Il nous a fallu du temps. Un mois nous sépare de notre entrevue et de la mise en ligne de cet article. Non pas que nous doutions de nous, du bien fondé de cette interview ou de ce que nous avions entre les oreilles. Mais du temps pour mettre à plat les choses. Car Dawn Chorus est un disque chargé « d’émotions complexes », comme son créateur nous l’a dit. Un album dense, beau, à la fois club et doux, euphorique et légèrement nostalgique. Un album « de la maturité », comme si cette expression avait déjà signifié quelque chose. Car son auteur, vient de passer le cap des trente ans, ce qui n’est pas rien, et c’est encore plus vrai dans le monde de la musique électronique à tendance club. 

Un album pour synthétiser ses nombreuses années de productions, de tracks, de DJ sets & de lives ? Non, car il ne s’agit pas de cela. C’est un second album complet – on y retrouve tout ce qui nous plaît dans la musique de Jacques Greene, des accents R&B à une house percutante en passant par une expérimentation jamais fermée – mais intuitive. « Je pense que c’est le disque le plus facile que j’ai écrit dans ma vie. », nous raconte t-il ce soir d’octobre. « Je me sentais bien tout le long. Et quand je le compare à mes anciens morceaux, je m’améliore. »

Il y a (forcément) un avant et un après premier album. C’est un cap à franchir, que beaucoup d’artistes électroniques ne font pas – à raison parfois, tant l’exercice peut être difficile – ou à tort, tétanisés par les enjeux alors qu’il peut simplement s’agir, comme pour un EP, de faire ce que l’on fait de mieux, des chansons. Enregistré entre Montréal, Londres & L.A., Dawn Chorus en est une : une formidable collection de chansons. 

Est-ce que tu as des dates qui sont prévues cette semaine ? (nous avons échangé avec lui l’avant-veille de la sortie de l’album, ndr) 

L’album sort vendredi, jeudi je serai à Berlin. Et le lendemain, pour la sortie de l’album, j’ai Londres et Manchester, deux shows dans la même soirée. Le lendemain aussi, j’ai deux autres shows à Londres, cela fait comme un mini-festival. 

Deux shows dans la même journée ? 

Le vendredi soir, en début de soirée, je fais un show live dans une église. Je laisse mon matériel, je saute dans un train et je vais à Manchester pour le Warehouse Project. Le lendemain matin, je reviens à Londres pour faire un in-store live à Rough Trade, un grand magasin de disques. Et en soirée, je fais un DJ set avec Darkstar. Cinq shows en deux jours (rires)

J’allais te poser la question du comment tu gères l’attente de la sortie de l’album, mais j’ai ma réponse. 

Je suis en plein pic d’adrénaline, très excité. Je suis fier du projet, ce n’est pas comme si j’avais peur, honte ou quoi que ce soit. Je suis sûr que certaines personnes, certains journalistes ne vont pas aimer cet album, c’est la vie. J’ai fait un travail honnête, le mieux que je pouvais faire à ce moment là. Je n’ai pas vraiment de soucis, pourtant je suis assez anxieux dans ma vie. Mais une fois mes masters reçu cet été, c’était fini. C’est comme si j’avais un secret dont je pouvais enfin parler à tout le monde ! Dévoiler petit à petit l’album : la pochette, le premier single, les thèmes du disques puis le disque lui-même, c’est très excitant. 

Les shows live qui arrivent, c’est aussi extrêmement excitant : pour la première fois, je peux jouer haut et fort, les gens l’auront écouté aussi et il prend vie. 

Tu as mis combien de temps à composer tout cela ? Est-ce que pour toi, un album est un instantané d’une période ou bien est-ce que tu le composes sur un plus long terme ? 

Avant, j’ai toujours été dans une forme de routine : je travaillais pendant un petit moment sur quelque chose, qui finissait par devenir trois/quatre morceaux et un EP. Pareil pour l’album précédent, il y a deux ans. Il a été fait à partir d’un panel de chansons plus ou moins finies, construites au fur et à mesure du temps, parfois il y a longtemps, et que je n’avais pas sorti plus tôt. Puis il y a eu Fever Focus, le précédent projet de l’année dernière, qui était une sorte de dégourdissement. S’amuser à créer des morceaux clubs. Et pendant cette sortie, je commençais à écrire des chansons qui sonnaient très très bien. 

Je ne voulais pas sortir aussi rapidement un album mais je devais suivre la piste de l’inspiration. Ça me semblait assez naturel et j’ai décidé de me lancer dessus. Le deuxième album, c’est souvent un moment d’anxiété, on se pose plein de questions. Mais ce n’était pas du tout une bataille ici, c’était naturel. Je me suis dis que je devais suivre ça, même si ça ne marche pas et qu’à mi-chemin, je me rends compte que je vais nulle part. J’avais un nouveau son, une nouvelle approche, j’ai commencé à travailler avec plus de monde et je voulais moins tourner aussi, passer plus de temps en studio. Vers fin décembre, début janvier, je me suis dit que je pourrai y arriver. Je voulais aussi l’avoir fini pour le printemps, que ça soit rapide. 

C’était un changement de philosophie aussi : en musique et dans l’art, tu peux travailler très fort et autant que tu le veux sur quelque chose. Mais tu peux aussi sortir deux morceaux par année, donner autant que tu le souhaites. Je pense que je voulais traiter ça comme un projet, un travail presque comme un autre : ça veut dire enregistrer des choses dès le matin, organiser des sessions studio avec d’autres personnes, prendre un avion pour L.A. pour y bosser deux semaines, … Traiter cela comme un projet finalement, comme une production. Ça m’a aidé à mieux le gérer dans ma tête. 

À passer le cap du second album, comme tu le disais ? 

Oui c’est ça, juste suivre le fil d’inspiration. Début avril, j’avais 25 morceaux, je suis descendu à 12, c’est la première fois que ça m’arrive. D’habitude, quand je sortais un disque chez LuckyMe, j’avais 6 morceaux en stock qui allait donner un EP de quatre titres. Là, j’avais un dossier de 60 démos – certaines étaient des loops pas du tout développées, d’autres des chansons presque terminées. C’était une période prolifique. 

Est-ce que cette écriture plus intense est due précisément à ta façon de fonctionner sur cet album ? Le fait que tu aies pas mal collaboré, à Los Angeles notamment ?

C’est un peu comme la poule et l’oeuf. Vu que je voulais me sentir plus professionnel, travailler des fois avec un synthé un peu plus sérieux que ce que je connaissais avant, je me disais qu’être « musicien plus sérieux », ça veut dire peut être d’aller booker du temps de studio dans une autre ville. Des fois j’allais à Londres, dans les studio de Warp entre deux week-ends de shows. Ça crée des conditions où tu n’es pas chez toi, sur Internet. Tu es vraiment là, à faire de la musique, à travailler. 

C’est drôle, j’ai toujours préféré le logiciel Ableton Live à ProTools ou Logic et pour moi, quand je l’utilise, j’ai l’impression que je joue de la musique plutôt que de travailler sur de la musique. Et au début de l’année, j’ai eu un déclic : j’aime le terme de musicien professionnel. Ça fait dix années que je fais ça, c’est mon métier et je suis professionnel. Je ne suis pas pour autant fonctionnaire :

Je ne vise pas la sécurité qui serait de faire le l’EDM ou de la house lo-fi. Ça veut plus dire que je dois pousser mon activité, trouver des nouvelles choses, chercher toujours. 

De me retrouver à Londres ou Los Angeles, dans des endroits plus proches de l’industrie – non pas que je travaillais avec des majors, mais d’être entouré de personnes et de professionnels, ça donne une certaine énergie. On ne se rend pas au studio à 8 heures du matin mais on y va tous les jours. Il y a une routine, on s’y tient. 

Pas des horaires de bureau, mais s’y tenir. Peut être que certains y arrivent, tôt le matin ?

Moi non, je n’ai jamais eu de bonnes idées avant midi (rires). Je structure mes journées comme ça, je fais mes e-mails le matin et je vais en studio l’après-midi. Tout ça, c’était aussi pour essayer d’avoir un côté plus mature.

Ça a été des sessions où les choses te sont venues sur le moment, ou bien tu y as mis en place des idées créées ailleurs ? 

C’était du cas par cas. Un des deux singles avec une voix pop dessus, celle de Rochelle Jordan – originaire de Toronto et qui habite à L.A. maintenant, c’est arrivé parce que Machinedrum, qui est vraiment un de mes meilleurs amis, est venu au studio et on a commencé à faire de la musique ensemble. C’était très naturel, on l’a faite en 5-6 heures, l’instrumental. Après ça, il a dit « Oh, je pense que Rochelle est dans le coin, on devrait l’appeler, je pense qu’elle serait bonne là-dessus. » Il l’appelle, lui envoie le démo pour qu’elle travaille là-dessus, elle vient en studio puis on enregistre le tout en deux heures. C’était super organique, en personne, naturel, ça faisait du bien de ne jamais douter, de suivre le fil de ses idées. 

D’autres choses se sont faites par e-mail comme avec Oliver Coastes, un joueur de violoncelle extrêmement talentueux. J’avais les chansons terminées, mais l’impression qu’il manquait quelque chose de réel dedans, d’organique. Je ne voulais pas utiliser un logiciel. Je suis rentré en contact avec lui, je lui ai décrit ce dont j’avais besoin et il a été partant. C’est du cas par cas, sur chaque chanson, mais toujours avec un côté « on ouvre les portes ». 

Tout, absolument tout s’est fait naturellement. À portée de main, jamais à travers un DA ou des gérants. Ce côté là m’a toujours déçu. Il y a quelques années j’étais aussi à L.A., douze heures par jour dans un studio avec des professionnels, des compositeurs, des paroliers pour pitcher des chansons pop. C’est … les douze heures les plus longues de ta vie. On a fait des démos que l’on a envoyé et aucune ne s’est jamais retrouvé sur un disque. Ce n’était pas un travail qui m’intéressait, ce qui est bizarre parce que j’adore la pop ! J’adore le produit fini. J’aime manger du saucisson, mais je ne veux pas en faire moi-même (rires) 

J’ai toujours adoré les Timbaland, The Dream, les auteurs de ce monde là et je pensais que c’était une avenue pour mon métier mais … Vraiment pas. Par contre, il y avait une éthique de travail par rapport à la musique qui était sérieuse. Je viens d’une scène techno-house mais aussi indie-rock, à Montréal, où les loyers ne sont pas chers, tout le monde vit dans les grands lofts avec un matelas sur le sol et se disent qu’ils peuvent aller prendre un café pendant trois heures ou faire de la musique, c’est pareil. C’est très relax. Ce que m’a appris le monde pop c’est qu’on est ici pour faire de la musique. Ne pas abandonner quand cela devient difficile : la mélodie ne marche pas, pourquoi ? C’est pour ça que je trouvais ça drôle de retourner à L.A. pour travailler sur ma musique parce que j’aimais l’éthique de travail là-bas, mais sans être dans un studio à Hollywood.

Ça a dû te changer de ton « passé » de bedroom producer à être en studio avec plusieurs personnes et entendre l’avis de chacun. 

C’est difficile ! J’apprends encore, c’est peut être ça qui m’a permis un tel niveau de production. C’était un nouveau défi, une nouvelle façon de travailler et c’est inspirant.

Des fois, je faisais exprès de ne pas avoir de routine : je ne sauvegarde jamais mes sons de synthétiseurs, mes presets de drums. À chaque fois que je commence une chanson, je repars de zéro.

J’essaie toujours de trouver des choses qui me ralentissent un peu dans mon écriture. Être bedroom producer, tu as juste ta tête et tes connaissances musicales qui sont parfois limitées. Je me retrouve sur un clavier et je ne sais pas tout. C’est ça la collaboration : deux cerveaux valent mieux qu’un, qui l’aurait cru ? (rires)

Ça n’est pas évident pour tout le monde !

C’est vraiment pas évident, surtout de nos jours où de nombreuses personnes prennent l’acte de création musicale très personnel. Ça m’a pris vraiment du temps de m’ouvrir à l’idée et même d’avoir envie de collaborer avec des gens. C’était super difficile, j’étais control freak quand ça vient à toucher à mes production, mon monde. Je m’habituais au processus et ça m’apportait une richesse, même humainement, d’autres dimensions et d’autres niveaux de saveurs. 

C’est comme un album rap, je trouve ça super intéressant comme exemple : des artistes rap arriver à rassembler plusieurs producteurs différents sur un album, et ça sonne quand même comme leur album. Quand Kendrick Lamar rassemble 15 producteurs sur quinze chansons différentes, c’est du Kendrick tout le long. 

Je pense, en fait j’espère, que ma vision de l’album et le monde « Jacques Green » est assez bien défini qu’au lieu de me diluer vers mes collaborateurs et mes ami.e.s, je les ai rassemblé vers mon monde pour m’aider à rendre mon univers plus riche. 

Je vois ce que tu veux dire et l’album sonne comme ça pour moi : il y a plein de morceaux qui vont dans des directions différentes mais il y a une unité. Le premier track m’a surpris, « Serenity ». Je suis peut être pas le premier à t’en parler mais ça m’a fait penser au morceau de fin de DJ sets, là où on se lâche un peu parce que la soirée touche à sa fin. 

Oui, et qui n’est pas vraiment mixable non plus. C’est drôle parce que c’est la dernière chanson dans mon live show.

Mais tu l’as mise au début de l’album ? 

Le premier album commençait avec un truc un peu ambient, pour t’attirer dans mon monde. Pour le second, c’est plus le « OK, tu sais pourquoi tu es là, on y va ». J’avais envie de commencer avec quelque chose avec sort du cadre. J’ai beaucoup pensé à In Utero de Nirvana qui commence comme ça, BAM. Mais oui, c’est influencé par l’idée de la fin de soirée. Dans ma tête, c’est quand on se rend chez soi après une nuit un peu trop longue. Il y’a de l’euphorie et des moments de tensions intenses, un peu trop même. 

J’aime ça, je pense souvent à une soirée avec un ami il y a plusieurs années à Montréal où au milieu de la soirée, une grosse chanson, une grosse mélodie était rentrée sur le dancefloor. Il se sentait bien, il n’allait pas mal mais il a eu besoin de s’assoir, c’était un peu trop (rires) Il était juste en dehors de sa zone de confort, et pas d’une façon négative. Je pense que la production culturelle est à son meilleur quand ça provoque des réactions, agressives ou l’inverse. Le Underworld des Chemical Brothers a eu une grosse influence sur ce morceau. Une euphorie un peu surnaturelle, qui vient chercher ailleurs. 

Je suis une personne un peu comme ça, qui passe un moment incroyable en soirée mais qui en même temps pense que c’est bientôt fini. Je ressens un petit peu ça à l’écoute de l’album. Ce n’est pas de la mélancolie mais … 

C’était dans ma tête tout le temps. J’ai eu trente ans il y a deux semaines, ce qui fait que l’album a été écrit pendant mes 29 ans. Je sais que ce n’est pas la fin du monde mais c’est un cap et dans la musique club, on vise l’hédonisme et la jeunesse perpétuelle. Je sors encore, je vais en club et mes amis aussi, mais il y a une partie de moi qui est très existentielle, anxieuse. J’ai perdu mes cheveux à 22 ans et j’en ai trente là, party is over man ! (rires)

C’est un peu une métaphore – pas de mon adieu au dancefloor, je resterai avec mes références house et techno pendant un moment, peut-être pour un disque ou dix. Mais j’utilise la fin de l’after party en métaphore de la crise existentielle de mes trente ans. Je voulais utiliser le mot « dawn », l’aube, pour ne pas signifier que c’est la fin. Il n’y a pas de grosse nostalgie, un peu comme la fin d’une soirée : il est temps de rentrer, c’est OK, il y en aura d’autres la semaine prochaine. 

Je voulais un peu me rassurer dans mes prises de conscience d’« aging DJ ». (rires) 

Peut être que tu ne fais plus de dates, de lives ou DJ sets de la même façon ? 

Non, du tout. J’adore les DJ sets et les lives, mais si je fais cinq semaines d’affilées, c’est un plus un show, c’est un gig. Ça devient un boulot, alors que j’adore quand j’ai un sentiment d’attente, c’est électrifiant. J’ai hâte des shows qui arrivent !

J’aimerais, et cela devient de plus en plus difficile en 2019 avec les plateformes de streaming, avoir un vrai salaire sans être constamment sur la route. Dans un monde idéal, j’aimerais aller en tournée quand je veux aller en tournée. Je pense être assez chanceux de pouvoir m’exprimer d’une façon qui n’est pas traditionnelle – grosse house, techno, commerciale – mais de quand même pouvoir payer mon loyer, voire prendre trois mois pour aller à L.A. Je suis dans une très belle situation et je peux décider de ne pas accumuler les dates. C’est le luxe ultime. 

Pour rester sur le live, est-ce que tu y as pensé en enregistrant les morceaux, du rendu sur scène ? 

Non parce qu’en live je retravaille le mixing de l’album au complet – c’est découpé en petites pistes, en petites loops. Je voulais carrément m’éloigner du mixing d’un album club. C’en est un, un album de musiques électroniques, house et techno en partie, mais je voulais autre chose. 

J’ai travaillé avec Joel Ford, qui a récemment fait l’album de How To Dress Well, qui était avec Daniel Lopatin (Oneohtrix Point Never) et qui fait du mixing pour des groupes de rock. On s’est parlé très longtemps de ça, je voulais un album de musiques électroniques qui devienne un album. Que quand tu appuies sur play, tu ne sois pas systématiquement en club, à 5h du matin. Alternatif. Que tu puisses l’écouter chez toi. Ça tient plutôt dans des moments où je pense que j’ai bien réussi une piste, comme Serenity. J’étais en studio en me disant que oui, en live, ça va être cool à jouer.

C’est venu après, donc. 

Oui c’est ça. L’EP de l’année passée, Fever Focus, était de la musique club pour moi-même. La genèse étant qu’il s’est crée à la fin de la tournée de l’album, je faisais plus de DJ sets que de lives. En jouant, je voulais parfois une chanson qui crée quelque chose de particulier, mais je ne l’avais pas. Au lieu essayer de la trouver, je vais essayer d’aller au studio et de la créer : me faire des tracks pour mes sets, à moi. Sans penser au reste, juste pour moi. 

Pour celui-ci, pour cet album, on aurait pu mixer plus « club » certains morceaux, mais non. C’est plus intéressant comme ça.

J’ai lu que tu avais incorporé différents éléments – du field recording, du shoegaze. 

On est allé chercher des pièces, du matériel de trois points de références assez particulier. Le shoegaze, c’est un sentiment … Je trouve que Slowdive ou My Bloody Valentine capturent un équilibre entre l’euphorie et la mélancolie tellement parfait. Il y a des riffs mais des mélodies, c’est planant et entraînant en même temps. Ça me fascine depuis mon adolescence. J’ai passé du temps sur des forums où des méga fans ont pris des photos des pédales à guitares de Kevin Shields. Puis j’ai acheté ces pédales, et en étant un peu obsessionnel compulsif, pourquoi ne pas aller au bout des choses et travailler directement avec Brian Reitzell, qui a fait des BO et des morceaux avec Kevin Shields ?

Tous les moments 4×4 de l’album passent par un compresseur utilisé par la French Touch par Thomas Bangalter et le label Roulé. La première musique qui m’ait vraiment touché en club était Alan Braxe, Fred Falke, toutes ces choses-là. 

Donc j’avais tous ces éléments et on s’est établi des règles de mixage de l’album avec Joel Ford : tous les drums doivent passer par là, les synthés doivent passer par tel reverbs, … Ce n’est presque pas perceptible, mais un peu à la façon d’un Quentin Tarantino qui va filmer une scène comme un western sans en être un : il veut l’énergie. Je veux le fantôme de Roulé sur ce disque. C’est de l’échantillonnage d’une autre dimension. On le fait souvent en techno : on utilise un synthé, une boîte à rythme spécifique pour échantillonner une idée, une méthode de travail. 

Est-ce que ces influences-là, shoegaze, ces musiques que tu écoutais plus jeune, sont ressorties dans cet album parce que, comme tu me l’as dit, tu viens d’avoir trente ans et que c’est une période particulière pour toi ? 

Ça se peut, oui. Slowdive et My Bloody Valentine n’étaient des groupes actifs quand je me suis mis à les écouter. Maintenant oui, c’est bizarre. C’était des groupes au-dessus de Nirvana, plus cools. C’est toujours resté chez moi mais de façon plus subliminale. J’ai toujours cru que Godspeed You! Black Emperor avait un effet sur ma musique, eux-mêmes étant les héros locaux. J’ai grandi dans le même quartier qu’eux, c’était une présence mythique dans les environs. Le côté grosses mélodies vient de là je pense. 

J’en écoutais beaucoup au lycée et c’est revenu ces deux dernières années quand je voyage. Autant j’achète des disques de musique club chez moi et j’en joue tout le temps, autant une fois dans l’avion j’ai envie d’autre chose. D’ambient. J’ai commencé à faire la connexion entre mes sensibilités, mes mélodies et le côté angulaire – du riffs, des mélodies en même temps. Une énergie et des émotions compliquées. 

Et quand tu l’écoutes adolescent, tu as l’impression que le morceau est juste fait pour toi. 

Oui clairement ! (rires)

Par curiosité, j’ai tapé « Dawn Chorus » sur Spotify, et j’ai trouvé un titre de Thom Yorke du même nom. C’était intentionnel ? 

Non ! Il est sorti la semaine après où j’ai reçu mes masters. Mon album s’appelait déjà comme ça. Il a toujours été comme ça dans ma tête, le nom et la pochette. Et en plus, un de mes gros débuts était un remix pour eux, pour Radiohead. Mon manager m’écrit juste avant la sortie du morceau de Yorke et on se dit : « est-ce que l’on change le nom du disque, à cause de la connexion avec le remix d’il y a quelques années ? » 

C’est drôle parce que tu es la première personne à m’en parler du point de vue presse. Je me disais à chaque fois ça va être la question du « alors, on aime encore Radiohead ? ». Je ne l’ai pas écouté à sa sortie pendant deux semaines, puis un soir je l’écoute, sans regarder le tracklisting. C’est OK, plutôt bien, et il y a une mélodie très belle d’un coup et je vérifie : OK, c’est bien le même morceau !

C’est un moment un peu zeitgeist, transmission de pensées entre lui et moi. Et puis j’ai la même inspiration que Thom Yorke, c’est cool. 

Dawn Chorus est disponible sur LuckyMe.
Jacques Greene sera en live le 7 février 2020 au Badaboum.