Il vient du Sud, explore toute les musiques de la Méditerranée et explose les disciplines : Johan Papaconstantino est un artiste que l’on pourrait rapidement qualifier de “touche-à-tout”. Ou du moins à la musique et la peinture, ce qui fait déjà pas mal. Repéré il y a deux étés de cela au détour d’un lien YouTube avec le tubesque Pourquoi tu cries ??, nous avions depuis gardé un oeil attentif à ses créations. Un EP parfait de bout en bout, Contre-Jour, et de nombreuses expositions plus tard, le jeune homme avait fini de nous convaincre de ses talents certains. Une musique hybride donc, électronique dans l’approche mais plutôt pop à l’oreille, chantée en français et où ses influences grecques et arabes infusent en toute liberté.

Mi-novembre, à l’occasion du Festival des Inrocks où il partageait l’affiche avec Myth Syzer, Lolo Zouaï et d’autres, nous avons discuté une petite heure avec – attention, marronnier – un des espoirs les plus cool de la pop.

Comment ça va ? J’ai vu que tu as pas mal tourné cette année. 

Johan : J’ai pas mal tourné oui, et c’était pas forcément mon but au départ. J’avais pas prévu de faire beaucoup de concerts, j’étais plus dans une démarche d’expérimentation, d’essayer des choses, des productions. Au final, la musique a plu et j’ai reçu de plus de plus de propositions, que j’ai acceptées. J’en suis très content. 

Comment se passe le live pour toi ? Comment tu le vis ?

C’est particulier d’être tout seul sur scène. Je suis très critique avec moi-même. J’ai joué dans des groupes, j’ai déjà fait pas mal de concerts en tant que musicien, batteur ou guitariste. C’est très différent : quand tu joues avec des gens, il y a parfois des moments de grâce, des osmoses, où tu sens une vraie connexion. Quand tu es tout seul, c’est plus difficile de se sentir en connexion avec ta production, derrière toi. C’est un peu plus froid, moins organique.

Mais j’aime bien aussi. J’ai passé du temps à travailler sur ces productions, sur ces sons et c’est plaisant de les jouer en live. Je ne voulais pas faire un rock band mais en même temps, j’aimerai bien intégrer des musiciens à l’avenir. On verra, j’espère pouvoir continuer à faire plus de choses.

J’imagine que ça fait un gros changement comme tu disais, sur scène, comparé à tes précédentes expériences comme La Tendre Émeute. 

La Tendre Émeute, c’était très keupon dans l’esprit, très rock. Ça m’a marqué et, même si j’ai voulu un peu m’écarter de cette sonorité rock, je me rends compte que l’énergie « rock » est hyper forte. Je ne vois pas d’équivalent dans l’énergie du live : je trouve que c’est la musique qui te transmet le plus d’intensité. J’accorde beaucoup d’importance à la musique live. Je ne suis pas dans la posture d’un personnage hyper énergique mais j’aime bien avoir cette puissance de feu sur scène, principalement avec la guitare. Je réfléchis aussi à amener un bouzouki (luth à trois ou quatre cordes, instrument traditionnel grec & turc) sur scène. 

Ça permet d’avoir les deux temps, studio et live, d’alterner les choses. 

Oui. J’aime bien qu’il y ait une expression manuelle, quand il y a du jeu. 

Comment as-tu réussi – réussir n’est peut être pas le bon mot -, à passer de tes anciens projets à des compositions plus personnelles ?

Quand j’ai commencé à jouer dans la Tendre Émeute notamment et d’autres projets à côté, j’étais hyper jeune et je ne cherchais pas forcément à trouver un style. Le but était de jouer fort, avec du volume, de marcher un peu dans les pas de ceux qui m’avaient marqué en étant adolescent dans la musique live, le rock surtout. 

Au fur et à mesure, je me suis peut-être lassé de ça, et j’ai essayé d’autres choses. J’ai tellement eu d’influences différentes que j’ai eu envie d’aller vers l’électronique, et dans la musique électronique, on peut tout faire. Quand je dis électronique, je parle de textures, de sons, plus que de styles en tant que tels. J’ai essayé de transposer, avec des éléments virtuels, des choses que je faisais à la guitare ou à la batterie.

La batterie, j’aimerais bien en faire sur de prochains projets, pour expérimenter. J’adore cet instrument, c’est celui que j’ai le plus travaillé. J’adore la batterie jazz surtout, qui mène à tout. J’aimerai bien développer ça. Mais ça demande une autre organisation, en studio et par la suite sur scène.

Si l’on revient un peu sur tes influences, que l’on décèle très bien dans ton EP Contre-Jour, on y trouve beaucoup de choses. Est-ce que c’était un choix, ou une évidence de chanter en français ? 

C’est plutôt une évidence, avant même que j’assume le chant. Six ou sept années en arrière, il y avait très peu de choses en français. Dès le départ, je m’étais dit que c’était important de faire ce chemin là. Je me faisais ma culture de chansons françaises, avec des textes hyper beaux, et j’écoute beaucoup de rap français d’ailleurs, bien plus que de rap US même. C’est aussi parce que les textes, je les comprends.

Je parle anglais mais je ne suis pas bilingue : ça aurait été fake, pour moi, pour mon histoire de chanter anglais. Ça ne m’empêche pas de faire du yaourt (rires). C’est purement musical, il n’y a pas de mytho. 

Ce qui me touche dans la musique, c’est l’engagement personnel de l’artiste, quand je ressens une honnêteté à travers son oeuvre. L’anglais n’est pas superficiel bien sûr, mais pour un français qui écoute beaucoup de musiques françaises, qui lui plaisent et  s’il ne comprend pas forcément bien l’anglais, je ne vois pas l’intérêt de chanter en français. 

En arrivant sur les lieux, je suis passé devant ton installation (dans le cadre du festival les Inrocks, il avait une carte blanche au rez-de-chaussée de la Gaîté Lyrique). Est-ce que tu peux m’en dire plus ? 

C’est quelque chose que je mets en avant avec la musique, qui est aussi important pour moi. Je le travaille autant, sinon plus. Et ça fait quelques années que j’expérimente ce genre de dispositif : des peintures projetées par dessus d’autres peintures, avec des lumières et un vidéo-projecteur qui s’y ajoutent. J’essaye de jouer avec le rendu et les différents aspects de ce rendu. 

La peinture, pour moi, est une des techniques qui permet le rendu le plus deep, le plus intense. Il n’y a pas d’intermédiaire entre l’homme et l’oeuvre, mis à part un pinceau. C’est un geste direct, qui me touche beaucoup. Là, par exemple, projeter par dessus une peinture, avec des techniques différentes, fait réagir les matières. J’ai peint sur un morceau de bois une scène, et je projette à travers un vidéo-projecteur l’image-même de cette scène. Le tout avec un léger décalage, un mouvement. Il y a un rendu hyper intéressant, qui superpose des couleurs. C’est pour moi l’hybride entre le numérique et des techniques très anciennes, un pont technique tellement large, que je trouve intéressant de les mêler. Quand je fais des toiles, j’essaye de faire ce pont entre une peinture brute, de grands aplats de couleurs, jetés, et des toiles plus composées, très réalistes et laborieuses dans l’exécution. J’essaye d’étendre les champs du contraste technique. 

Tu signes ta musique et tes oeuvres du même nom : dans quelle mesure l’une influence l’autre, dans le processus créatif ? J’ai lu dans une interview que la musique était plus instinctive, moins réfléchie que la peinture. 

Quand je dis ça, je pense en terme de réseaux, de carrière, pas de l’acte de création. La musique est tout simplement plus populaire que la peinture, et cela me parait plus envisageable de toucher un grand nombre avec ce média, qu’avec la peinture qui s’adresse à un cercle plus restreint et plus élitiste, qu’on le veuille ou non. Il est plus difficile de vivre de sa peinture, je pense, que de sa musique. Je ne dis pas que la musique est facile, mais tu peux, avec tes propres moyens, faire un tube et tout ce qui en découle. Tu peux peindre chez toi bien sûr, mais en terme d’économie, ce sont deux mondes bien différents. On peut miser sur toi rapidement, dans la musique, et je vois la différence entre ces deux activités. Je travaille beaucoup, j’ai des opportunités, mais cela va beaucoup plus vite en musique.  

Comment ça se présente pour toi, justement, en peinture, en ce moment ? 

Je fais une expo à la Gaîté Lyrique (rires). Je pense que c’est le travail et les oeuvres qui comptent, je ne suis pas dans une optique de démarcher, de taper aux portes des galeries et collectionneurs pour me présenter. Le seul média où j’expose, c’est Instagram et Facebook. C’est à travers ces réseaux que je montre ce que je fais, numériquement, et j’invite des gens à l’atelier parfois.

Je suis très concentré sur l’oeuvre, sur le concret. C’est comme dans tous les milieux, et toutes les professions : il y a des opportunités, et certains vont se mettre en avant alors que d’autres vont rester en retrait, sans que ça signifie que c’est d’une moins bonne qualité.

Je suis plus en retrait, même dans la musique, je ne suis pas très démonstratif des événements, ou de gros plans de communication autour de ça. Ce n’est pas une revendication, c’est naturel. 

Est-ce que la peinture nourrit la musique, ou inversement ? 

Quand tu fais quelque chose de manière intense, c’est bien de « décompresser », de passer de l’un à l’autre. Je ne sais pas si c’est le bon mot d’ailleurs, cela reste du travail, mais ça fonctionne assez bien pour moi. Je peux peindre la journée, produire le soir, c’est une belle alchimie. Ça permet de faire respirer ces deux domaines, de rafraîchir les idées, de s’aérer.

Et c’est intéressant aussi de voir des rapports entre musique et peinture. Je m’amuse parfois à trouver des équivalences dans les sons, les couleurs, sans être excessif quand même. Un peu comme lorsque tu écoutes une chanson : tu imagines un clip. C’est similaire ici, une ambiance, une couleur. 

Est-ce que tu as déjà eu l’envie d’agrémenter ton live avec tes propres créations et peintures ? 

J’y pense, c’est un gros travail. J’ai pas envie de le faire à moitié. Il y a pas mal de gens qui font déjà ça, sur des shows importants. J’espère qu’un jour j’aurais le temps et les moyens de travailler sur des dispositifs comme ceux-là. Pour l’instant, je préfère rester indépendant sur chaque domaine que de mélanger tout ça sur un concert. Ça peut être casse-gueule aussi, de peindre en live (rires)! J’y ai pensé d’ailleurs pour ici, à la Gaîté, mais je n’ai pas eu le temps. 

On a un rapport très bizarre avec les musiques dites « world » : on voit directement un imaginaire festif, à l’opposé parfois du contenu de la chanson. Un peu comme tes musiques : comment vois-tu ce décalage-là ?

Je sais pas comment l’expliquer. On a beaucoup essayé de construire des catégories, il y a beaucoup de musiques qui peuvent se ressembler et la facilité a été de tout réunir ensemble. On peut aussi choisir de ne pas utiliser ce vocabulaire, j’en ai parlé parce qu’on me l’a fait remarquer.

Je ne me dis pas « tiens, je vais écouter de la world », peu de gens disent ça d’ailleurs. C’est pour aller vite, pour catégoriser simplement les musiques un peu différentes – pendant les 90’s par exemple. Je ne sais pas depuis quand ce mot existe en fait ? 

Je ne sais pas, j’ai l’impression qu’il vient des années 90 oui, Nova parlait de « sono mondiale ». (Wikipédia nous indiquera que le terme vient des 60’s, et a pas mal évolué depuis).

C’est pas très vieux, oui. Je ne sais pas quoi en penser en fait de ce terme, si cela peut simplifier le langage tant mieux ! Mais on ne doit pas tomber dans la vulgarisation et sous-estimer des mouvements artistiques importants que l’on ne connaîtrait pas. On a l’habitude de cette classification en France. Moi en tout cas, je l’utilise comme une blague, ce mot, cette catégorie. Ça fait sourire.

Tu n’as de toute façon pas du tout hésité à utiliser tes influences dans tes chansons. 

Je ne me suis pas dit que ça sonnerait world, non. Je ne sais pas si c’est mon rôle, de définir les genres et de s’auto-définir. C’est plutôt l’histoire qui s’en charge, de manière générale.

Je pourrais dire que je fais de la pop méditerranéenne, mais ça me fait chier. J’aime pas trop ce terme de pop en plus, cela me renvoie à une pop-rock de mon enfance que je n’aimais pas du tout. Et puis surtout, je n’ai pas envie de faire que ça. J’ai envie de toucher à tout.