De la musique indienne agrémentée des riffs du sur-talentueux guitariste de Radiohead et du chanteur israélien Shye Ben Tzur, épaulés par le producteur Nigel Godrich, enregistré dans un fort du XVème siècle au Rajasthan, et le tout est capté dans un documentaire de Paul Thomas Anderson. C’est le projet un peu fou derrière “Junun », dont la démesure est surement due à un Jonny Greenwood qui multiplie les champs d’activités ces dernières années.

En effet le bonhomme ne peut plus être résumé au seul statut d’un des meilleurs guitaristes de la planète, puisqu’il s’est aussi fait une réputation très respectable dans la musique classique. Le bougre a à la fois composé pour les trois derniers films de son ami Paul Thomas Anderson – There Will be Blood, The Master et Inherent Vice – mais également pour le London Contemporary Orchestra. Ses récents travaux y ont même été adoubés par des grands compositeurs comme Steve Reich.

Un mot tout d’abord sur le documentaire. Rendu disponible sur la plateforme de vidéo à la demande Mubi début octobre, l’exercice se veut plus de la contemplation et de l’écoute curieuse que du vrai travail documentaire. Vous pourriez être déçu si vous vous attendiez à voir Nigel Godrich révéler ses secrets de production : tout au plus vous pourrez le voir chasser des pigeons dans la salle d’enregistrement armé d’un pied de micro.

L’ensemble n’en est pas moins intéressant, car le focus se fait sur les musiciens du collectif The Rajasthan Express. L’intention était surement d’éviter de trop mettre Greenwood en premier plan, ce qui aurait amené la désagréable sensation de n’assister qu’à un caprice de musicien fortuné.

Que nenni : ce que retranscrit bien le documentaire, c’est la différente mentalité de ces joueurs de musique, dont les courtes interviews sont passionnantes. L’ensemble est agrémenté de plans sublimes sur le lieu, filmé au drone pour rendre le visionnage plus dynamique. En résumé, on voit au travers de ce documentaire comme au travers d’une souris qui se serait immiscer dans le fort : on ne capte que quelques moments, quelques ambiances, mais cela suffit à attiser notre curiosité.

junun documentaire
“No toilet, no shower, but full power, 24 hour”

Reste à écouter l’album, qui vient tout juste de sortir chez Nonesuch Records. Disponible également en streaming sur la radio NPR, dont nous vous avons mis le lecteur en-dessous, la galette d’un peu plus d’une heure confirme les espérances qu’on pouvait avoir après le visionnage du documentaire. La production à l’occidentale – disons même à la Radiohead -, fait la part belle au groove unique de ces musiciens tout en ne s’interdisant pas de mobiliser des boîtes à rythmes savamment mixées.

Si l’on devait trouver un équivalent chez nous, on pourrait citer Bachar Mar-Khalife, musicien franco-libanais qui vient de sortir il y a quelques semaines son troisième album “Ya Ballad” chez Infine. Mais la où Mar-Khalife se perd parfois dans la superficialité esthétique de ses deux cultures sans rendre compte de leur complexité, cette collaboration anglo-israelo-indienne demeure un projet dont l’authenticité est inscrite dans son ADN. Sûrement car l’objectif était assez justement de retranscrire un groove différent, et non pas une culture ou un “exotisme”.

En tout cas Junun ne lasse pas, même après plusieurs écoutes, grâce notamment à une diversité de styles et de présences sur les treize morceaux. Si le prochain album de Radiohead – dont la production est plutôt bien avancé – se révèle décevant, on se rabattra sans peine à la réécoute de ce témoin des aventures de Jonny et Nigel.