tu fais, ce qui t’inspires ou ce dont tu prétends t’inspirer.

Apprendre, écouter beaucoup, essayer de comprendre, de rencontrer et d’échanger avec des musiciens, de leur faire écouter ta musique. De ne pas avoir de prétention de faire mieux bien sûr. J’ai découvert ça en Inde : la musique classique y est très codifiée, comme la nôtre, et si tu dis que tu en joues sans vraiment le faire, c’est un peu dégradant pour ceux qui le font vraiment. Par contre, utiliser un sitar dans la pop, ça ne pose pas de problème. 

Comment vous avez « choisi » vos influences, les références citées sur cet EP ?

Les musiciens qui nous inspirent sont aussi des musiciens qui ont pareillement emprunté à d’autres styles et d’autres musiques. Je pense à Elias ou Zyad Al Rahbani, des gens qui étaient hyper fan de disco, de soul, de funk. De musiques françaises aussi pour Elias, il adorait. Des musiciens cosmopolites, qui ont déjà fait des mélanges et des syncrétismes.

L’idée était de rendre hommage à notre niveau, de proposer des reprises de toutes ces musiques et des musiciens qui nous inspirent et que l’on écoute tous les jours. J’appelle ça le sin-folk, ou la psych-folk – s’inspirer des éléments folk locaux et y intégrer des éléments externes. Sur cet EP-là, il y a un morceau un peu inspiré des compositions d’Elias Rahbani. On a utilisé comme lui le buzuq, un instrument local et comme lui pas mal de synthés, de Moog. Un travail funk et folk. 

L’autre musicien est Ihsan Al Munzer, un musicien qui a développé un style qui l’a lui-même nommé « disco bellydance », avec un album du même nom. Il a intégré des éléments funk et disco à des choses plus folk et « bellydance », j’imagine que le terme était attractif (rires).