S’il y a des figures de la musique électronique qui ne sont plus à présenter, Optimo et sa moitié la plus prolifique JD Twitch en font partie. Figure d’anthologie de l’électronique écossaise comme co-fondateur de l’ex-club de Glasgow Optimo Espacio, JD est encore aujourd’hui sur tous les fronts de la création : une compilation sur les balbutiements du post-punk allemand par-ci, la bande son d’un film sur les raves écossaises par là Mais surtout la création récente d’un label au nom plutôt explicite, Against Fascism Trax.

Extension engagée de la maison Optimo, le lancement du label s’accompagne d’un manifeste qui étaye ses volontés : avec un but avant tout caritatif (tous les profits perçus sont reversés à l’ONG anglaise Hope Not Hate), Against Fascism Trax entend remettre au devant la scène électronique les notions de partage et d’ouverture qui font les valeurs fondamentales du mouvement. Depuis sa création en début d’année, le label a déjà vu défiler six sorties dont des EP de Fantastic Twins, Joe Goddard et Auntie Flo.

Avant sa performance à l’Unsound où il présentera un show thématique dans l’esprit du label, on a posé quelques questions à JD Twitch sur ce qu’il l’a poussé à créer AF Trax, de la fracture anglaise et du craquellement de l’union du Royaume à ce que la musique électronique peut bien faire contre le lierre rampant du racisme et des autocrates.jd twitch

Comment t’est venue l’idée de créer le label Against Facism Trax, au delà de son but caritatif ?

Je me suis dit que je ne pouvais pas rester les bras croisés à observer la montée de l’extrême droite. Je suis tout à fait conscient que la création d’un petit label n’a que très peu d’impact à l’échelle globale, mais je suis parti de l’idée que faire quelque chose était toujours mieux que de ne rien faire. Donc si la création de ce label peut toucher ne serait-ce qu’une personne et la faire changer d’avis, ou en pousser une autre à devenir plus active dans ses engagements, alors l’effort en vaut la peine.

Tu pointes dans ton manifeste l’idée qu’« anti-fasciste » ne devrait pas être un terme qui désigne les personnes d’extrême-gauche, mais plus littéralement toute personne qui n’est pas fasciste elle-même. Désolée de mettre directement les pieds dans le plat, mais est-ce le Brexit et la montée des conservatismes en Angleterre qui t’ont poussé à créer AF Trax ? J’ai vu que dans le contexte actuel, Hope Not Hate focalise majoritairement son programme d’aide là-dessus.

Il y a eu plusieurs facteurs qui ont influencé la création du label et le Brexit en fait clairement partie. Le Brexit a libéré une vague massive de racisme et de nationalisme – surtout en Angleterre – ce qui a de graves conséquences sur le sort des immigrants dans tout le Royaume-Uni. Ça me rend malade et plein de désespoir d’assister à ça, j’en suis arrivé à ne plus vraiment me considérer comme anglais moi-même. Ce que le Royaume-Uni est devenu, ou du moins ce qu’est devenue une moitié du pays, me dégoûte : cette idée de vouloir couper tous les ponts et s’isoler du monde à un moment où la planète a urgemment besoin du contraire. À ce stade de l’existence de l’humanité, sauver la planète et se préoccuper les uns des autres devraient être les deux seules priorités. Le Brexit constitue une partie du virus global qui pousse l’humanité à se focaliser sur autre chose que le plus important, ce qui in fine la poussera peut-être à sa destruction..

Dans le manifeste d’AF Trax, tu mentionnes aussi que « ceux qui pensent que la politique n’a rien à faire dans la musique électronique sont honteusement ignorants de son histoire ». Penses-tu que la musique électronique s’est dépolitisée en devenant populaire car il est plus facile de véhiculer un message « neutre » ?

Complètement. Le fait de devenir une industrie “à profit” a détruit toute forme de débat ou de revendication dans le milieu.

99% des artistes électroniques sont terrifiés à l’idée de faire des vagues et préfèrent tout faire pour garder une réputation safe et édulcorée.

Tout ça est un peu sans intérêt, très middle of the road. Bien sûr il y a toujours des artistes qui sont l’inverse de ça et ne se complaisent pas dans cette tiédeur, mais ça reste une minorité. 

Ce sujet me rappelle une vidéo de 2017 postée par Laurent Garnier où il jouait une chanson anti-extrême droite française (ndlr: Porcherie des Béruriers Noirs). Certaines des réactions à ce post étaient offensées qu’il délivre un message politisé, d’autres annonçaient qu’ils étaient fans de Garnier tout en votant extrême-droite. 2017 était une année d’élection et ç’a un peu réveillé toute la scène électronique française sur le fait qu’elle attirait aussi aujourd’hui des personnes aux antipodes de ses valeurs historiques. As-tu toi-même eu ce type de rencontre ou d’interaction ?

Ça ne m’est heureusement pas arrivé dans la vie réelle, en revanche ça m’est beaucoup arrivé sur les réseaux, notamment sur twitter où j’ai eu un joli nombre d’altercations avec des gens d’extrême-droite qui sont aussi friants de musique électronique. C’est notamment arrivé au moment de l’annonce de la création du label – avec quelques menaces à l’encontre de ma personne en prime.

Du point de vue du public des clubs et des fans d’électronique en général, quelles sont les manières de réagir à ces tendances ?

C’est très difficile de prêcher une idée à quelqu’un dans l’environnement d’un club. Je ne pense pas que ce soit une manière très efficace d’atteindre ou de toucher les gens.

Le club reste avant tout un lieu d’évasion, où les gens sont là pour s’échapper de la merde du quotidien. Un festival comme Unsound est une exception en termes d’atmosphère, c’est pour ça que j’ai accepté d’y créer une performance spécialement autour d’Against Facism Trax.

Autrement, je pense que la création d’un label avec un vrai crédo, ou faire des interviews comme celui-là sont de biens meilleures manières de toucher les gens sur ces sujets, plutôt qu’à travers un de mes DJ sets.

Unsound sera donc ton premier show autour d’AF Trax. À quoi devrait-on s’attendre ? Y aura t-il des visuels pour accompagner ta musique ?

Pas de visuels non. Comme le set sera avant tout instrumental, c’est compliqué pour moi de bâtir autre chose autour. Sans trop en dévoiler, je compte me baser sur un thème tiré d’un vieille hymne anti-fasciste, qui reviendra de manière récurrente pour se tisser autour du set entier. 

Pour finir sur un sujet totalement différent, tu as récemment compilé le soundtrack du film « Beats » qui met en lumière la scène rave écossaise des années 90. Sur une note plus actuelle, quels lieux ou événements locaux conseillerais-tu à quelqu’un qui débarque pour la première fois en Ecosse ?

Je viens de Glasgow et ne connais vraiment que cette ville en profondeur, où les meilleurs lieux que je recommanderai de visiter sont La Cheetah, The Sub Club, The Berkeley Suite et SWG3.

Merci à JD !

 

Toutes les sorties d’AF Trax sont à retrouver sur Discogs ou en extraits par ici.

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