Le décès de SOPHIE a remis un triste coup de projecteur sur le phénomène de l’hyperpop, dont elle a à la fois été la pionnière et l’une des figures les plus marquantes. Sans forcément revenir sur ses faits d’armes qui ont déjà été amplement élogiés, on a décidé de se pencher sur la philosophie de l’hyperpop en elle-même, ses raisons d’être et sa fugacité inévitable.


L’hyperpop est à la mode. N’en déplaise à cette pensée ridicule poussant à décrédibiliser tout ce qui est populaire, la mode est, en partie, le reflet de la jeunesse. Dans ses aspects les plus purs, indépendamment de ses enjeux commerciaux ou propagandistes, la mode répond aux envies artistiques, culturelles ou sociales de cette nouvelle génération de consommateurs pop. Tout comme la mode, l’hyperpop, ce genre musical nouveau, « futuriste » diront certains, semble profondément ancré dans le présent de la musique populaire. L’hyperpop est autant le symbole d’une nouvelle génération de consommateurs musicaux que le symptôme de la musique Pop mainstream actuelle, son aboutissement absurde et absolu. Entièrement inscrite dans le présent, elle ne survivra probablement pas plus longtemps que son modèle grand public, condamnée à disparaître comme chaque effet de mode l’a été.  

Qu’est-ce que l’hyperpop ? Terme équivoque, parfois répudié par certains de ses acteurs principaux, l’hyperpop porte cependant bien son nom. En effet, ce « microgenre », comme les spécialistes aiment à le décrire, se caractérise avant tout par son approche maximaliste de la Pop grand public. Au lieu d’en saboter les codes, comme l’ont fait la quasi-totalité des mouvements musicaux contre-culturels jusqu’ici, l’hyperpop se les réapproprie, grossit ses traits jusqu’au grotesque, jusqu’à l’exagération. Abus d’autotune, productions électroniques proches de la crise d’épilepsie, couleurs flashy frôlant le mauvais goût, mélodies explosées mais toujours bien centrales aux compositions, l’hyperpop semble plus être une régurgitation d’un trop-plein de ce matraquage culturel mainstream omniprésent qu’une prise de position réactionnaire ou dénonciatrice. Comme si, finalement, la nouvelle génération avait mal digéré les 20 dernières années de Pop grand public et les vomissait, mélangées et sans nuances, sur Bandcamp, Soundcloud ou YouTube. 

PC Music, ou une autre manière de penser la pop

L’origine de l’hyperpop, contre toute attente, est britannique. On la retrouve du côté du label PC Music et de son fondateur A.G. Cook. Là-bas, depuis 2013, Cook travaille une version artistique, surréaliste, exagérée de la Pop. Travaillant en solo ou avec des artistes tel.les que SOPHIE, Hannah Diamond, Charli XCX, Planet 1999, GFOTY ou Caroline Polachek, il façonne, au fil des années, cette nouvelle forme d’expression. Dans un délire warholien, le label embrasse les esthétiques publicitaires et commerciales modernes en les associant aux codes d’une culture du net alternative et provocatrice. Electropop expérimentale, Bubblegum Bass, puis hyperpop vers la fin des années 2010, la musique du label s’est vue qualifiée de différents sobriquets à travers les singles, format par lequel PC Music s’exprime le plus souvent. 

Dès 2017 et la sortie de la mixtape Pop 2 de Charli XCX, cette nouvelle façon de faire de la Pop prend de l’ampleur. Sortent alors certains des albums fondateurs du genre, tels que OIL OF EVERY PEARL’S UN-INSIDES (2018) de SOPHIE, Charli (2019) et How I’m Feeling Now (2020) de Charli XCX, tous deux produits par A.G. Cook, ou encore 7G et Apple (2020) de Cook lui-même. Inspirés, des artistes américains proposent alors très vite leur propre version brouillonne et chaotique de cette approche encore assez esthétique de la Pop grand public. Avec 100 gecs et Dorian Electra, le terme « hyperpop » est né. Plus agressive, bruyante, absurde et abstraite que son pendant britannique, l’hyperpop américaine jouit également d’un succès bien plus considérable, 100 gecs devenant le fer de lance du mouvement. 

Un mouvement en pleine effervescence, si ancré dans le présent qu’il semble prêt à exploser en plein vol, à n’importe quel moment, disparaissant aussi vite qu’il n’est apparu. S’il est impossible de prévoir avec sureté si l’hyperpop perdurera ou marquera réellement l’histoire de la musique populaire, il y a en effet fort à parier qu’elle ne fera pas long feu. Le crédo philosophique (si réellement il y en a un) de ce style révolutionnaire semble d’ailleurs plutôt simple et évident : l’hyperpop recherche avant tout la pertinence et la satisfaction directe et se fiche de l’Histoire ou du futur. Dans une sorte d’hédonisme artistique moderne, les acteurs de l’hyperpop veulent avant tout répondre aux besoins des consommateurs actuels, quitte à sacrifier une possible postérité.

Le maintenant, coûte que coûte

L’hyperpop est une musique impatiente pour un public impatient. Le format court et bruyant de la plupart des chansons attire l’attention de l’auditeur le temps de quelques secondes, à l’instar d’un reel d’Instagram ou d’une vidéo Tik Tok. Les titres de certaines chansons reflètent également cette vision musicale excessive et tape-à-l’œil. Des compositions nommées « gec 2 Ü », « 800 db cloud » ou encore « xXXi_wud_nvrstøp_ÜXXx » confirment cette tendance tapageuse, pas si éloignée de la pratique du clickbait, monnaie courante sur le net. 

De même, les principaux référents de cette nouvelle génération d’artistes émanent de styles musicaux ringards et dépassés, profondément ancrés dans leur propre présent révolu. Comme la Tektonik, la Dubstep ou l’Eurodance, qui semblent être ses majeures influences, la trajectoire de l’hyperpop sera stellaire mais brève, absolument pertinente quelques années puis cruellement dépassée et démodée. L’unique différence étant que, contrairement à ces styles musicaux disparus, l’hyperpop est manifestement consciente de son caractère volatil et l’assume complètement. Ainsi, Dorian Electra va jusqu’à inviter des stars oubliées comme Rebecca Black ou les Village People sur son deuxième album « My Agenda ». De plus, l’artiste centre le concept de ce dernier sur un vocabulaire et des références culturelles désespérément de leur temps, puisant dans les codes et le jargon du net pour des chansons qui, socialement, n’auront plus aucun sens dans 20 ans (Gentleman, M’Lady, Edgelord). Ainsi, Electra lance un message fort : l’hyperpop n’a pas peur du ringard, ni d’être démodée, et c’est peut-être pour cela qu’elle est si populaire.    

L’éthos, la philosophie de l’hyperpop empêchent ainsi sa pérennité. Bien qu’expérimentale, l’hyperpop est avant tout un style ludique, instinctif, qui empêche toute possibilité d’intellectualisation ou de conceptualisation. La musique de 100 gecs, par exemple, appelle plus aux instincts primaires et physiques de l’être humain qu’à ses capacités intellectuelles. Elle fait réagir le corps et le cœur, pas le cerveau. Elle est amusante, énergique, intrigante, dynamique, et c’est tout. Un album comme « 1000 gecs and the tree of clues », sorte de crossover ambitieux réunissant tous les talents de cette bouillonnante scène musicale, montre bien cet aspect décomplexé et instinctif. L’œuvre sonne comme une fête, comme une célébration de l’inconscience et de l’insouciance, en dehors de toute tentative de schématisation philosophique ou conceptuelle. L’hyperpop ne veut probablement pas qu’on la pense trop sérieusement et, d’ailleurs, ne cherche possiblement pas à marquer l’histoire de la musique non plus. Elle veut uniquement exister et se valoir par elle-même. Elle est un miroir subjectif et déformé de ce qui fonctionne et, comme ce qui fonctionne, finira par disparaitre et être remplacée par quelque chose de plus neuf, de plus brillant. 

Finalement, la trajectoire de l’hyperpop est comparable à celle d’une météorite. Son impact social et culturel est fort, intense et incalculable, mais également bref et fugace. En ce sens, l’hyperpop peut être rapprochée d’un mouvement comme le punk, l’absurdité adolescente en plus. Saura-t-elle, comme le punk, rester pertinente et influencer les générations futures ? Rien n’est moins sûr. Quoiqu’il en soit, elle est le témoin direct d’une période unique pour la musique populaire, un moment qui ne se répètera jamais, marquant le début de l’explosion des carcans du convenu et du formulé. Marquer l’histoire ou non, au final, n’a aucune importance. L’hyperpop est à la mode. Profitons-en le temps que ça dure.